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Vichy, par Jean-Dominique Durand - Président de l’AJCF

L’Assemblée Générale de l’AJCF s’est tenue à Vichy les 24 et 25 octobre. Nous avons vécu dans cette ville si marquée, pour ne pas dire stigmatisée, par l’installation du gouvernement du maréchal Pétain entre 1940 et 1944, des moments forts et inoubliables grâce à la qualité de l’organisation par nos amis du groupe de l’Amitié Judéo-Chrétienne, qui porte le beau nom de Jacob Kaplan. Je remercie vivement au nom de toute la fédération de l’AJCF, son Président, le père Jean-Paul Chantelot, son Bureau en particulier Odette Galeski et leur équipe. Je remercie aussi pour son soutien, la Ville de Vichy et son maire Monsieur Frédéric Aguilera. Non loin de Vichy, à Riom, notre fondateur, Jules Isaac a vu sa famille arrêtée, et envoyée vers le néant. C’est à Vichy que la République a abdiqué ; les décisions les plus abjectes de collaboration avec les autorités nazies y ont été prises, engageant la France dans le déshonneur. Les Statuts excluant les juifs de la communauté nationale ont été signés à Vichy, et c’est dans cette ville qu’ont été prises les décisions concernant les rafles. Mais à Vichy, des résistants se sont dressés pour sauver le pays, certains, fonctionnaires, avec habileté et courage pour contrer des décisions perverses, d’autres parmi lesquels le gendre et le fils de Jules Isaac, avec les armes spirituelles ou les armes classiques, dans un combat inégal. Les grands leaders religieux, le Pasteur Marc Boegner, le Cardinal Pierre-Marie Gerlier, archevêque de Lyon, le Grand Rabbin Jacob Kaplan sont venus à Vichy, dans l’espoir de ralentir la machine infernale. Porter à leur suite les paroles du courage, de l’amitié et de la paix c’est pour l’AJCF rester fidèle à Jules Isaac et à tous ceux qui se sont battus, ici-même à Vichy, pour la paix et pour l’honneur de la République.

Curieusement, l’État dit de Vichy revient dans le débat public à l’approche d’une élection cruciale pour l’avenir de notre pays et de l’Europe, mais avec la volonté délibérée de certains de déformer la réalité historique. L’instrumentalisation de l’Histoire est un exercice politique dont les dictatures sont expertes. Hélas, réécrire l’Histoire est une tentation auxquelles nos démocraties cèdent de plus en plus. On en voit les effets délétères en Pologne et en Hongrie, États membres de l’Union Européenne, mais où se perpétuent des méthodes de gouvernement héritées du communisme. La France n’y échappe pas dans le contexte d’une société française profondément divisée. De la construction de l’identité nationale au régime dit de Vichy, en passant par l’Affaire Dreyfus, tout semble devoir être réécrit toujours dans l’intention de susciter des polémiques sans fin. On pourrait regarder cela avec mépris si un poison n’était insidieusement répandu, celui du doute universel, et surtout si les médias ne leur donnaient pas une diffusion des plus ambiguës.

L’Histoire n’est pas une science figée, et tout historien sérieux est par définition un révisionniste. Car il est dépendant des documents. La découverte d’un nouveau document peut l’amener à réviser une position, une connaissance. En même temps il y a des faits qui sont clairement établis, qu’il est impossible sous peine de manipulation, de modifier sans apporter des preuves nouvelles.

Ainsi peut-on affirmer que l’armistice du 22 juin 1940 aurait permis aux juifs de se mettre à l’abri du nazisme ? Où sont les documents qui permettraient d’illustrer une telle affirmation ? En fait ils n’existent pas. Bien au contraire, nous savons que dès le 3 octobre 1940, moins de quatre mois après la signature de l’armistice, le Statut des Juifs était promulgué, faisant des juifs français des parias, et le lendemain 4 octobre l’internement des juifs étrangers dans des camps était décidé, et le 7 octobre les juifs d’Afrique du Nord étaient déchus de la nationalité française. Un document récemment découvert a révélé le poids personnel du maréchal Pétain pour aggraver le sort des juifs. Curieuse protection que l’armistice aurait apportée aux juifs !

Peut-on parler d’une histoire « officielle » qui interdirait de se poser des questions, sans traiter par le mépris des décennies de travaux historiques fondés sur la rigueur scientifique, issus des universités françaises, américaines, britanniques, canadiennes, allemandes notamment ? Tous ces travaux ont été renforcés depuis les années 1970 par l’ouverture progressive des archives des États et des Églises. Ils ont pu évoluer au gré des découvertes de documents notamment dans les archives allemandes ou soviétiques. Mais les faits sont bien établis. Ils montrent la nocivité du régime de l’État français. Si des débats peuvent avoir lieu sur telle ou telle question, par exemple l’influence d’une personnalité, ou la genèse d’une prise de décision, l’essentiel est connu et ne peut être remis en question sans récuser gravement la rigueur de la recherche historique universitaire.
Peut-on répondre à certaines questions du genre « je ne peux pas répondre », sous-entendant que les faits ne seraient pas établis ? C’est semer le doute, c’est troubler volontairement l’opinion publique, c’est introduire le poison du relativisme notamment chez les esprits les plus jeunes. C’est aussi refuser de s’informer.

A l’issue de l’Assemblée Générale, l’Amitié Judéo-Chrétienne de France a déposé une gerbe devant la stèle qui rappelle, en face de l’Hôtel du Parc où le maréchal Pétain résidait, le sort que son gouvernement réservait aux juifs.

23 novembre 2021