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Rome 2015 - Impressions d’un colloque

La rencontre annuelle de l’ICCJ s’est déroulée à Rome du 28 juin au 1er juillet 2015 à l’occasion du cinquantième anniversaire de Nostra Aetate.
Afin de faire de cet anniversaire une véritable occasion de dialogue au plus haut niveau le sujet choisi était : « Le passé, le présent et l’avenir de la relation judéo-chrétienne. »
Ce colloque a réuni des participants venus de plus de vingt pays, et plus de cinquante intervenants dont les plus grands experts du dialogue judéo-chrétien.
Je souhaite ici livrer mes impressions, décrire ce qui pour moi a émergé de cette rencontre historique.

Les conférences des séances plénières seront accessibles sur le site de l’ICCJ rapidement, tous pourrons ainsi prendre connaissance de leur contenu.

Le colloque a débuté par un concert à l’Université Pontificale Urbaniana. Nous y avons entendu une symphonie jouée pour la première fois et par un orchestre de jeunes. Elle a été composée pour entourer musicalement l’œuvre du père Yves Congar : « Mon Journal du Concile ». Cette œuvre émouvante fût suivie des Psaumes du Hallel chantés sur des mélodies spécifiques à la communauté juive de Rome. Nous ne pouvions être mieux préparés pour la suite.

L’existence très ancienne, puisqu’elle a près de 22 siècles d’histoire, de cette communauté est peut-être paradigmatique de l’histoire de la relation judéo-chrétienne. Son ancienneté témoigne de son antériorité à la présence chrétienne, son maintien dit si bien la vivacité du Judaïsme, et son histoire est marquée par le lien unique mais tourmenté entre Juifs et Chrétiens pour aboutir aujourd’hui à une relation nouvelle.
Chaque rencontre avec cette communauté, qui vit depuis 2O siècles cette intériorité de présence à 2km seulement du Vatican et entourée de plus de 360 églises, me fait ressentir de manière très concrète ce que signifie cette place si particulière du Judaïsme, décrite depuis cinquante ans non pas comme une religion extérieure , mais intérieure et constituant ainsi comme un socle du Christianisme. Cette relation unique a beaucoup fait souffrir le Judaïsme. Encore aujourd’hui cette place qui peut être vécue comme une place assignée, car à l’évidence ce n’est pas comme cela que le Judaïsme se définit lui-même, n’est pas aisée. Mais depuis la promulgation de Nostra Aetate nous n’avons cessé d’avancer ensemble sur la route du dialogue véritable, celui qui fait jaillir à la fois la connaissance et l’estime de l’autre, et la joie que procure son existence. Ce document a entrainé un grand changement de cœur de la part des Chrétiens qui ont remplacé définitivement les accusations de déicide, de perfidie et bien d’autres par des termes qui affirment la place des Juifs dans la fratrie et des qualificatifs qui rappellent les racines du Christianisme. De « Juifs perfides » nous sommes devenus « Frères aînés, et même frères préférés ».

L’importance théologique du dialogue judéo-chrétien est si profonde que non seulement elle ne peut plus être ignorée, mais son exemplarité s’étend comme une sorte de bénédiction au dialogue avec toutes les autres religions. Cette voie n’est pas sans obstacles, certes nous connaitrons encore des crises dont certaines se profilent peut-être déjà, mais rien ne pourra défaire ce qui a été accompli. Nos religions peuvent maintenant devenir des vecteurs de paix pour le monde, elles l’ont prouvé par le rapprochement extraordinaire entre Juifs et Chrétiens. Elles ont ainsi démenti deux millénaires d’animosité poussée parfois jusqu’à la violence. Cela prouve que toute relation peut-être transformée, et que toute aliénation peut-être surmontée.

Les Juifs qui pendant longtemps n’ont pas vraiment existé pour la conscience chrétienne, et qui ont bien failli ne plus exister physiquement, sont à présent des partenaires qui se demandent quelles réponses juives apporter à ce changement du regard et du cœur des Chrétiens à leur égard.

Les réponses juives sont plus nombreuses qu’on ne le pense, mais elles sont spécifiquement juives, elles ne prennent donc pas la forme d’un document semblable à Nostra Aetate. La religion et la culture juive tellement centrées sur l’étude répondent plutôt par l’étude des Évangiles , comme en témoignent de nombreuses publications dont le Nouveau Testament annoté par des Juifs, édité par Amy-Jill Levine et Marc Zvi Brettler aux presses universitaires d’Oxford. Il reste sans doute beaucoup à œuvrer pour que la conscience juive ressente dans son cœur cette fraternité affirmée par les Chrétiens. Trop de crispations surgissent encore de part et d’autre, mais des gestes forts comme celui de Jean- Paul II au Mur des Lamentations ne seront jamais oubliés.

Cette nouvelle conversation fraternelle entre nous doit continuer et encore s’approfondir.

