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Jean Dominique rend hommage au pape François

Le pape François est décédé au lendemain de la célébration de la Pâques chrétienne et de Pessah, unissant ainsi une dernière fois judaïsme et christianisme. L’Amitié Judéo-Chrétienne de France est en deuil, car il a incarné à bien des égards l’amitié entre juifs et chrétiens.

Bien entendu le pontificat de François long de douze années, ne se limite pas à la question des relations entre l’Église catholique et le judaïsme. Il venait de loin, « du bout du monde » a–t-il dit lui-même, de la lointaine Argentine. A une double « première fois » - premier pape latino-américain, premier pape jésuite de l’histoire - il ajoutait une troisième « première fois » : le choix de son nom de pontificat, François, qui claque à lui tout seul comme un message au monde.

Ces années, de 2013 à 2025, ont été marquées des mesures importantes concernant la gouvernance de l’Église, de nombreux voyages à travers le monde, visitant des pays jamais encore visités par un Pape comme l’Irak ou la Mongolie, des rappels puissants concernant la Doctrine sociale de l’Église en portant un intérêt particulier à toutes les marginalités, et à la lutte contre les abus au sein même des institutions ecclésiales.
Avec ses encycliques, François a renouvelé la théologie contemporaine en orientant la réflexion, en dialogue avec le monde, vers la synodalité et une Église de communion, vers les périphéries du monde comme de nos villes, vers l’écologie avec notamment, en 2015, son encyclique Laudato Sí, au titre emprunté précisément à la prière de François d’Assise.

Sa théologie du Peuple élaborée en Argentine, a imprégné sa vision pastorale et son attention à la Miséricorde divine à laquelle il a consacré l’Année sainte extraordinaire de 2015-2016. Ses premiers gestes et premières déclarations ont permis de saisir la dimension spirituelle mais aussi éminemment politique de la papauté qu’il incarnait désormais : en témoigne son homélie lors de la messe d’intronisation du 19 mars 2013, avec l’appel à la bonté et au service : « Nous ne devons pas avoir peur de la bonté, de la tendresse », et « le vrai pouvoir est le service ».

Face aux pouvoirs de domination, notamment celui de l’argent, François condamnait l’aliénation qu’ils provoquent et faisait l’éloge de l’humilité, du silence, du service, en rappelant que « la haine, l’envie, l’orgueil souillent la vie » et conduisent à l’impasse.
Il développa une pastorale de l’accueil de tous : sur la question des divorcés remariés, il évitait tout jugement péremptoire et invitait les prêtres à se montrer accueillants ; il en est de même au sujet de l’homosexualité. De même il a voulu donner de nouvelles responsabilités aux femmes au sein de l’Église. Il fit dès le début de son pontificat, un geste fort à l’égard des migrants, en se rendant en juillet 2013, sur l’île italienne de Lampedusa, « porte de l’Europe », qui voit arriver des migrants nombreux, venus dans des embarcations misérables. Beaucoup trouvent la mort au cours de ces voyages hallucinants. Là il dénonça « la mondialisation de l’indifférence ».

François a été obsédé aussi par la question de la paix, son pontificat étant il est vrai, troublé par une multitude de guerres meurtrières au point qu’il a pu parler d’une guerre mondiale « par morceaux » (Discours au Corps diplomatique, 8 janvier 2024). Il était comme Jean-Paul II et Benoît XV, persuadé que les religions ont un rôle majeur à jouer pour éviter les conflits.
De cette conviction, sortit la Déclaration sur la Fraternité humaine, pour la paix dans le monde et la coexistence commune, signée à Abu Dhabi en 2019 avec l’une des plus hautes autorités de l’islam, le Grand imam Ahmed el-Tayeb, puis l’encyclique du 3 octobre 2020, Fratelli tutti. Pour François, le dialogue interreligieux était une exigence incontournable.

Il aimait exprimer sa pensée à travers des verbes de mouvement : marcher, édifier-construire, témoigner, annoncer, adorer, aller vers, qui invitent au courage et à l’action.
Parmi toutes ces préoccupations, le judaïsme et la question des relations entre juifs et chrétiens sont toujours restées centrales dans son esprit. En témoigne le livre que Jorge Maria Bergoglio, archevêque de Buenos Aires publia en 2010 avec son ami, le rabbin argentin Abraham Skorka, édité en français l’année même de son élection au pontificat, en 2013 .
On comprend à travers cet ouvrage que l’engagement du pape François pour le dialogue judéo-chrétien avait des racines profondes, notamment par le partage avec les communautés juives d’Argentine de la lutte pour les droits de l’Homme, contre la pauvreté et pour la justice sociale, afin de relever ensemble, juifs et chrétiens, les défis du temps. « Mettre les pieds dans la boue » disent-ils l’un et l’autre dans cet ouvrage commun, est une nécessité. Avec le rabbin Skorka dont la famille avait fui la Pologne dans les années 1920, l’archevêque partage une méditation sur la Shoah dans une prise de conscience qui ne devait plus jamais le quitter, lui inspirant une horreur absolue et irrévocable de l’antisémitisme.

