Dans l’histoire d’Adam, la nature ressemble à un jardin planté par D-ieu pour y placer l’homme. Dans la formation de l’univers, en six jours, l’humanité apparaît en dernier. Il fallait donc que la nature soit dans sa plénitude pour que l’humanité survienne et l’habite. L’homme est clairement appelé à faire du monde sa résidence, à le peupler et à s’en rendre maître. Mais, immédiatement aussi, il est appelé à sa responsabilité quant à la préservation du monde. Il doit le cultiver, le travailler, conjointement le soigner, le préserver. En même temps que l’homme est encouragé à développer ses capacités intrinsèques et à assurer sa mainmise sur le monde, il doit être attentif à poser des limites.
C’est en ce sens que la Tradition lit le verset de l’Ecclésiaste (7, 13) : « Regarde l’œuvre de D-ieu : qui peut réparer ce que l’homme a dégradé » ? Le Midrach commentant ce verset met en scène l’homme parcourant le jardin d’Eden sous la conduite de D-ieu lui-même : « Vois mes œuvres, comme elles sont belles et dignes d’éloges : tout ce que j’ai créé c’est pour toi que je l’ai créé. Sois attentif à ne pas dégrader ni détruire mon monde. Car si tu le dégrades, il n’y aura personne pour le restaurer derrière toi ». Mais dans cette sollicitude pour l’environnement, c’est de l’homme qu’il s’agit encore. Aux yeux de certains écologistes, l’homme est l’élément le moins sympathique dans cet univers harmonieux et ordonné supposé se suffire à lui-même, où il ne cesse par sa démesure d’introduire le plus fâcheux désordre. Mais, dans le judaïsme, un discours qui ferait passer la nature avant l’homme n’a pas sa place.
Si une divinisation de l’homme peut entraîner les pires excès contre la nature, une divinisation de la nature aboutirait à la négation de l’homme. C’est pourquoi le récit de la création fournit une excellente garantie contre un certain type de dérive.
D’un autre côté, nombre des lois bibliques dites agricoles, comme les lois de la Chemitah jachère et du Jubilé, mais aussi les lois du Chabbat qui invitent l’homme à cesser tout travail de transformation du monde, sont là pour ancrer en l’homme le sentiment qu’ « à D-ieu appartient la terre et ce qu’il contient » (Psaumes 24, 1). Par le respect du Chabbat, il s’agit un jour par semaine de cesser de façonner le monde selon nos projets, nos besoins, nos désirs : de nous retirer, de restituer le monde à son Créateur, témoignant de ce qu’il ne nous est que “prêté”.
La Torah pose aussi le principe d’une responsabilité par rapport à l’avenir de notre planète et à l’égard des générations à venir. Cette exigence s’exprime sous toutes sortes de modalités, dont l’obligation symbolique de planter des arbres. C’est le type même du geste qui implique une projection dans la durée, dans un au-delà de nous-mêmes. Un souci de l’avenir et l’imitation de D-ieu qui a d’abord créé des arbres. Mais plus que cela, les textes du Talmud et l’ensemble du droit juif témoignent d’un souci précis et aigu de la préservation de l’environnement.
Il serait vain de vouloir recenser tous les textes de la Tradition légiférant sur le respect de la qualité de l’air et de l’eau, les émanations de fumée, les nuisances du bruit, les atteintes à la beauté d’un paysage, les pollutions dues à l’activité industrielle ou artisanale. Il en ressort, outre la centralité de cette préoccupation dans la législation hébraïque, une gradation dans la sévérité des dispositions : selon Maïmonide1, Jérusalem relève à cet égard de règles particulièrement rigoureuses qui nous donnent la mesure ultime de l’exigence qui nous incombe.
L’homme a d’abord reçu l’Eden en héritage, nous devons viser à rendre au monde sa qualité de paradis.
1. Michné Torah, Hilkhot Beit Habe’hirah chapitre 7