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Qu’en est-il du lien à Israël ?

Troisième question d’une série de cinq posées à Mireille Hadas-Lebel par le Centre culturel de l’Ambassade de France auprès du Saint-siège

Auteur : Mireille Hadas-lebel, Professeur à l’université de Paris IV-Sorbonne où elle enseigne l’histoire des religions, membre du Comité Directeur de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France.

Publié avec l’autorisation de l’auteur et du site Massorti.com où ce texte est paru en premier.

Pour l’immense majorité des Juifs, pratiquants ou non, s’ajoute encore le lien à Israël.

La grande presse manque de discernement quand elle met en relief les prises de position de tel ou tel groupe ou individu juif hostile à Israël qui reste marginal et dont la représentativité est quasi nulle. Il ne faut pas s’y tromper : les Juifs sont profondément attachés à Israël, même s’il leur arrive de formuler des critiques à son égard. Elie Wiesel a pu dire : « Je ne vis pas à Jérusalem, mais Jérusalem vit en moi » ; beaucoup partagent ce sentiment.

Voilà posée la question du sionisme puisque Sion est un des noms poétiques de Jérusalem. Les ennemis d’Israël ont réussi un coup de maître : faire du terme "sioniste" une injure, un délit gravement punissable comme au temps du Rideau de fer, voire un complot mondial, comme dans les délires d’Ahmadinedjad.

Pour lever ces fantasmes absurdes, faisons un peu d’étymologie. Le terme "sionisme" apparu pour la première fois sous la plume d’un publiciste de langue allemande en 1890, combine en lui deux époques : Sion, nom d’une colline de Jérusalem, nous vient directement de l’Antiquité, -isme est le suffixe de toutes les idéologies modernes . Né au XIXème siècle sous sa forme politique dans la foulée de l’éveil des nationalités, le sionisme n’est rien d’autre que le mouvement national des Juifs qui ont rêvé de retrouver la terre et la langue de leurs ancêtres . A ce titre, malgré ses apparences utopiques , il est peut-être, la seule grande idéologie de ce temps qui ait réussi. Dans l’introduction à son livre sur le sionisme, Walter Laqueur se place à la veille de 1914. Quelle était l’hypothèse la plus plausible alors : que le parti socialiste allemand prenne le pouvoir et que le socialisme gagne les autres pays d’Europe ou que les Juifs réussissent à établir un État sur la terre biblique ? Je sais ce que vous et moi aurions répondu.

Le sionisme a de fait existé bien avant l’apparition du terme. J’oserai dire que la Bible tout entière est sioniste puisqu’elle est traversée par l’amour de Sion, que la liturgie juive dans son ensemble – et pas seulement la formule : « L’an prochain à Jérusalem » que l’on a montée en épingle – sont sionistes. N’y a-t-il pas une Terre promise, n’y a-t-il pas l’espoir du retour à Sion après la destruction du premier Temple (-587) , n’y a-t-il pas la réalisation de cet espoir (à partir de -538) grâce à un Perse nommé Cyrus qui apparaît comme l’instrument de Dieu ? Ce premier retour constitue, après la destruction du Second Temple par Titus en l’an 70, un modèle attendu pendant des siècles en vue de la Rédemption et qui nourrit toute la liturgie juive.

On comprend dès lors difficilement que des groupuscules ultra-religieux (notamment les Naturei Karta, les gardiens de la cité qui vivent à Jérusalem dans le quartier de Méa Shéarim ) soient aussi violemment antisionistes. C’est que ,de leur point de vue, la Rédemption doit venir directement du Seigneur, et ceux qui l’ont entreprise de façon profane en bâtissant de leurs mains un pays sont des impies. Ils mettent ainsi le doigt sur le fait que le sionisme politique qui a abouti à la création d’un État moderne n’est pas en soi religieux.

