Accueil > Documentation > Formations > Sessions > "Découvrir le Judaïsme" > La Melleray 2010 > Retour de l’Abbaye de Notre-Dame de Melleray

Retour de l’Abbaye de Notre-Dame de Melleray

Les impressions de Liliane Apotheker , une adhérente juive de l’AJCF ayant participé à la session d’été 2010 "Découvrir le judaïsme" à Melleray, organisée en partenariat avec les principaux groupes AJCF de l’Ouest de la France, le Service diocésain pour les relations avec le judaïsme (SDRJ) de Nantes.


album-photos sur le site AJCF Nantes sur la session de La Melleray
La session : « Découvrir le Judaïsme » (13-18 juillet 2010) à La Melleray a démontré qu’entre Juifs et Chrétiens nous sommes dans le temps béni du dialogue.

© CRB

Les organisateurs de cette session, le service diocésain pour les relations avec le Judaïsme des diocèses de l’Ouest, ont donné du fait d’une intuition prophétique, une impulsion nouvelle à nos rencontres et ont fait de celle-ci un point de référence. Il y aura désormais un avant et un après La Melleray. Le père P. Éon et Thierry Colombié se sont appuyés sur le climat de confiance qui règne entre les trois diocèses de cette région et les groupes d’Amitié judéo-chrétienne locaux ainsi que la communauté juive de Nantes. Ils ont réalisé ensemble ce projet de session sur plusieurs jours avec pour conférenciers des acteurs majeurs du dialogue aujourd’hui : père Jean Dujardin, père Patrick Desbois, père Philippe Loiseau, père Michel Remaud, rabbin Philippe Haddad, Magda Hollander Lafon, Danièle Guerrier et Liliane Apotheker. Monseigneur d’Ornellas, à peine rentré de Côte d’Ivoire, était présent le jour du Chabbat, le samedi. Nos hôtes, les moines et les moniales de l’Abbaye ont accueilli et soutenu cette volonté dès la première heure.

© CRB

En quoi cette session était-elle inédite ? La réponse réside dans la présence des Éclaireurs et Éclaireuses Israélites de France (E.E.I.F.) et de Scouts et Guides de France. Les jeunes ont ainsi, outre l’animation des soirées et de la commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv, préparé les centaines de repas que nous avons pris ensemble. Nous avons donc tous mangé à la même table dans le respect total de la cacherout et vécu un vrai chabbat en partage. Cela paraît anodin, facile, voire purement matériel et ritualiste. C’est tout sauf cela.

Cela nous a permis de vivre les préceptes alimentaires de la cacherout de l’intérieur, comme la religion juive l’entend et la vit, au lieu de s’y cogner comme à un mur d’incompréhension. Nous avons donc goûté à des repas délicieux et festifs en respectant aussi la liturgie qui les suivait : la prière traditionnelle après chaque repas où l’on consomme du pain, en l’occurrence chantée par les E.E.I.F.
Rien ne remplace ce que l’on vit en partage. Nous avons tous mangé ensemble et les mêmes plats. Il n’y a pas de manière plus concrète de comprendre le Judaïsme de l’intérieur que de le voir ainsi vivre et de l’entendre prier.

Les interventions furent nombreuses, riches et variées. On ne peut ici en rappeler que quelques points. Elles ont permis de comprendre, comme l’a dit le rabbin Ph. Haddad que notre chemin doit être celui de la « Mahloket Le Chem Chamayim » , la discussion entre Sages en vue de l’Éternel, plutôt que la dissension en vue d’occuper seul et de manière exclusive les cieux.
Cette session a réuni de manière exceptionnelle, j’ose le dire bénie, toutes les conditions pour que chacun des intervenants y ouvre son cœur.

© CRB

Le jour de la commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv Magda Lafon, rescapée d’Auschwitz, a appelé à la vie les jeunes Juifs et Chrétiens présents, tous avides et respectueux de sa parole. La présidente des EEIF, Mme. B. Boukhriss-Halpern a rappelé son enfance tant marquée par le vécu douloureusement silencieux de son père, immatriculé au bras.
Le père Desbois a parlé de son travail pour retrouver les fosses communes en Europe de l’Est, de la singularité de la Shoah, de la capacité de nuisance des négationnistes. Le Cardinal Lustiger disait que tuer le peuple juif était en somme faire disparaître à jamais le peuple porteur de l’interdiction biblique de tuer. Nous ne pouvons pas nous séparer de la mémoire des assassinés. Faut- il en parler encore ? autant ? Nous avons peut-être un devoir d’exemplarité en France, porté par de grandes figures comme Serge Klarsfeld, Claude Lanzmann, Simone Veil. Dans d’autres pays, on n’en parle pas, pas plus qu’on n’y parle d’autres génocides. Ne devons-nous pas exporter quelque chose de cette exemplarité plutôt que dire qu’on en parle trop interroge le père Desbois ?

© CRB

À La Melleray, cette abbaye cistercienne en rase et belle campagne, les moines prient constamment et leur prière nous a aussi encadrés. Ils commencent leur journée à 4h30 en priant, faiblement éclairés par des bougies. Certains sessionnaires ont partagé ce rythme si particulier qui nous rappelle ce que nous oublions trop souvent : c’est devant Dieu que nous nous tenons. Nous avons vécu un chabbat plein qui en cette saison commence et se termine tard suivant le temps de l’apparition de trois étoiles au firmament. Nous avons pu mesurer que si certains de nos rites se ressemblaient, leur signification religieuse est différente. Vouloir à tout prix, l’uniformité du sens est une erreur. Dieu est Un et unique, nos rites sont multiples et différenciés.

