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Jardin perdu - Chambre haute

par Dominique Cerbelaud
Editions Passiflores, 8,00 € et 13,50€

Je voudrais rendre compte ici de la lecture émerveillée que je viens de faire de deux petits livres récemment écrits par le théologien Dominique Cerbelaud op et parus aux éditions Passiflores en 2015 et 2017. « Petits », parce que, comme la plupart des ouvrages édités par cette Maison, ils tiennent facilement dans la poche. Mais, comme j’avais déjà pu le constater en lisant avec bonheur les Détails d’Évangile de la théologienne protestante Marion Muller-Collard, ou d’autres encore du pasteur Matthias Helmlinger, leur petite taille n’enlève absolument rien à leur valeur, et ceux de Dominique Cerbelaud en sont un magnifique exemple.

Les membres de l’AJCF se souviennent sans doute de son excellent Écouter Israël, paru aux éditions du Cerf en 1995, ou de son beau commentaire de la Transfiguration - Sainte Montagne - paru chez Lethielleux en 2005. Et voilà que par-delà ses savants articles récemment publiés dans Sens sur les Pères de l’Église, dont il condamne sans nuance aucune l’antijudaïsme, Dominique Cerbelaud nous fait le don de ces deux petits joyaux.

Jardin perdu , publié en 2015 (et qui fit déjà l’objet d’une recension d’Yves Chevalier dans le n° 410 de Sens de janvier-février 2017), est un commentaire, verset par verset, des chapitres 2 à 4 de la Genèse (plus exactement de 2,4b à 4,17), dont il livre d’abord sa propre traduction, dans une langue rugueuse qui permet de rester au plus près de l’original hébreu, et dont, avec grande érudition, il scrute les moindre détails, se reportant volontiers aux versions grecque, araméenne ou syriaque que cet érudit connaît fort bien.
L’introduction de ce 1er ouvrage est, en trois brèves pages, un modèle de présentation de ce que peut être - ce que devrait être - toute lecture biblique.
Les premiers mots, à eux seuls, car notre ami n’y va pas par quatre chemins, suffisent à la résumer : « Il s’agit d’oublier tout ce que nous savons. Ou croyons savoir. »
En sept chapitres, courts mais denses, l’auteur nous livre ensuite quelques sens des passages étudiés- des bribes, certes, eu égard aux 70 sens que contient, selon la tradition juive, chaque verset -, mais toujours frappants et susceptibles d’éveiller de multiples échos.
Pour donner envie aux lecteurs de ces lignes de se précipiter pour acheter le livre, j’en citerai deux passages :
2,18 : Et le Seigneur Dieu dit : « Pas bon pour l’homme d’être à sa solitude. Je lui ferai un aide comme son encontre ».
C’est la première mention du « pas bon ». Elle fait suite à celle de l’arbre à connaître bon et mauvais. L’acteur divin sait donc ce qu’il en est du « bon » et du « pas bon ». Comment éviter à l’homme le « pas bon » de la solitude ? En lui faisant « un aide comme son encontre ». Deux notions qui pourraient sembler contradictoires : il s’agit à la fois de coopération et d’opposition !
Le sexe de cet autre reste à ce stade indéterminé, « neutre ». Du reste, le Seigneur Dieu commencera par « essayer » les animaux…
Les anciennes versions bibliques ont respecté cette neutralité… mais pas la connotation d’opposition. Systématiquement elles en ont fait une apposition, transformant l’autre de sujet en objet […]
Pourquoi un tel évitement de l’opposition ? Pourquoi réduire ainsi l’autre au même ? Y aurait-il ici de l’impensable ?
C’est sans doute la fécondité de l’opposition qui reste difficile à penser : l’autre aide en étant « à l’encontre » et non pas en étant « avec ». C’est l’altérité qui brise la coquille de solitude, et non l’identité…

Et encore :

