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Jean Massonnet : « Aux sources du christianisme - La notion pharisienne de révélation »

Sous le titre Aux sources du christianisme. La notion pharisienne de révélation, les éditions Lessius publient la thèse de doctorat de Jean Massonnet. La richesse de cet ouvrage interdit d’en faire ne serait-ce qu’un bref résumé. Tout au plus peut-on donner au lecteur le désir de s’y plonger.

A lire ci-dessous : la recension complète de Michel Remaud et la présentation de l’ouvrage.

Aux sources du christianisme - La notion pharisienne de révélation
Jean Massonnet

Editions Lessius, Coll. Le livre et le rouleau , n° 42
Parution : 27 juin 2013
432 pages
39,50 €

Recension de Michel Remaud


Sous le titre Aux sources du christianisme. La notion pharisienne de révélation, les éditions Lessius publient la thèse de doctorat de Jean Massonnet. La richesse de cet ouvrage interdit d’en faire ne serait-ce qu’un bref résumé. Tout au plus peut-on donner au lecteur le désir de s’y plonger.

Le contenu de la première partie est bien défini par son titre : « Les pharisiens à l’époque du second Temple ». On y trouvera une étude historique abondamment documentée sur les origines lointaines du mouvement pharisien, sur son développement, sur les usages, la structure et l’organisation du mouvement, sur ses rapports avec les autres composantes du monde juif à l’époque du second Temple, et sur l’importance de la synagogue.
La seconde partie, intitulée « la Torah orale », semblera sans doute plus originale au lecteur qui n’est pas familier de la tradition juive. La Torah orale n’est pas seulement un ensemble de coutumes et d’interprétations. Elle est le signe et le résultat de la présence de l’Esprit saint sur le peuple, qui accueille la parole divine pour la mettre en pratique. L’auteur s’arrête longuement sur la personnalité et le rôle de Hillel. « Une des notes qui définissent Hillel est la confiance qu’il fait au peuple. Il nous livre lui-même la raison profonde de cette conviction : ‘l’Esprit saint est sur eux’. »
Cette certitude de la présence de l’Esprit saint sur le peuple soulève des questions sur le mode de prise de décisions. Ces questions rebondissent dans la troisième partie, intitulée « Tradition rabbinique et Nouveau Testament ». Deux points font l’objet de développements pleins d’intérêt. C’est d’abord ce qui concerne la règle de la majorité. Malgré ce que pourrait suggérer une perception superficielle de la formule, il ne s’agit en aucune manière de démocratie, puisque la source de l’autorité est dans la Torah et non dans le peuple. Ce qui entraîne la question du statut des opinions minoritaires. Même si l’unité de pratique exige que l’on suive la décision de la majorité, les opinions qui ne sont pas retenues pour la pratique ne sont pas pour autant disqualifiées : « Les unes et les autres sont paroles du Dieu vivant. » C’est aussi la question de l’importance du débat, qui est étudiée sous le titre « Nécessité de la dispute ».
C’est dans ce contexte que naît le christianisme. Si la Révélation s’incarne en quelque sorte dans le peuple par la Torah orale, et soit dit sans vouloir minimiser les différences irréductibles qui distinguent le christianisme du judaïsme, l’incarnation du Verbe en la personne de Jésus s’inscrit dans cette perspective, et l’Église elle-même est le développement de cette incarnation de la Parole. Les débats et les modes de prise de décisions dans la première génération chrétienne, tels que ces événements sont rapportés dans les Actes des Apôtres, sont comparables à des épisodes du même type dont le Talmud a transmis le souvenir.
Un excursus aborde la question : « Comment apprécier l’apport de Qumran ? » Longuement argumentée, la réponse est claire : « Malgré toute la richesse dont il est porteur, le courant essénien ne peut pas être le tronc sur lequel est greffé le christianisme. » C’est bien dans la continuité du courant pharisien, de sa conception de la Torah orale et de la certitude que l’Esprit saint repose sur l’ensemble du peuple que s’inscrit le christianisme.
À la suite de la conclusion générale, sur laquelle nous allons revenir, l’auteur aborde deux questions : « Œcuménisme et Israël » et « L’illumination de Sion ».

