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Liliane Apotheker : Ambiance de Pessah

Pessah est indéniablement la fête juive qui nécessite le plus de préparatifs. Pendant deux semaines au moins, nous nettoyons nos maisons, faisons des courses et pensons à la dernière ligne droite en cuisine. C’est l’occasion pour les familles de se réunir et aussi d’inviter des amis, une occasion qui est d’ailleurs double puisque dans la diaspora nous célébrons le Seder et récitons la Haggadah deux soirées d’affilée. J’ajoute d’emblée que les deux soirées sont à chaque fois des expériences différentes, alors qu’on y consomme les mêmes aliments symboliques et que l’ont lit le même texte.
Les convives étant néanmoins différents la tonalité des récits personnels qui viennent enrichir la narration change à chaque fois complètement la donne. J’apprécie tellement ce prisme renouvelé que vivre à l’Israélienne en ne célébrant qu’un seul Seder serait une véritable privation.

Tous ces préparatifs donnent aussi le temps de penser et de mettre de l’ordre dans sa mémoire. Certains Sages y voient une purification de l’âme, une manière de se purger de son propre levain, de cet orgueil qui nous pousse souvent à faire fausse route.
Je ne suis pas sensible à cette proposition.
Si avant Kippour nous nous préparons à cet examen de conscience annuel bien nécessaire mais toujours un peu redouté, avant Pessah nous mettons tout en œuvre pour célébrer la Sortie d’Égypte, car il s’agit bien d’une vraie célébration et je ne voudrais en rien détourner mon attention de ce temps consacré à l’acquisition de la liberté et de la responsabilité qui est son corollaire. De plus s’il s’agit bien de le revivre il faut aussi et avant tout le transmettre. Les tables de Pessah sont celles où tout est mis en œuvre pour que les enfants soient éveillés à l’histoire et l’intègrent par le récit, par le rituel qui vient renforcer celui-ci et par les aliments symboliques qui viennent le leur faire littéralement avaler. C’est tout le génie pédagogique du Judaïsme qui nous accompagne lors de cette soirée qui est pour la plupart d’entre nous, la plus festive de l’année.

Si tous les ans, je rechigne un peu au début du parcours devant l’immensité de la tâche, dont j’ajoute que le plus souvent elle incombe aux femmes, une fois que je démarre seul le manque de temps m’arrête. Pas très féministe, me direz-vous… Je n’en suis pas sûre.
Les femmes jouent un rôle prépondérant dans cette affaire, elles transmettent un sens de la fête dont les hommes dépendent d’une certaine manière. Pessah est une affaire de complémentarité au sein du couple, et les femmes d’aujourd’hui s’approprient le texte, jouent un rôle majeur dans la transmission et ne sont plus cantonnées à la cuisine.
J’ajoute que puisque tout est prêt avant, le soir du Seder nous sommes tous accoudés ensemble, pour bien reconquérir cette liberté qui si souvent nous échappe.

Je me souviens de mes débuts dans le dialogue inter-religieux. Dans ma banlieue à l’ouest de Paris, j’étais en quelque sorte la référente juive pour des questions pratiques. Avant Pessah, le téléphone sonnait souvent, les paroisses appelaient pour savoir quel repas servir aux prêtres ce soir-là afin de leur faire vivre quelque chose de ce qui pour eux faisaient mémoire de la cène. L’agneau pascal bien sûr, mais servi avec quoi, me demandait-on ?
Pas d’agneau pascal justement, mais plutôt une viande non grillée et en aucun cas de l’agneau et servie avec des matzot, des galettes de pain azyme, et des herbes amères. (NDLR : les traditions culinaires Sépharades sont différentes)
C’est quoi des herbes amères ? De la roquette ? Des endives, elles sont plutôt douces en cette saison.

Ces questions si bienveillantes me font toujours sourire, elles cristallisent beaucoup de choses, la dynamique du Judaïsme, toujours en mouvement, l’importance de la tradition orale, le regard extérieur de celui qui sans vouloir entrer mais se tenant sur le pas de la porte ne comprend pas sauf si on lui explique, et enfin les traditions culinaires du Judaïsme si variées selon leur lieu de vie qui traduisent chacune à sa manière la symbolique de ce récit fondateur. Pour rien au monde je ne me serais passée de ces premiers contacts en dialogue.

Que faut-il pour que le Seder soit cette grande fête de la transmission :
Pessah, Matza et Maror, dit la Haggadah.

Il faut donc la Haggadah, et la volonté de la lire en la commentant, et un repas particulier qui doit être symbolique mais aussi festif. Le pain azyme est un pain de pauvreté, nous dit la Haggadah, mais le repas ne l’est pas. Les coutumes alimentaires des familles originaires d’Europe de l’Est montrent combien il importait de faire un bon repas. La plupart des familles n’en avaient pas les moyens, c’est à cela que nous devons le fait que beaucoup d’aliments sont hachés, préparés de manière à nourrir avec peu de viande de nombreux convives.

Le pain azyme qui n’a pas eu le temps de lever indique la précipitation avec laquelle il fallait quitter l’Égypte, et c’est cette précipitation dont nous faisons mémoire en prolongeant les préparatifs et ensuite la soirée. Le Judaïsme ne craint pas le paradoxe.

Les herbes amères pour se souvenir de façon concrète de l’aliénation totale que subirent les Hébreux et en faire mémoire afin de rester vigilant car la liberté est un bien fragile.

Le « Pessah », qui n’est plus un agneau pascal depuis la destruction du Temple. Sur le plateau du Seder on pose un os rôti, jamais d’agneau dans les familles ashkénazes, pour se souvenir que le Temple est détruit, et que le culte sacrificiel ne se pratique plus. Un os rôti, (dans certaines familles bouilli) qui rappelle cependant l’agneau consommé la veille de la sortie d’Égypte. La mémoire vive du Judaïsme articule ainsi ses couches successives, la sortie d’Égypte mais aussi la destruction du Temple .

Cela peut paraître complexe, mais cela ne l’est pas, car c’est intégré et transmis de génération en génération avec beaucoup de soin et d’amour.
C’est bien cette mémoire dynamique qui se transmet, mais la Haggadah pressent que les réactions ne seront pas forcément positives : des 4 fils décrits seul le sage pose une question érudite et pourtant le récit et la pratique demeurent au cœur de notre tradition même si parfois l’héritage peut sembler lourd. La révélation du Sinaï nous agrippe toujours, même si nous cherchons quelquefois à lui échapper, disait quelqu’un dans mon entourage.

On peut en tirer une leçon édifiante : la transmission nous appartient entièrement, la réception du message nous échappe. Le récipiendaire en fera ce qu’il veut ou comme il peut et selon les étapes de sa vie. Mais moi, cette année comme tous les ans, je ferai tout pour faire un beau Seder, pour tracer un sillon profond.

Liliane Apotheker , avril 2013