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Israël au quotidien, revue ETHNOLOGIE FRANÇAISE

ETHNOLOGIE FRANÇAISE
Tome XLV, n° 2, Avril-Juin 2015, p. 197-399, 24 €
PUF

A travers différents thèmes, (in)sécurité, santé, alimentation, ethnicité, des chercheurs israéliens et étrangers, définissent le quotidien israélien comme le paradoxe d’une vie d’oppositions : paix et guerre, juifs et arabes, ashkénazes et mizrahi, hyper modernité et tradition, science et religion, Tel-Aviv et Jérusalem.

Présentation de ce numéro par l’éditeur

Depuis la formation de l’État d’Israël, les migrants juifs n’ont cessé d’affluer par vagues successives en provenance de presque toutes les parties du monde, apportant avec eux une variété de cultures et d’identités forgées par un millénaire de diaspora. Parallèlement, les Arabes originaires de cette terre – musulmans, chrétiens, druzes, circassiens, ou bédouins – sont devenus citoyens de ce nouveau pays reconnu par l’ONU en 1947 comme le foyer du peuple juif.
Ainsi s’est constituée une société unique en son genre, incarnée dans ses deux grandes villes qui ne peuvent être plus opposées : à soixante kilomètres de Jérusalem, capitale du pays, ville religieuse, conservatrice et intolérante, Tel Aviv, « la première ville hébreu » est devenue la destination des jeunes désireux de faire la fête.
Centré sur l’étude du quotidien, ce numéro d’Ethnologie française s’inscrit dans le renouvellement des perspectives anthropologiques qui explorent la société israélienne à travers trois sujets-clés : les questions existentielles d’(in)sécurité et de contestation des frontières, les significations et les motivations liées à l’alimentation et à la santé, et les ramifications actuelles de l’immigration et de l’ethnicité. Chacun de ces essais traite empiriquement et analytiquement du « paradoxe israélien », mot-parapluie recouvrant les différentes énigmes et contradictions de la vie normale en Israël, qui n’a décidément rien de normal.

 Entre guerre et paix : Israël au jour le jour.

Fran Markowitz, Dafna Shir-Vertesh, Université Ben Gourion du Néguev

La situation vécue en Israël est une tension entre la normalité du quotidien et une atmosphère de quasi-guerre toujours présente. Les habitants de Beer-Sheva ont vécu cette situation en 2012 durant les opérations contre Gaza, en intégrant l’utilisation des abris collectifs ou privatifs dans leur vie quotidienne. « Un mode de vie et d’être de plus en plus accepté et acceptable ».

 « Une nation start-up », la créativité israélienne, ressource géo-politique.

Yoël Tawil, Université Ben Gourion du Néguev

Il s’agit du paradoxe entre la réalité de « l’état prospère » de la nation « start-up » à la très grande richesse entrepreneuriale et le ressenti de « l’état survivant » dépourvu de richesses naturelles. « La créativité juive, favorisée par la marginalité, est, en partie, dérivée de la persécution des Gentils ». Reliée à cette libre créativité, l’industrie de haute technologie est considérablement connectée au complexe militaro-industriel.

 Prier ou danser à Hébron, fondamentaliste et contestation dans un lieu sacré.

Michael Feige, Université Ben Gourion du Néguev

La vieille ville d’Hébron, « lieu ultime juif et sioniste » est l’héritage d’un lourd passé. En 1929, 67 Juifs sont tués par les Arabes, en 1974, Baruch Goldstein tue 29 musulmans dans le tombeau des Patriarches. L’impossibilité de vivre ensemble est illustrée par deux reportages : la visite d’un groupe de colons, encadré par l’armée, qui prient en chantant à tue-tête et dont les chants sont ensuite couverts par la prière provenant du haut-parleur de la mosquée. Un groupe de soldats israéliens patrouille dans les rues désertes en scrutant les alentours, soudain une musique moderne les surprend et ils dansent quelques instants : espérance d’un futur pacifié ou atteinte à la sécurité ?

 La cuisine italienne en Israël, un désir d’Europe au Moyen-Orient

Nir Avieli, Université Ben Gourion du Néguev

La cuisine italienne, et en particulier les pizzas, est la cuisine préférée des juifs israéliens. Elle arrive principalement des États-Unis après la guerre de 1967. Les raisons principales : abondance des portions pour un prix raisonnable, importance des produits laitiers, bon accueil aux familles. « En adoptant cette cuisine, « méditerranéenne » comme eux, les juifs israéliens peuvent s’imaginer faire partie de l’Europe ».

 Le houmous et le bio en Israël : comment un plat national devient cosmopolite.

Rafi Grosglik, Universités de Tel-Aviv et Ben Gourion du Néguev

Le houmous, emprunt des colons juifs aux Palestiniens, est devenu dans sa version bio un des mets préférés des consommateurs d’aliments naturels. Il occupe une place de choix dans la liste des « plats nationaux ». C’est un signe d’enracinement local et d’appartenance à la nation israélienne, bien qu’une des principales usines de fabrication se trouve en territoire palestinien.

 Apprendre à ne pas voir, santé et politique dans le sud israélien

Na’amah Razon, Université de Californie

Dans un hôpital du sud d’Israël, tandis que les professionnels de santé affirment que tous les patients sont soignés de la même façon, les familles bédouines se plaignent de discriminations. En effet, si les soins sont bien identiques, il n’est pas possible d’ignorer les différences d’environnement social : qualité des routes entre l’hôpital et le logement, absence de transports publics, d’électricité, problème de langue. « Parce qu’elles se contentent de restreindre l’horizon de l’égalité sans réellement produire de l’égalité, les différences demeurent prêtes à refaire surface ».