C’est dans la première partie de cette conclusion générale, intitulée « Scrutant le mystère de l’Église », qu’apparaît le plus clairement ce que l’on peut considérer comme la thèse personnelle de l’auteur. Autant et plus que le n° 4 de la déclaration Nostra Ætate, les constitutions de Vatican II sur la Révélation (Dei verbum) et l’Église (Lumen Gentium) offraient à l’Église l’occasion de se renouveler en plongeant ses racines dans la tradition d’Israël dont elle était issue.
La vision de la Révélation qu’expose le concile, en affirmant qu’Écriture et Tradition forment un tout, « fait entendre des résonances avec la notion juive de Torah et elle en reçoit une confirmation (…). Vatican II, en insistant si fortement sur l’unité Écriture – Tradition et en mettant le peuple de Dieu au premier plan de la réflexion, a su se nourrir de la sève du tronc qui porte l’Église. »
« Là encore, poursuit notre auteur, cette intuition essentielle, mise en valeur par Vatican II, rejoint une dimension fondamentale du judaïsme, pour lequel la révélation de la Torah est inséparable du peuple qui la reçoit. Le fait d’aborder l’Église non pas de façon pyramidale, mais dans sa réalité la plus large, permet de décrire le peuple de Dieu en marche vers son accomplissement, avec ses capacités d’ouverture, de dynamisme et d’expression de la révélation que lui donne l’Esprit saint qui l’habite. »
« Le paragraphe 12 de Lumen Gentium, peut-on lire encore, manifeste une véritable confiance dans la capacité de la communauté croyante à dire la foi ; participant au charisme prophétique reçu du Christ, “la collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (cf. 1 Jn 2,20.27), ne peut se tromper dans la foi ; ce don particulier qu’elle possède, elle le manifeste par le moyen du sens surnaturel de foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque, ‘des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs’ elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel”. »
Et l’auteur de poursuivre :
« La fonction prophétique du peuple de Dieu n’est pas seulement d’acquiescer aux définitions du magistère grâce au sensus fidei, mais de dire cette Parole. »
Le concile ouvrait ainsi à l’Église des possibilités de renouvellement dont l’auteur constate, non sans regret, qu’elles ont été insuffisamment exploitées. La pratique ecclésiale, du fait de la pesanteur des habitudes et de la difficulté à faire évoluer les mentalités, est encore restée très en-deçà de ce que le concile avait laissé entrevoir.
L’ampleur de la documentation fait de ce livre un précieux instrument de travail et une introduction à la réalité, à l’esprit et aux méthodes de la tradition juive. Les réflexions formulées en conclusion sur les conséquences qu’entraîne pour l’Église la prise en compte de ses origines juives constituent un stimulant dont on veut espérer qu’il ne restera pas sans suite.

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Présentation de l’éditeur  : L’ouvrage que voici met en lumière les sources juives de la foi chrétienne. Ces dernières ne se réduisent pas à un "Ancien Testament" que le Christ viendrait encore accomplir. Certes c’est cela, mais bien plus encore. Les Écritures que Jésus a connues étaient des Écritures déjà interprétées, dans la tradition vivante de son peuple. La révélation, consignée dans la "Torah écrite", est en effet inséparable de la vie du peuple d’Israël. La "Torah orale" est la cristallisation de cette vie dans la liturgie, la prière, le débat éthique et l’interprétation des Écritures. Les pharisiens en étaient les vecteurs au temps du christianisme naissant. C’est à l’intérieur de ce courant qu’il faut comprendre les textes du Nouveau Testament. Le Christ transmet aux chrétiens la sève de "l’olivier franc" (Rm 11,24) dans laquelle ils peuvent puiser un sens commun renouvelé, remis en valeur par le concile Vatican II.

Jean Massonnet est prêtre du diocèse de Lyon. Docteur en théologie, diplômé de l’Institut biblique pontifical de Rome, il a enseigné au Séminaire interdiocésain Saint-Irénée de Lyon puis à la Faculté de théologie de Lyon (en particulier l’hébreu et le Judaïsme), où il a été directeur du Centre chrétien pour l’étude du judaïsme CCEJ, de 1990 à 2005. Il est vice-président de l’AJCF Lyon.