Pourtant le retentissement mondial de l’événement, et l’enthousiasme généralisé autour de l’actuel Pape François dépassent largement les frontières de l’Eglise catholique comme s’il existait une sorte d’attente ou d’espérance très large de « sainteté » sans qu’il s’agisse forcément d’un besoin d’idoles. Malgré la ferveur et la dévotion qui les entourent, on ne peut confondre le Pape ou Mère Térésa avec Zinedine Zidane ou Madonna. De plus on est aujourd’hui suffisamment informé pour savoir qu’aucune existence humaine, y compris celle des saints, n’est sans ambiguïté, sans erreurs, sans zones d’ombre. Et les papes sont des papes, hommes d’autorité et de pouvoir, responsables d’une Institution qui possède ses intérêts temporels et n’est pas toujours en phase avec les attentes et les besoins d’aujourd’hui ! Qui n’aura remarqué la composition exclusivement masculine du cortège de canonisation ? L’évènement de ce 27 avril n’est cependant pas contradictoire avec la volonté du Pape François d’épouser son époque par une sorte de recours aux sources d’une sainteté qui n’est pas synonyme de perfection.
Dans ce cas, que peut-elle être ?
Une « sainteté » plus humble
La notion de « sainteté » nous vient de la Bible juive, et dans le Lévitique au Chapitre 19 on entend : « Soyez saints, car je suis saint, moi l’Eternel votre Dieu ! » Et suit un ensemble de commandements précis en vue de cette sanctification. Cet appel et ces prescriptions sont proférés dans le cadre d’une alliance entre Dieu et le peuple hébreu. La sainteté signifie la mise à part, la consécration, non pour un championnat individuel de la perfection humaine, mais pour un service communautaire de Dieu et des hommes à base de lois religieuses, sociales et éthiques.
Cette « sainteté de service » est au cœur de la Bible et elle a également irrigué toute la pensée chrétienne depuis le Nouveau Testament. Hélas trop souvent dans l’histoire la sainteté de l’Eglise s’est traduite par un rigorisme dogmatique et moraliste, et la vocation au service a laissé place aux nécessités du pouvoir. Mais en même temps s’est développée une approche individuelle de la sainteté, avec la reconnaissance et la proclamation a posteriori, suivant des critères bien précis, que telles et telles personnalités, hommes et femmes, relevaient de la sainteté et jouaient un rôle d’intercesseur entre les hommes et Dieu. Si bien qu’au cours des siècles le culte des saints est devenu très important dans la piété populaire, aussi bien dans le christianisme oriental que dans le christianisme occidental. Mais il été fortement critiqué au 16ème siècle par le protestantisme, qui a rejeté l’idée de récompense attribuée à des mérites humains, y décelant un danger d’idolâtrie, pour revenir à l’approche biblique d’une vocation collective au service de Dieu et des hommes.
Réconciliation avec le peuple juif
C’est bien à cette primauté du service qu’est clairement revenue l’Eglise catholique depuis Vatican II. Alors peut-être restera pour beaucoup, de ce drôle d’événement qu’est une canonisation, le sentiment que ces deux hommes, Jean XXIII et Jean-Paul II, ont été, chacun à sa manière, de réels serviteurs, non seulement de l’Eglise catholique, mais de Dieu et des hommes, et parmi les hommes des plus faibles et des plus pauvres. Jean XXIII, initiateur du Concile Vatican II, a ouvert la voie à la modernisation de l’Eglise catholique. Et Jean-Paul II restera l’homme qui a combattu l’oppression communiste.
Tous deux surtout auront contribué à réconcilier le christianisme avec ses racines, en reconnaissant au peuple juif, après 20 siècles de mépris et de persécutions, le rôle jamais aboli et toujours actuel de premier serviteur du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Ce qui sera parachevé, en l’an 2000 par la reconnaissance de l’Etat d’Israël et la visite de Jean-Paul II à Jérusalem. Ces deux grandes figures auront éclairé leur époque ! Souhaitons que leur canonisation leur permette également d’éclairer l’avenir. Car au-delà de l’Eglise catholique le monde a besoin de saints-serviteurs, qu’ils soient d’ailleurs religieux ou laïques !
Florence Taubmann , 27 avril 2014