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Georges-Élia SARFATI : La tradition éthique du judaïsme - Introduction au Moussar

Ce livre a le grand mérite d’être le premier ouvrage en langue française à envisager dans son ensemble le mouvement du Moussar.
Il propose la première synthèse en français sur plus de deux mille ans de tradition.

À lire : une recension de Bruno Charmet

La tradition éthique du judaïsme - Introduction au Moussar
par Georges-Élia SARFATI

Berg International, 2014, 207 p., 16 €

Ce livre a le grand mérite d’être le premier ouvrage en langue française à envisager dans son ensemble le mouvement du Moussar.
Il existait bien jusque-là des traductions et des études sur telle ou telle figure ou œuvre de ce mouvement éthique, tels Bahya ibn Paqûda et ses Devoirs des Cœurs (Hovot Halevavot) (fin du 11e siècle), Moshé Hayyim Luzzatto (1707-1746) et Le Sentier de Rectitude (Messilat Yesharim), ou bien encore, à l’époque contemporaine, Rav E. E. Dessler (1892-1953).
Mais jamais jusqu’à présent nous n’avions eu une synthèse se voulant un panorama historique de l’ensemble de cette école qui trouve ses racines dans la Bible.
En effet, l’auteur insiste sur la présence et la signification de ce terme, Moussar, dès les écrits bibliques, notamment sapientiaux, dans le Livre des Proverbes (1, 1-2), par exemple. C’est l’objet de son premier chapitre, Les racines universelles du Moussar (pp. 13-23).

Mais avant d’aborder l’histoire de ce mouvement, il est bon de se demander quelle est la signification de la racine du mot Moussar, communément traduit par éthique ou morale. La racine, en hébreu, indique, outre l’idée d’instruction, d’exhortation, celle de discipline, de réprobation, de correction, de punition et de châtiment. Et d’emblée, nous avons ici une indication précieuse qui nous permet de mieux comprendre le perpétuel travail sur soi, l’ascèse qui singularise l’étudiant en Moussar, notamment dans les grandes yeshivot lituaniennes, à travers les mitnaguedim [opposants] qui s’affrontent aux hassidim au 19e siècle, ces derniers célébrant leur judaïsme dans la joie et l’exaltation.

G.-É. Sarfati n’hésite pas à parler, pour caractériser le mouvement du Moussar, d’une « pédagogie du soin de l’âme » (p. 155), avec un travail sur les Middoth (traits de caractère) à convertir en permanence pour en faire des vertus. Mais il insiste aussi sur l’esprit d’un tel exercice : il importe que cette exigence propre se traduise en souci d’autrui, au sens où nul ne peut avoir le souci de soi, si ce souci n’est pas en même temps inquiétude pour l’âme et le soin de l’âme du prochain (pp. 162-163). C’est là l’un des traits sur lesquels insistera particulièrement Rav Israël Salanter, au 19e siècle, qui donna une nouvelle impulsion au mouvement du Moussar en Lituanie.
E. Levinas, qui venait lui aussi de Kovno, citait volontiers cette sentence de Rav Salanter qu’il faisait sienne et qui illustrait si bien sa propre philosophie de l’altérité : Les besoins matériels de mon prochain sont des besoins spirituels pour moi.1 Certes, il reprenait de façon ramassée la pensée d’Israël Salanter, mais c’était bien la même idée.
Voici la recommandation explicite que ce dernier faisait à ses disciples : Donnez toujours priorité à vos besoins spirituels sur vos besoins matériels. Mais en ce qui concerne les autres, rappelez-vous qu’aider un autre Juif dans ses besoins matériels est pour vous un geste de spiritualité.2

L’auteur suit la continuité et les développements de la tradition éthique du judaïsme, depuis la fin de l’antiquité et le haut Moyen-Âge [Saadia Gaon (882-942) et son Sefer Emounot Dêot], en passant par les grands maîtres les plus connus, Maïmonide, Nahmanide, le Gaon de Vilna, mais également une multitude d’auteurs peu connus, jusqu’au Rabbi Shlomo Wolbe (1914-2005), disciple de Rav Dessler.

L’étude du Moussar constitue l’essence même du judaïsme, il en est son cœur et traverse les communautés juives en diaspora et en Israël, aussi bien ashkénazes que sépharades, ainsi que ses expressions les plus diverses, mystiques autant que rationalistes, depuis la kabbale de Safed jusqu’au mouvement de la haskala.
Ce sont toutes ces dimensions qu’explore avec grande précision G-É. Sarfati, souvent en traduisant des extraits de ces œuvres. En outre, l’auteur montre toute l’originalité de l’anthropologie du Moussar (pp. 151-153), de sa psychologie (pp. 153-155) et de sa pédagogie (pp. 155-162).

Par facilité, on résume encore aujourd’hui le mouvement du Moussar à l’essor que le Rav Salanter (1810-1883) lui a donné en Lituanie. Il est vrai qu’un renouveau extraordinaire s’est opéré grâce à sa personnalité, son charisme, ses disciples, ses yeshivot, notamment celle de Volozhyn (1802-1892) avec son fondateur, rabbi Hayyim de Volozhyn (1759-1821) et son maître ouvrage, Nefesh Hahayyim (L’âme de la vie).
Mais tout cela ne doit pas nous faire oublier la continuité de cette tradition éthique du judaïsme qui parcourt toute son histoire. C’est là le grand avantage de ce livre que de proposer une première synthèse en français sur plus de deux mille ans de tradition.

1 E. Levinas, Du sacré au saint. Cinq nouvelles lectures talmudiques, éd. de Minuit, 1977, p. 20.
2 S. Finkelman, Rav Israël Salanter, éd. Raphaël, Paris, 1989, p. 11.

Bruno Charmet