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Rencontres en vérité

Retour sur la réunion du Comité de Liaison catholique-juif international (ILC) qui était réuni à Paris du 27 février au 2 mars 2011. L’ILC est le plus important organisme de dialogue entre Juifs et Catholiques dans le monde.

L’AJCF, Amitié Judéo-Chrétienne de France, a participé à cet événement exceptionnel, son directeur Bruno Charmet nous présente son compte-rendu et ses réflexions.


Le Comité de Liaison catholique-juif international (ILC), organe de dialogue entre les hautes instances du Judaïsme mondial et des représentants du Saint-Siège, s’est réuni à Paris, du 27 février au 2 mars 2011.

Né en 1970 de la volonté du Saint-Siège et de plusieurs organisations internationales regroupées au sein du Comité juif international pour les consultations inter-religieuses (IJCIC), le Comité de Liaison catholique-juif fêtait donc cette année ses 40 ans d’existence. De nombreuses personnalités catholiques et juives du monde entier se retrouvèrent pour l’occasion au Collège des Bernardins.

Lors de la première rencontre du Comité qui se tenait à Paris en 1971 [1], le Grand Rabbin Jacob Kaplan s’était exprimé ainsi : « Je voudrais rappeler la parole de l’un des maîtres de la tradition juive, une parole qui se trouve dans le Talmud mais qui est aussi rapportée dans les Écritures chrétiennes : “Si ce qui se passe en ce moment, si la discussion qui va s’ouvrir n’est pas leshem shamaïm [pour le nom du Ciel], elle se défera d’elle-même et n’aura pas d’avenir ; si en revanche elle est leshem shamaïm, elle durera” ».

On reconnaît là aussi une référence au livre des Actes des Apôtres, plus précisément au discours de Gamaliel, le maître pharisien de saint Paul (cf. Ac 5, 34-39).

Et le Grand Rabbin Gilles Bernheim qui rapporte les paroles de son prédécesseur dans son livre d’entretiens avec le Cardinal Barbarin, commente de la manière suivante : « …entre Juifs et Chrétiens, ce qui doit exister, ce n’est pas la controverse du Moyen Age où chacun se doit d’emporter la conviction et l’adhésion de l’autre en vue de lui faire renier sa foi. Non, ce qui doit exister c’est cette discussion qui s’appelle en hébreu la mahloqet, c’est-à-dire un lieu où chacun découvre la part de vérité de l’autre dans l’échange et dans la rencontre. » Et il ajoutait : « [cette parole de Gamaliel] exprime bien, depuis la séparation originelle, le programme de ce qui peut nous rapprocher et exister entre nous. » [2]
Cette « part de vérité de l’autre dans l’échange et la rencontre », nous l’avons vraiment ressentie en ces jours si intenses vécus au Collège des Bernardins, puis à la synagogue du Raincy, conduits par le rabbin Moché Lewin, avec la plantation d’un arbre à la mémoire d’Ilan Halimi, et au camp de Drancy avec la parole forte du Cardinal Barbarin. Le choix du pays d’accueil de cette rencontre internationale n’avait rien d’anodin. « D’une certaine façon, c’est une reconnaissance des efforts de dialogue avec les Juifs de France  », soulignait le Père Patrick Desbois  [3].

Il n’est pas possible en ces quelques lignes de restituer les nombreux discours prononcés lors de ces journées. Sens publiera ultérieurement l’ensemble de ces textes, mais nous voudrions nous faire l’écho de ce compagnonnage quotidien vécu, non seulement lors des conférences magistrales, mais surtout lors de tables rondes où se côtoyaient de vieux amis ayant l’habitude de débattre entre eux, tels Mgr Fouad Twal, Patriarche latin de Jérusalem, Deborah Weissman, Présidente de l’ICCJ, le rabbin David Rosen, le Cardinal Kurt Koch, Président du Conseil pontifical pour les relations religieuses avec le Judaïsme, parmi la centaine de délégués juifs et catholiques venus des États-Unis, d’Europe, d’Israël, d’Australie, d’Amérique latine et d’Afrique.