Nous devons apprendre à mieux nous connaître, à comprendre et à apprécier nos cultures respectives, et en particulier la manière que chacun de nous à de se définir, et de vivre de sa foi. Ces différences de culture, et de compréhension de soi doivent être bien comprises et intégrées par tous. Elles doivent être perçues comme une richesse.

Les Catholiques aiment et recherchent l’unité et l’universalité.
Les Juifs sont coutumiers de la controverse perçue comme positive, ils aiment voir se côtoyer des opinions diverses et quelquefois inconciliables. La diversité des points de vue leur paraît donc comme souhaitable et même intentionnelle, surpassant ainsi le désir d’unité.
Leur particularisme ne les empêche pas d’être une source de richesse et de réflexion pour d’autres croyants. Quand le Judaïsme parle, il s’adresse aussi au monde, ce n’est pas l’apanage des seuls Chrétiens. On voit bien que dans ces conditions nos deux religions ne s’opposent plus, le triomphalisme est une affaire du passé, la prétention à la détention d’une vérité qui serait exclusive l’est également. C’est avec une grande sensibilité et même une apparente vulnérabilité que nous nous tournons fraternellement l’un vers l’autre. Cette vulnérabilité nous humanise, elle remplace avantageusement le triomphalisme d’antan.

Nous avons maintenant à penser le dialogue de demain, celui qui permettra à chacun de nous d’être à la fois authentiquement lui-même et en lien profond avec l’autre. Nous devons essayer de comprendre nos différences, de les ressentir comme positives. Nous ne sommes pas encore habitués à cette démarche malgré la conscience accrue que nous avons du lien unique entre nous. Très souvent les Chrétiens formulent leur attente d’une réciprocité de la part de leurs frères juifs, comme une réponse symétrique à leur démarche. Cette réciprocité tant attendue est difficile, car l’asymétrie est intrinsèque à notre relation. La complémentarité a été évoquée à notre colloque comme une piste plus adéquate, car elle permettrait à nos identités de s’ouvrir l’une à l’autre et d’agir ensemble pour le monde.

Une question intéressante fût posée à la conférence de clôture : comment prier ensemble ?
Cette demande est récurrente dans nos rencontres, en France comme ailleurs. Après tout, et peut-être même avant tout, nous sommes dans une démarche profondément spirituelle, nous ne voulons pas d’un échange purement académique ou simplement convivial. Il est important de prier ensemble pour une quantité de raisons, la moindre n’est pas celle de rendre grâce à Dieu de ce rapprochement que nous n’avons peut-être pas fait tout seul…Il n’est bien entendu pas question ici de syncrétisme.
Mais , en restant deux religions séparées, quelle prière pourrions nous faire nôtre, peut-être même pour célébrer nos rencontres ? Le Grand Rabbin de Florence, le rabbin Joseph Levi, a suggéré la rédaction commune de ces prières à venir.
Prier ensemble avec des mots choisis à dessein est tout autre chose que « prier pour ».
Elaborer ensemble ces prières serait un projet d’une grande portée spirituelle.

Nous avons de grands défis à relever. Tout le monde a pu s’apercevoir à Rome que la présence dans l’assemblée d’une génération montante, capable d’assurer la relève n’était pas aussi perceptible qu’on pourrait le souhaiter.
La transmission reste un véritable défi pour nous, mais aussi la nécessité d’engager des actions plus concrètes. Nous ne pourrons pas nous contenter indéfiniment de nous cantonner aux échanges théologiques, aussi profonds soient-ils, s’ils laissent de côté les grandes questions que sont la justice sociale et l’écologie.

A Buenos Aires, l’année dernière, nous avions perçu l’importance capitale de l’action commune pour lutter contre la pauvreté et la faim ; la dernière encyclique du Pape concerne l’écologie. Autant de pistes à explorer ensemble pour l’avenir.

Le Père Michael Trainor, un prêtre australien, vice-président catholique du conseil exécutif de l’ICCJ nous a convié à penser l’Alliance en lien avec la création toute entière, pas uniquement avec l’homme. Il ne s’agit pas d’idolâtrer la nature, mais tout simplement de ne plus l’asservir entièrement à nos besoins. Nous avons du mal à penser notre lien à la nature comme une partie intrinsèque de l’Alliance. Pourtant le déluge est décrit dans la Bible comme une conséquence directe du comportement humain. Le réchauffement climatique et les catastrophes humanitaires qui en sont les conséquences devraient nous pousser à une attitude plus responsable.

Ces projets peuvent paraître iréniques ou trop ambitieux, mais au regard de cette rencontre exceptionnelle, ponctuée par notre audience papale inoubliable, tout cela semble être de l’ordre du possible.

Le prof. Phil Cunningham, le prof. Marco Morselli qui ont assuré ensemble la présidence du colloque et Mme Anette Adelmann, la sécretaire générale de l’ICCJ, ont réalisé une rencontre que nous n’oublierons pas et dont le contenu nous engage pour l’avenir.
Qu’ils soient ici remerciés.

Liliane Apotheker
Vice-présidente de l’ICCJ

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