 Les dilemmes du diagnostic prénatal cacher et la montée d’un nouveau leadership rabbinique.

Tsipy Ivry, Université de Haïfa

Une organisation religieuse sioniste à but non lucratif « Fécondité et médecine à la lumière de la halakha » utilise les désaccords des autorités ultra-orthodoxes sur ces sujets. Elle propose un accompagnement et des avis adaptés à chaque cas. « En assumant ces responsabilités morales, les rabbins, en fait, attrapent la patate chaude, au grand soulagement de nombreux médecins et patients ».

 Marginalité créative, la scène alternative judéo-arabe de Tel Aviv-Jaffa.

Daniel Monterescu, Université d’Europe Centrale, Budapest, Miriam Schickler, anthropologue, Munich

Après les manifestations brutalement réprimées dans la ville judéo-arabe de Jaffa en octobre 2000, différents groupes palestino-israéliens ont reconstruit un « vivre ensemble ». Café avec programme culturel qui rassemble une altérité cosmopolite et branchée, organisation de manifestations musicales, artistiques et culturelles par un groupe d’artistes israéliens juifs et de Palestiniens, café librairie fondé par une Juive et un Palestinien, groupe de hip –hop qui chante en arabe, hébreu, anglais et russe. Ces différentes initiatives ne se sont pas toutes maintenues « Mais, dans le contexte actuel, le simple fait d’imaginer un monde différent, postnational, est en soi un progrès ».

 Retour sur la dépossession, Israël, la Nakba, les choses.

Rebecca L. Stein, Université Duke, Durham, États-Unis

Quelle est la mémoire israélienne des « choses » (biens mobiliers et immobiliers) abandonnées par les palestiniens enfuis ou expulsés lors de la guerre de 1948-1949 ? Des études universitaires montrent l’étendue des pillages effectués et la découverte « d’une vibrante culture cosmopolite au sein d’une population qui, dans la vision du sionisme dominant, en était dépourvue ». La mention de « maison arabe » dans l’immobilier israélien actuel n’est pas une évocation mémorielle mais un argument de qualité.

 Le musulman palestinien sur la scène carcérale, un manuel du Hamas destiné aux prisonniers politiques.

Esmail Nashif, Université Ben Gourion du Néguev

Comme de nombreuses organisations palestiniennes, le Hamas a édité un manuel intitulé « Lutter dans les ténèbres » qui enseigne à ses cadres comment se comporter pendant leur arrestation et leur interrogatoire. Il se compose de quatre chapitres : Typologie des arrestations, styles d’interrogatoire, rôle des collaborateurs dans les salles d’interrogatoire et « salles de la honte » (où des palestiniens collaborateurs se font passer pour des résistants auprès du nouveau détenu). La situation carcérale engendre le texte de ce manuel (entextualisation) qui, lui-même, fait évoluer cette situation (contextualisation).

 Le discours sur la blackness en Israël, évolution et chevauchements

Gabriella Djerrahian, Université McGill, Montréal

L’arrivée des Juifs éthiopiens à partir des années 1980 a fait progresser les Juifs originaires du Moyen Orient (Mizrahim) dans la hiérarchie sociale, mais la revendication de blackness la plus visible émane d’une formation hip-hop de jeunes palestiniens citoyens d’Israël. Cette arrivée « a chambardé la hiérarchie ethno-raciale intra-juive existante sans pour autant ébranler la distinction primordiale « racialisée » entre Arabes et Juifs.

 Criminalisation, israélisation et couleur de peau, les demandeurs d’asile africains en Israël.

Lisa Anteby-Yemini, Université Aix-Marseille

Face à l’afflux de migrants africains, Israël a construit en 2013 une clôture le long de la frontière israélo-égyptienne. Néanmoins des milliers d’Érythréens et de Soudanais travaillent dans la restauration, le nettoyage et la construction. La société civile et les ONG ont été déterminantes dans la gestion humanitaire de ces réfugiés. « Les Israéliens d’origine éthiopienne, les perçoivent, soit comme une menace pour leur propre identité, soit les défendent pour dénoncer le racisme dans la société israélienne ».

 Les concours de beauté, enjeux de l’israélianité

Keren Mazuz Université Ben Gourion du Néguev

Deux concours de beauté ont eu lieu presque simultanément, « Reine de Beauté Israël », pour les citoyennes israéliennes et « Miss Asie-Israël » pour les migrantes étrangères. Dans le premier, toutes les candidates ont la peau claire et des cheveux blonds et se présentent dans un tenue identique, la vidéo les associe à quatre symboles d’Israël : le kibboutz, le Mur Occidental, le falafel et les danses folkloriques. « Les femmes ashkénases incarnent les images nationales de ce que sont et devraient être les femmes israéliennes ». Dans le second concours, les tenues différentes et les présentations individuelles célèbrent « l’altérité et la différence dans lesquelles rien n’est familier ni connu d’avance ».

 « Russe » dans l’État juif, le sang, l’identité et l’administration nationale

Julia Lerner, Université Ben Gourion du Néguev

L’arrivée de plusieurs centaines de milliers d’immigrés russophones, ignorant de l’héritage religieux et pratiquant le mariage mixte, a provoqué un doute sur leur identité juive selon les critères officiels d’appartenance. « Dès ses débuts, l’État laïc juif s’est servi de la religiosité pour « corriger » et israéliser les immigrants problématiques ». Les situations absurdes auxquelles sont confrontés ces immigrants proviennent des contradictions, d’une part, entre les conceptions soviétique et israélienne de la judéité et, d’autre part, entre la citoyenneté et la nationalité en Israël.

A travers des études de la société israélienne, cette revue exprime la tension du vivre ensemble des différentes composantes de cette société.

Bernard Marx