Toute sa vie, jusqu’à son dernier discours du 20 avril 2025, la veille de sa mort, il a dénoncé l’antisémitisme : « le climat d’antisémitisme croissant dans le monde entier est préoccupant ». On pourrait multiplier sans fin ses dénonciations de la haine des juifs, et ses mises en garde adressées aux chrétiens : « Un chrétien ne peut pas être antisémite », l’antisémitisme est « un péché contre Dieu ». Et aux diplomates : « l’antisémitisme est un fléau à éradiquer ».

Mais il va au-delà, montrant son amitié pour les juifs notamment à la Grande Synagogue de Rome le 21 janvier 2016, reprenant les propos de Jean-Paul II en 1986, « Vous êtes nos frères aînés dans la foi ». Dans sa première Exhortation apostolique Evangelii Gaudium du 24 novembre 2013, il affirme avec force que « le dialogue et l’amitié avec les fils d’Israël font partie de la vie des disciples de Jésus » et que « l’Église s’enrichit lorsqu’elle recueille les valeurs du judaïsme ».

C’est pourquoi François était attentif à tout ce qui pourrait entretenir des incompréhensions entre les juifs et les chrétiens, car le passé pèse lourdement. Parmi les nœuds à dénouer il y a eu longtemps la question de l’attitude du pape Pie XII durant la Deuxième Guerre mondiale, face à la Shoah. Le cardinal Bergoglio était convaincu de la nécessité d’ouvrir les archives à la recherche historique, comme il le dit au rabbin Skorka : « Qu’on ouvre les archives et que tout soit tiré au clair. On verra alors ce qu’il en est, et si erreurs il y a eu, nous devrons les reconnaître. Lorsqu’on commence à occulter la vérité, on défait le message de la Bible. On croit en Dieu, mais du bout des lèvres. […] J’insiste, il faut voir ce que disent les archives. S’il y a eu une erreur d’appréciation, il faut étudier ce qui s’est passé. Je ne dispose pas, pour ma part, d’éléments concrets. Pour le moment, je trouve les éléments à décharge convaincants, mais je reconnais que toutes les archives n’ont pas été étudiées ». Devenu Pape, il prit la décision de permettre l’accès sans restriction à ces archives : « L’Église n’a pas peur de l’histoire », dit-il en s’adressant aux archivistes le 4 mars 2019. L’ouverture se fit en mars 2020, permettant à des historiens du monde entier de venir travailler au Vatican, et de mettre fin à des polémiques inutiles et à des soupçons stériles en mettant à jour la vérité d’une réalité complexe.

On a pu être surpris, voire blessé par les critiques sévères du Saint-Père adressées à Israël dans le contexte de la guerre à Gaza. Très proche du curé de Gaza, il était bouleversé par les scènes de guerre. Mais il n’a jamais omis d’exiger la libération des otages, qu’il a réitérée une nouvelle fois lors de la bénédiction Urbi et Orbi le jour de Pâques, la veille de son décès, en s’affirmant « proche de tout le peuple israélien et de tout le peuple palestinien ». En fait, François n’a jamais cessé de tendre la main aux juifs et à Israël. Son voyage en Israël en mai 2014, a été marqué par des gestes forts, à Yad Vashem, avec la prière devant le Kotel. Il s’est rendu sur la tombe de Theodor Herzl, le fondateur du mouvement sioniste, ce que ni Jean-Paul II, ni Benoît XVI n’avaient fait. Il s’agissait d’un geste particulièrement significatif de soutien à l’État d’Israël qu’il convient de ne pas oublier.

Le soutien du pape François aux juifs dans le malheur n’a jamais fait défaut. Il l’a redit avec détermination à une délégation de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France reçue en audience privée au Vatican, le 11 décembre 2022, à l’occasion des 75 ans de sa fondation. On peut relire ses recommandations fermes et claires :
« Le chemin parcouru ensemble est considérable – il faut en rendre grâce à Dieu – vu le poids des préjugés réciproques et de l’histoire, parfois douloureuse qu’il faut assumer. Mais la tâche n’est pas achevée et je vous encourage à persévérer sur cette voie du dialogue, de la fraternité, des initiatives communes. Car cette belle œuvre, qui consiste à créer des liens, est fragile, toujours à reprendre et à consolider, particulièrement en ces temps hostiles où les attitudes de fermeture et de refus de l’autre se font plus nombreuses, avec même la réapparition préoccupante de l’antisémitisme particulièrement en Europe, comme de violences contre les chrétiens.
Je vous assure de mon soutien à vos initiatives, comme à celles de tous ceux, juifs et chrétiens ensemble, qui œuvrent à toujours plus de fraternité. Je prie pour que vos travaux et vos efforts portent des fruits abondants et durables. »

Pour résumer le message laissé au monde par François, il est possible de se reporter au vendredi 27 mars 2020. Ce jour-là, en pleine épidémie de Covid, le pape François se trouve seul sur le parvis de la basilique Saint-Pierre à Rome. Il semble porter sur ses épaules le poids de la tragédie en cours qui bouleverse la planète. Le monde est bouleversé par une crise sanitaire alors non maîtrisée. Mais il parle d’espérance et de fraternité : « Nous nous rendons compte que nous nous trouvons dans la même barque, tous fragiles et désorientés, mais en même temps tous importants et nécessaires, tous appelés à ramer ensemble, tous ayant besoin de nous réconforter mutuellement. »
Texte de l’hommage de Jean-Dominique Durand

Jean-Dominique Durand, Président de l’AJCF
24 avril 2025

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