Le peuple juif a un poids historique décuplé par rapport à son petit nombre. Il a donné au monde des valeurs et des idées qui ont labouré l’Histoire et la conscience humaine. En raison de cela il a payé un tribut très lourd.
Pourtant le Judaïsme s’est pensé en dialogue dès ses origines. Il a toujours conféré à l’autre une place digne que ce soit dans la famille biblique, concept élargi par rapport à notre cellule familiale d’aujourd’hui, dans la cité et surtout dans l’économie du salut. De nombreuses lois bibliques et talmudiques parlent de la place du voisin, de l’étranger résidant, et de l’alliance de l’Eternel avec les descendants de Noé, cette humanité rescapée du déluge.Ces lois dites Noachides constituent un programme minimum universel. Elles reconnaissent que tout Gentil qui les respecte aura part au monde à venir. Ce principe si moral désamorce toute vocation englobante et laisse une place pleine à celui qui n’est pas Juif.
D’ailleurs les grandes guerres relatées dans le texte biblique ne sont pas des guerres de religion, mais des combats sans merci contre l’idolâtrie afin d’assurer la survie d’une humanité libre et responsable.
La Torah et la liturgie nous incitent à faire mémoire de notre passé en terre d’Egypte quand nous étions nous-mêmes étrangers et esclaves. Il ne s’agit pas là d’un simple appel à la rencontre mais d’une injonction forte qui nous oblige à l’empathie avec cette condition. Sentir la souffrance de l’Autre est le lieu de la vraie fraternité, tout l’Humanisme biblique en découle.
Mais au-delà de cette évocation, il faut bien reconnaître qu’emmuré par des siècles de mépris et d’incompréhension, le Judaïsme semble inhibé à communiquer sur lui-même.
Pourtant les avancées théologiques extraordinaires proposées par le document Eglise et Israël de la communion ecclésiale de Leuenberg et du Concile Vatican II (Nostra Aetate) ont aboli une fois pour toute la place reléguée qui était assignée au Judaïsme. Mais ont-elles véritablement pénétré les consciences et effacé ce qui y était imprimé avec force depuis des siècles ?
Il nous appartient désormais de parler de nous-mêmes et de notre tradition vivante, de faire entendre qu’elle n’est pas une obstination dans l’erreur et la méprise, mais le lieu d’une fidélité extraordinaire. Le dialogue doit donc servir à dépasser les idées fausses, les préjugés sur la Torah et sur les lois qui en découlent, la tradition orale qui en est indissociable, le lien du peuple juif à la terre d’Israël, l’amour du prochain qui vient tout droit du Lévitique, en bref montrer qu’il existe une manière juive d’être au monde. Nous sommes porteurs d’une tradition vivante sans laquelle nos frères chrétiens ne peuvent pas vraiment se comprendre.
Pour cela nous devons être plus nombreux à nous engager dans cette démarche afin de rencontrer nos frères chrétiens et incarner ce qui n’est pas que la racine de leur foi, un lien seulement généalogique, mais ce qui est constitutif de leur identité.
La tradition rabbinique est une culture de l’interprétation qui fait droit à la pluralité du sens. Grâce à cela nous avons acquis une véritable culture du désaccord, comme en atteste le Talmud, mais aussi la grande diversité du Judaïsme contemporain. C’est précisément cette culture du désaccord, cette aptitude à débattre de tout avec Dieu et avec les Hommes qui est notre bien le plus précieux. Le dialogue doit nous servir à démontrer que le désaccord est riche et qu’il permet l’échange. Se mettre d’accord sur le fait qu’on n’est pas d’accord est un avant-goût d’un monde pacifié, un idéal messianique !
Liliane Apotheker