3,9 : Et le Seigneur Dieu cria vers l’homme et il lui dit : « Où es-tu ? »
C’est l’immense question.
La toute première question que pose à sa créature le Seigneur Dieu.
Elle ne cesse pas de résonner depuis l’origine. Pour que chacun de nous l’entende. Il ne s’agit pas, bien entendu, de localisation physique : rien ne serait plus facile, pour le Créateur, que de savoir où l’homme se cache ! Il s’agit bien plutôt, à la lettre, de « métaphysique ». Il faut comprendre : « Où en es-tu ? », et même « Qu’es-tu devenu ? »
Une perte s’est produite. Le Seigneur Dieu a perdu de vue sa créature. Et réciproquement. Car désormais chaque fils d’Adam « tout le jour entend dire : ‘Où est-il, ton Dieu ?’ » (Ps. 41-42,4).

Cet amoureux passionné de l’Écriture – et notamment du Premier Testament et de la tradition juive - l’est aussi, on ne s’en étonnera pas, du Nouveau Testament et de la tradition chrétienne. Mais là où un lecteur chrétien – disons, pressé – s’étonnerait davantage, c’est de constater, en ouvrant le 2e ouvrage de Dominique Cerbelaud (ce que Sainte Montagne montrait déjà) combien l’Écriture chrétienne est…. juive !

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Chambre Haute , publié en juin 2017, est un commentaire du début des Actes des Apôtres (plus exactement 1 – 2,36).
Après une courte introduction où il rappelle les différentes occurrences de l’expression « Chambre haute » puis, avec émotion, les derniers mots d’Etty Hillesum, jetés du train (« Le Seigneur est ma chambre haute »), l’auteur à nouveau commente, verset par verset, ou parfois plus rapidement, les deux premiers chapitres des Actes, à partir de sa propre traduction.
Il est impossible de relever les innombrables mots ou expressions employés par Luc (les « Douze », les « quarante jours », le « chemin de shabbat », la « nuée », la « chambre haute », « hommes frères », le « tirage au sort » pour remplacer Judas, « l’accomplissement du jour de la Pentecôte », etc.) que Dominique Cerbelaud met en relation avec l’Écriture et la tradition juives. Le texte des Actes en prend une saveur et un relief incomparables.
L’originalité de ce deuxième ouvrage réside aussi dans l’ajout de 5 « excursus » aux 6 chapitres que constituent les commentaires des versets, des excursus qui sont de brefs mais véritables enseignements sur telle ou telle question posée par le texte lucanien ou plus largement par la tradition chrétienne (par exemple : pourquoi fallait-il à tout prix « remplacer » Judas ? ; ou : s’agira-t-il de « venue » ou de « retour » du Christ ?), et cela toujours en lien avec la tradition juive.
Je ne peux terminer sans mentionner les conclusions de chacun de ces livres, que notre auteur nomme joliment « ouverture ».
Chacune vaut pour elle-même. Celle de Jardin Perdu ramasse en huit pages d’une grande densité l’histoire des relations entre juifs et chrétiens, sans manquer de rappeler combien longtemps l’Église a, face au peuple d’Israël, tenu le rôle de Caïn, mais pour saluer la « nouvelle ère » qui vient de s’ouvrir.
Quant à celle de Chambre Haute, elle est une invitation (que traduit déjà son nom d’ « ouverture ») que l’auteur lance aux chrétiens à redécouvrir « la judaïté foncière de leurs textes fondateurs » et à œuvrer aux « retrouvailles entre les Églises chrétiennes et le peuple d’Israël », en se rappelant que l’Église, leur mère, est en même temps fille, puisque
« Sion, chacun lui dit : Mère !
Car en elle chacun est né » (Ps 86-87,5).
On l’aura compris : la lecture de ces deux ouvrages fera les délices des membres et amis de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, y compris, quant on est juif, la lecture de Chambre Haute. Elle a en tout cas fait les miennes.

Jacqueline Cuche