Accueil > Documentation > Antisémitisme antisionisme > C’est par le silence que nous nous sentons mis à l’écart.

C’est par le silence que nous nous sentons mis à l’écart.

Afin d’élargir le débat et de sortir des réactions à chaud, une adhérente de l’AJCF nous propose de réfléchir plus profondément au malaise ressenti par les juifs au sujet de la possible béatification de Pie XII.


Si souvent, nous nous sentons incompris, il faut bien reconnaître que nous nous expliquons peu sur nos ressentis. Sans doute, avons-nous pris l’habitude de ces incompréhensions mutuelles et peut-être que la pudeur nous empêche de formuler ce qui précisément nous fait souffrir.
La question de la béatification de Pie XII revient en ce début d’année avec son cortège d’indignations de part et d’autre. "Pourquoi aller plus vite en béatification qu’en recherches historiques", disons-nous ; "c’est une affaire interne à l’Eglise qui seule décide qui elle vénère", rétorquent certains catholiques. Mais dans nos cœurs et dans nos consciences c’est bien le mot « silence » qui occupe la première place. Il me semble que cela mérite réflexion et qu’il est important qu’elle soit partagée.
Nous, les Juifs, ne supportons pas le silence, car c’est souvent par lui que nous nous sentons mis à l’écart, éjectés du cercle social, de la famille humaine, et ramenés ainsi à une solitude atavique.

Nous avons tous fait l’expérience si douloureuse, de ce silence, quand dans le cadre de notre vie professionnelle ou sociale, nous nous sommes sentis isolés tout à coup. Il suffit qu’au hasard d’une conversation surgisse un propos antisémite, ou une condamnation sans équivoque d’Israël, sans que personne ne réagisse, même par simple courtoisie, pour que s’éveille en nous cette anxiété profonde qui nous habite, comme un sismographe du malaise.
Souvent ce n’est pas tant le propos lui-même qui nous blesse mais l’absence de réaction des autres qui nous renvoie à la conscience biblique d’être de « ce peuple qui demeure seul ».
Je me souviens en particulier d’un lycéen dans un métro, riant de bon cœur avec ses camarades, mis en demeure tout à coup de défendre Israël, illégitime et assassin à leurs yeux, comme si tous les torts ne pouvaient être que de ce côté-là. J’avais beaucoup admiré son courage. Qui aime être ainsi éjecté d’un groupe quand par ailleurs on s’y sent bien ? Il ne s’était pas trouvé ce jour-là un seul de ses amis pour apporter de la nuance ou tempérer l’accusation si violente. C’est dur d’être Juif, me suis-je dit, mais personne ne nous a jamais fait la promesse de la facilité !

Qui n’a pas entendu des propos de table outranciers, antisémites, voire négationnistes en espérant que quelqu’un d’autre (que soi) prenne la parole pour les contrer. Souffrance due au silence… Peut-être est-ce de cette souffrance-là dont il s’agit devant le processus en béatification de Pie XII. Non pas de ce qu’il a vraiment fait pour mettre à l’abri les Juifs romains, mais de son silence pendant et après le mal abyssal de la Shoah. Comme si ce mal ne concernait que nous, qu’il était et demeure une affaire juive, qu’il n’aurait pas ébranlé à jamais les certitudes religieuses ou la philosophie. L’Église catholique qui a pratiqué un examen de conscience si profond l’a bien compris et cette Église a toute mon estime. Elle veut ce dialogue entre membres d’une même famille humaine. C’est ainsi que désormais elle se comprend, c’est ainsi qu’elle est plus vraie. Ce mouvement est irréversible, mais son chemin est une voie de crête avec des ravins des deux côtés.

Peut-être faut-il dire aussi à certains Juifs, notables ou pas, qu’à l’Amitié judéo-chrétienne nous ne sommes pas seuls, nous avons de l’amitié l’un pour l’autre. Cette amitié a dépassé depuis longtemps le stade de la convivialité, elle est faite d’exigence et de spiritualité. Elle s’appuie sur un travail commun qui permet de sentir les joies et les souffrances de l’autre, de sortir de cette éprouvante solitude. C’est précisément parce que j’ai de l’estime pour l’Église catholique que ce qu’elle décide m’importe. Certes, elle est souveraine et vénère qui elle veut, mais je ne veux pas la voir se couper à nouveau du monde, décider que le silence qui enferme autrui dans sa souffrance immémoriale n’a finalement pas beaucoup d’importance et peut même être qualifié de vertu héroïque.

Accompagner la souffrance de l’autre n’est-ce pas le fondement même de la foi chrétienne, n’est-ce pas le sens sublime de son message ?
C’est en tout cas ce que j’ai appris auprès de mes amis chrétiens dans notre association. C’est ce qui nourrit mon respect pour cette foi qui n’est pas la mienne. C’est pour cette raison que je ne pense pas que la béatification de Pie XII soit une querelle historienne ou une affaire interne à l’Église catholique.
Le silence d’hier et les raidissements d’aujourd’hui n’ont pas le droit d’entraver notre fraternité nouvelle. « Suis-je le gardien de mon frère ? » la réponse est en toute circonstance : oui.

A.S.