Même non-religieux, le sionisme se fonde sur toute une histoire qui inclut la Bible à sa base ; il porte la nostalgie d’un temps où le peuple juif vivait libre sur sa terre, il offre un asile aux persécutés d’hier et qui sait ? de demain ; par la force de la volonté et de l’amour qu’il portait à l’hébreu, il a fait revivre une langue oubliée – un cas unique dans l’histoire de l’humanité ; après des siècles d’opprobre, il a réussi pleinement la « régénération » des Juifs que prônait en France l’abbé Grégoire par le retour à la terre et à divers métiers interdits aux Juifs tant en Europe qu’en Orient à partir du Moyen Age.

De nos jours, la grande majorité des Juifs à travers le monde sont sionistes , non pas au sens qu’ils souhaitent tous s’installer en Israël mais au sens qu’ils soutiennent l’existence de l’État d’Israël et ne peuvent supporter les appels à sa disparition. Nombreux sont ceux qui y ont de la famille. Ceux qui viennent en simples touristes admirent ses réalisations culturelles, scientifiques, industrielles qui ont fait de lui en moins de soixante ans un pays développé , malgré un environnement hostile. En 2009 on célèbrera les cent ans de Tel Aviv, la première ville juive créée ex nihilo depuis l’Antiquité.

Israël est pour beaucoup de Juifs une cause de fierté et aussi ce qui semble donner à une histoire bimillénaire si tragique, un espoir, une porte sur un avenir meilleur ; certains esprits plus religieux parlent même de « début de la Rédemption ».

Certes, il existe de nos jours des Juifs qui se disent "anti-sionistes" ou qui, sans utiliser ce terme, vous diront qu’ils ne mettront à aucun prix les pieds en Israël. Parmi ces derniers il y a ceux qui craignent de compromettre leur intégration au pays où ils vivent et être exposés à l’accusation de "double allégeance". Cette crainte avait déjà fait supprimer toute mention du "retour à Sion" des livres de prières "réformés" au XIXè siècle . Dans un monde de plus en plus ouvert où le nationalisme étroit n’est plus de mise, où les identités plurielles sont de plus en plus fréquentes , c’est un vestige.

Beaucoup plus militants sont les vieux communistes, les gauchistes qui ont fleuri en mai 68 et les alter mondialistes. Ceux-là voient dans la cause palestinienne une sorte de cause sacrée, qui a pris le relais des combats révolutionnaires et sont fiers de se prévaloir de leurs origines juives pour affirmer leur différence. Ils ont quelques relais dans l’intelligentsia israélienne qui, comme toute intelligentsia occidentale, a aussi ses contestataires , et fait appel à l’extérieur quand elle ne réussit pas à se faire entendre à l’intérieur.

Pendant la deuxième intifada, l’impression qu’Israël était outrageusement calomnié dans les médias a provoqué un sursaut de solidarité et même rapproché de la communauté certains ex-gauchistes. Ce qui maintenant provoque les pires inquiétudes c’est la nucléarisation de l’Iran associée aux imprécations de son président, c’est l’expansion d’un islamisme ouvertement antisémite qui désigne « l’ennemi du genre humain » à la tribune des Nations Unies et se fait applaudir.

Si Israël réunit les Juifs dans la fierté ou l’inquiétude, il peut être aussi source de divisions, surtout depuis les accords d’Oslo quand on aborde les moyens de parvenir à la paix. Sans entrer dans les controverses des divers partis politiques d’Israël, les Juifs de la Diaspora sont globalement favorables à la solution de deux états , l’État d’Israël et l’État palestinien vivant côte à côte .C’était déjà leur position en 1947 lorsque fut voté le plan de partage de l’ONU prévoyant la création d’un état juif et d’un état arabe sur le territoire de la Palestine mandataire, un plan qui avait été accepté par Israël et refusé à l’époque par les états arabes. Pour le reste, on observe chez les Juifs une sorte de "légitimisme" de fait qui laisse la décision au gouvernement israélien, démocratiquement élu ; l’idée prévaut que seuls ont droit à la parole ceux qui défendent leur pays sur place et dont les enfants effectuent un lourd service militaire au péril de leur vie. Au-delà des divergences de sensibilités , l’attachement à l’existence de l’État d’Israël réunit une partie dominante du monde juif, agnostique comme religieux .