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Michel Remaud : Une recension du livre de Menahem Macina « Chrétiens et juifs depuis Vatican II »

Il y a plusieurs manières d’aborder ce livre.
On peut y voir d’abord l’expression, sinon d’une thèse, du moins d’une conviction. L’auteur l’exprime dès l‘avant-propos : « Le présent ouvrage est la quintessence d’une méditation, spirituelle autant que théologique (…) sur les modalités de l’établissement du Royaume de Dieu sur la terre. » Énoncé dès le début du livre, le propos est longuement argumenté dans la troisième partie. S’appuyant sur les plus anciens des Pères de l’Église et notamment sur Irénée, l’auteur réhabilite en quelque sorte ce que l’on a appelé le millénarisme mitigé, tout en s’étonnant que cette idée, qui peut se recommander d’autorités indiscutables, soit pourtant tenue en suspicion par le Magistère ecclésiastique. Pour M. Macina, cette méfiance par rapport à une idée bien reçue dans l’antiquité va de pair avec la dénonciation classique du "terrénisme" de l’espérance juive et se trouve liée étroitement à la prétendue théologie de la substitution.
Avant d’en arriver à ces affirmations, l’auteur avait rappelé longuement le chemin parcouru par la théologie chrétienne depuis soixante ans, le « sommet conquis de haute lutte » que représente la déclaration Nostra Ætate n° 4, les perspectives ouvertes par la formule employée à Mayence par Jean-Paul II sur « l’ancienne Alliance, qui n’a jamais été révoquée par Dieu », et par la phrase trop peu remarquée des Notes pour une correcte présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Église catholique sur « le peuple de Dieu de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance ». Il estime toutefois que, malgré des avancées théologiques indiscutables et des prises de position généreuses, « le peuple juif restera extrinsèque, voire étranger au peuple chrétien tant qu’on ne recourra, pour en sonder le mystère, qu’à une théologie ecclésiocentrée. »
On peut aussi recevoir ce livre comme un témoignage. Certes, il faut attendre les toutes dernières pages pour voir l’auteur livrer le secret qui explique l’ouvrage, et plus largement toute sa vie : ce qu’il faut bien appeler une expérience mystique, qui a donné une orientation nouvelle à son existence et l’a conduit, alors qu’il avait été baptisé peu après sa naissance dans l’Église catholique, à s’agréger au peuple juif sans rien renier de sa foi chrétienne. Pour le lecteur qui aura entrepris la lecture en commençant pas la conclusion, cette double appartenance explique le ton général du livre, la remarquable érudition chrétienne de l’auteur et la perspective théologique qui commande l’ensemble de l’exposé.
Passionnant et passionné, l‘ouvrage n’évite pas la polémique, égratignant au passage un des principaux acteurs chrétiens du dialogue avec le judaïsme. La dernière partie, qui traite du retour du peuple juif sur sa terre, dénonce à juste titre les calomnies dont l’État d’Israël fait l’objet, mais ne prend pas toujours assez de distance par rapport aux aspects critiquables de la politique israélienne. On peut regretter aussi un manque de clarté, inattendu de la part d’un auteur habituellement rigoureux, dans l’exposé d’une question à laquelle il consacre un assez long développement sous le titre « La prière pour que les juifs reconnaissent Jésus sonne-t-elle le glas du dialogue ? » À la simple lecture des premières pages de ce chapitre, on pourrait comprendre que Benoît XVI aurait substitué à la formule du missel de Paul VI une prière demandant explicitement la conversion des juifs, alors qu’il s’agissait au contraire d’atténuer la formule de l’ancien missel, dont l’usage venait d’être concédé aux catholiques qui le souhaitaient. Ce qui n’était pas l’intention de M. Macina qui cite d’ailleurs longuement un auteur qui dissipe le malentendu.
Enfin, l’ouvrage met à la disposition du lecteur un impressionnant dossier, en renvoyant à un site Internet (rivtsion.org) qui donne accès à une vaste documentation sur les thèmes évoqués dans le livre. À ce titre, il constitue un instrument de travail indispensable.
Ce livre, on l’aura compris, ne fera pas l’unanimité, ce que l’auteur lui-même n’attendait évidemment pas. D’une manière parfois provocante, il incite à une nouvelle approche chrétienne du judaïsme, que Vatican II a rendue nécessaire, mais n’a fait qu’esquisser.

Michel Remaud