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Allocution de Mgr. Jordy

Bien cher Docteur Prasquier,

Je suis très heureux et honoré de pouvoir être présent ce soir au Collège des Bernardins pour cette remise du Prix de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France. Nous savons vous et moi, et ceux qui sont ici présents, ce que représente cette association dans l’histoire du dialogue entre juifs et chrétiens. Ce chemin de l’amitié entre juifs et chrétiens a maintenant plusieurs décennies. Il fait suite à de longs siècles marqués par ce que l’on appelle communément « l’enseignement du mépris ». Comme nous le savons, ce chemin de l’amitié que l’Église catholique a souhaité prendre depuis Vatican II de manière irréversible ne s’est pas d’abord enraciné dans un terreau institutionnel. Les fondements de l’amitié entre juifs et chrétiens, ce sont ceux qu’ont osé poser des hommes et des femmes libres et audacieux qui ont su dépasser les incompréhensions et les drames de l’Histoire pour écrire au présent l’histoire d’une relation nouvelle entre nos deux communautés. S’il y a bien entendu les figures fortes des commencements comme Jules Isaac ou le saint pape Jean XXIII, il y a aussi et surtout tous ces liens qui se sont tissés peu à peu et qui sont passés par tant de personnes anonymes dans les milieux associatifs et les rencontres personnelles. L’AJCF a ici une place originale et unique, cultivant tout à la fois le souci amical et intellectuel pour que sur les bases du dialogue et de la découverte mutuelle puisse se bâtir une espérance commune.

Ce chemin de l’amitié a ainsi d’une certaine manière préparé, balisé, porté, la réflexion du Concile Vatican II qui allait aboutir à la rédaction et à la promulgation de Nostra Aetate, ce texte dont nous célébrons les 50 ans. L’Église catholique ouvrait un nouveau chapitre de ses relations avec le judaïsme parce qu’elle consentait, à la lumière de l’expérience et sous l’action de l’Esprit, à transformer son regard sur les autres et plus particulièrement sur nos frères aînés dans la foi. Depuis, les papes successifs - le bienheureux Paul VI, saint Jean-Paul II, Benoît XVI et François aujourd’hui - n’ont eu de cesse de confirmer par leurs paroles, mais aussi par des gestes symboliques, que quelque chose a profondément changé entre juifs et catholiques. Oui, l’engagement dans le dialogue et dans l’amitié est désormais irréversible.

Cher Docteur Prasquier, c’est dans le cadre de ces relations renouvelées, comme Président du Service des Relations avec le judaïsme, qu’il m’a été donné de vous rencontrer, d’apprendre à vous connaître. J’ai pu, lors de nos trop rares mais riches échanges, comprendre un peu mieux grâce à vous, de l’intérieur, ce qu’est la vie des juifs de France, avec leurs joies mais aussi leurs inquiétudes avec, faut-il le rappeler, la montée de l’antisémitisme en France depuis quelques années. J’ai découvert chez vous une grande simplicité relationnelle, une parole claire et une formidable mémoire qui vous donne un regard unique sur le lien entre le judaïsme et la France, dont vous parlez avec ferveur.

Vous êtes aussi un ami de l’Église catholique en France, avec laquelle vous avez tissé des liens nombreux depuis bien des années. Vous avez côtoyé les personnalités de cette Église de France en cette dernière décennie, mais aussi, plus simplement, des personnes engagées dans le dialogue dans les paroisses et dans les associations, dont l’AJCF, des personnes avec lesquelles vous aimez volontiers échanger. Tout cela me conduit aujourd’hui à vous remercier sincèrement et à vous dire toute l’estime que j’ai pour vous.

Bien entendu, il ne faut pas le cacher, ce dialogue avec l’Église catholique en France n’a pas toujours été simple. Certains ont compris et soutenu votre engagement, d’autres n’en ont pas toujours perçu le sens et la légitimité. Mais je souhaite vous dire que, par votre persévérance dans l’ouverture aux autres, vous avez permis au dialogue judéo-catholique en France de progresser vraiment. Comme Président national du CRIF, vous avez en particulier permis que les liens institutionnels avec l’Église catholique se pérennisent et se renforcent. Je veux ici relever simplement, mais avec le poids que vous avez donné par votre engagement, l’accueil que vous avez réservé aux évêques de France après la repentance à Drancy, votre engagement dans le règlement du lourd contentieux concernant l’installation du Carmel dans le camp d’Auschwitz, et bien d’autres situations encore.

Mais votre engagement ne s’est pas limité à un partenariat social ou politique. Il a aussi été spirituel, ce qui n’étonnera aucune des personnes qui vous connaissent. Ainsi vous étiez présent aux funérailles du pape Jean-Paul II, et c’est bien vous qui adressiez la parole au pape Benoît XVI lors de son voyage à Paris au nom de votre communauté. C’est aussi grâce à vous, j’en ai été le témoin personnellement, que le mémorial Jean-Marie Lustiger a pu voir le jour à Abu Gosh et devenir ce lieu hautement symbolique de cette amitié que vous servez depuis tant d’années.

Il y a donc une grande cohérence et du sens à ce que vous receviez aujourd’hui ce Prix qui honore l’engagement d’un homme et dit la qualité de son cœur. Au nom des évêques de France que je représente, je vous dis encore une fois merci pour cet engagement et me réjouis que vous receviez aujourd’hui ce Prix.

+ Vincent Jordy

Evêque de Saint-Claude
Président du Conseil pour l’Unité des Chrétiens
et les Relations avec le Judaïsme