Ce qui était recherché, ce n’étaient pas les sujets d’entente en tant que tels, mais beaucoup plus la volonté de comprendre les raisons de la partie adverse. Ceci fut particulièrement manifeste lors de la table ronde consacrée au conflit israélo-palestinien. Ce climat de confiance grandissant fut également perceptible dans les autres sujets abordés, tels que le poids des communautés religieuses au Moyen-Orient, l’éducation et plus particulièrement la manière dont Juifs et Catholiques voient et enseignent la tradition de l’autre, la bioéthique, l’avenir du dialogue judéo-chrétien, la façon d’impliquer les nouvelles générations… L’actualité a été aussi évoquée, entre autres la situation dans les pays arabes et celle des minorités religieuses. La déclaration finale souligne « la profonde tristesse » ressentie « devant les actes de violence ou de terrorisme commis au nom de Dieu, notamment les attaques contre les Chrétiens et les appels à la destruction de l’État d’Israël  ». » Et Richard Prasquier, le Président du CRIF, après qu’il eut brossé la longue fresque historique des relations tumultueuses entre Juifs et Chrétiens, nota combien notre dialogue spécifique pouvait constituer un «  exemple au contre-exemple du discours intégriste qui sous toutes ses formes menace aujourd’hui nos sociétés et notre civilisation.  » En écho, ce même message final insista sur le fait que « les bonnes relations entre Chrétiens et Juifs à tout niveau et dans toutes les situations » pouvaient servir de « paradigme pour d’autres dialogues. »

Pour revenir au contexte français, le Cardinal Vingt-Trois rappela le combat de Jules Isaac après la Shoah, depuis le «  temps du mépris  » jusqu’à l’instauration du « temps du respect » : « Il nous fallait tout d’abord nous comprendre. Nous n’étions pas habitués à dialoguer. Mais l’affaire du Carmel d’Auschwitz, le jugement de Paul Touvier ou l’affaire Klaus Barbie, au lieu de nous jeter les uns contre les autres, ont constitué autant d’occasions non seulement de grandir en fraternité mais aussi de mener des actions en commun dans un grand respect de nos différences. » Et le Cardinal de citer les noms d’Albert Decourtray et de Jean-Marie Lustiger qui « se sont investis si résolument dans ce cheminement.  » Et il ajouta : « Au cours des décennies passées, nous avons sans doute appris à nous reconnaître, de la même façon qu’il fallut du temps aux onze fils de Jacob pour reconnaître Joseph. », soulignant que « la construction de l’amitié ne fut pas d’abord affaire de convivialité. Nous avons essayé d’aller jusqu’au bout des questions difficiles pour que les problèmes soient nommés et que cette fraternité soit bâtie sur le roc et non sur le sable. »

Sur un terrain plus directement théologique, le Grand Rabbin Bernheim, tout en rappelant les siècles de mépris et d’antijudaïsme des Églises et le long travail non encore terminé de reconnaissance pleine et entière du Judaïsme, s’est égale-ment tourné vers sa propre communauté en insistant sur «  la nécessité de réexaminer l’image du Christianisme dans la pédagogie et la culture populaire juive, qui tend toujours à être défensive et hostile, nonobstant toutes les phrases pieuses sur les Bnei Noah, les fils de Noé. »

C’est peut-être ici désigner la pointe avancée du dialogue judéo-chrétien aujourd’hui : arriver à une double reconnaissance des deux parties, même si, Gilles Bernheim l’a rappelé, l’asymétrie demeure : « pour l’Église, refuser le message juif, c’est se couper de ses racines  » ; les Juifs, quant à eux, «  peuvent enseigner leurs Écritures sans nulle allusion à l’Évangile, leur message n’en souffre pas.  »

Le rabbin new-yorkais, Richard Marker, qui préside avec le Cardinal Koch cette instance internationale de dialogue entre Juifs et Catholiques, compara pour sa part cette structure à « un arbuste en pleine croissance, à un arbre de vie portant un espoir. »

Nous prolongerons volontiers cette image en nous souvenant combien fut perceptible, pendant ces quatre jours, la proximité effective entre les Juifs et les Catholiques qui composaient cette délégation.

Bruno CHARMET , Directeur de l’AJCF

Rappel  : la présentation de la réunion et les compte-rendus du CRIF et de la presse.

[1 Cf. le bref compte-rendu de cette rencontre internationale donné par le Bulletin de l’AJCF, L’Amitié Judéo-Chrétienne de France, n°1, janvier-mars 1972, p. 31

[2Gilles Bernheim, Philippe Barbarin, Le rabbin et le cardinal. Un dialogue judéo-chrétien aujourd’hui, éd. Stock, 2008, p. 189 [cf. Sens, 2009 n° 3, pp. 175-183].

[3Cf. Actualité Juive, n°1156, 10 mars 2011, p. 38.