Le père Remaud a si bien dit dans son homélie du dimanche qu’il importait maintenant d’écouter les Juifs, au lieu de parler d’eux et à leur place. Mgr d’Ornellas a parlé du mystère de l’élection qui doit nous interroger de manière constante. Il nous a appelés à voir le positif dans ce que nous vivions ensemble et à poursuivre. À son départ, à la fin du déjeuner du chabbat, les EEIF ont entonné un retentissant « Ce n’est qu’un au revoir mon frère » accueilli par tous comme une promesse. C’est avec le même élan du cœur que la plupart d’entre eux ont assisté à la messe du dimanche, sans doute pour la première fois.

Sans vouloir, ni pouvoir, résumer tout ce qui a été dit au long de cette session si riche, on doit rappeler sa vocation. Il s’agit de transformer la convivialité des premiers temps du dialogue en travail de compréhension mutuelle, de labourer le langage afin de trouver les mots justes permettant d’écrire ensemble cette fraternité qui éclot maintenant sans syncrétisme ni confusion.

En conversant avec le père Eon, j’ai évoqué que je n’aimais pas être constamment décrite comme la racine de la foi chrétienne. Je sais combien est importante cette désignation. Sans elle nous serions guettés par le Marcionisme. Mais je crains d’être pour un grand nombre de Chrétiens la racine chronologique seulement, le Christianisme étant l’arbre, les branches, les feuilles et les fruits. L’image de la source, dont le jaillissement est constant semble mieux faire droit à ce lien unique entre nous qui est celui d’une irrigation continue. Les deux ne sont que des images, incomplètes, imparfaites l’une comme l’autre mais ce qui est essentiel c’est que c’est ensemble que nous en avons parlé en affinant notre compréhension mutuelle.

Au retour dans le train, je relisais un article d’Emmanuel Levinas confié par Bruno Charmet, directeur de l’AJCF, un devoir de vacances en quelque sorte et surtout un cadeau précieux. Il s’agit d’un texte foisonnant qui célèbre le 20e anniversaire des 10 points de Seelisberg. Les archives de notre association contiennent ainsi des trésors inestimables.
Ces dix points formulaient des vœux sur la façon dont il fallait désormais parler du Judaïsme, constituant une éthique nouvelle pour les rapports entre nous. Nous avons, c’est incontestable,bien avancé et pouvons mesurer le chemin parcouru. Il y a maintenant véritablement de l’amitié entre nous et cette amitié cherche son terrain d’action.

Les E.E.I.F n’étaient pas présents pour être des récipiendaires passifs de la volonté des organisateurs. Ils étaient au contraire dans l’action et dans la réciprocité. Ils nous ont nourris, ont conduit les prières, nous ont fait rire aux éclats et chanter à tue-tête. Ils ont incarné la si belle prophétie de Malachie 4,6 : Il ramènera le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères, assurant ainsi le lien générationnel, et apaisant notre inquiétude quant à la transmission de notre vocation de dialogue.

La communauté juive de Nantes a témoigné par sa participation active tout au long de la session, où jamais les Juifs n’ont été aussi présents, qu’elle s’engageait avec confiance dans cette ère nouvelle. La soirée de théâtre animée par ses membres nous a fait goûter à tout l’humour et à la tendresse exprimés dans le monde Yiddish.

Je n’ai pas tout dit, ne voulant pas faire un compte-rendu des conférences mais plutôt restituer l’ambiance de ce que nous avons vécu. À La Melleray, nous avons changé des regards, déconstruit des préjugés, en un mot comme en cent, lutté contre l’antisémitisme, évoqué le lien du peuple juif à la terre d’Israël, tordu le cou au négationnisme, cette pathologie toujours prête à resurgir. Nous avons aussi incarné avec bonheur les grands textes du dialogue judéo-chrétien, nous avons vécu ensemble sans aller au plus fin dénominateur commun, celui qui gomme les différences, voire les aspérités. Au contraire, nous avons fait jaillir la richesse de nos traditions. Notre place, à nous, Juifs, dans ces rencontres n’est pas forcément facile, mais elle est fondamentale pour donner vie à cet ardent désir de mieux nous connaître.
Nous devons y prendre part de manière active et sans craindre les propos de déni, nous ne sommes pas seuls à les combattre. Il n’y a plus dans ces rencontres ni mépris, ni prosélytisme, ni condescendance, mais une volonté de partage qui constitue désormais le socle de l’amitié et de l’estime que nous éprouvons les uns pour les autres.

Espérons que cette session suscite de nombreuses vocations d’émulation, qu’elle soit désormais le point de référence de nos rencontres et que nous soyons nombreux à en être des acteurs.

Liliane Apotheker

© CRB

A lire en complément : Homélie du père Michel Remaud pour la messe du dimanche lors de la Session « Découvrir le judaïsme »
à l’Abbaye N-D de Melleray, 13 – 18 juillet 2010

Photos : CRB pour ajcf.fr