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"Israël dans la mission chrétienne : Lectures de Romains 9—11" Par Marie-Hélène Robert

Membre de l’AJCF, engagée dans le dialogue judéo-chrétien, ce livre est le résultat de son travail de thèse de doctorat en théologie.
Nous vous proposons de lire la préface de Jean-Pierre Lémonon pour présenter cet ouvrage, en attendant la recension ultérieure dans Sens.

Paru en Octobre 2010, 22,00 € ; 320 pages
CERF, Collection « Lectio Divina »

En Novembre 2009, Marie-Hélène Robert a présenté sa thèse de doctorat en théologie à Université Catholique de Lyon, « Une missiologie accordée au mystère d’Israël. La portée œcuménique du motif paulinien "Israël et les Nations" dans la mission chrétienne à partir de la lettre de Paul aux Romains et de ses principales réceptions dans l’histoire », sous la direction de Didier Gonneaud. Mention très honorable avec les félicitations du jury.
Responsable des éditions Profac, Marie-Hélène Robert est également agrégée de lettres modernes. Religieuse de l’institut missionnaire Notre-Dame des Apôtres, elle enseigne à la faculté de théologie de Lyon (Ucly) où elle donne un cours dans le cadre du CCEJ (Centre Chrétien d’Etude du Judaïsme) "Israël et la mission chrétienne", fruit de sa thèse.

 Préface de Jean-Pierre Lémonon

Professeur émérite de la Faculté de théologie de l’Université catholique de Lyon.

Avec l’aimable autorisation de Jean-Pierre Lémonon et des éditions du Cerf. Toute reproduction partielle ou intégrale du texte devra faire l’objet d’une demande préalable auprès du service des droits des Éditions du Cerf.

Le Concile a renouvelé le regard que l’Église catholique porte sur le judaïsme. En effet, il déclare : « Scrutant le mystère de l’Église, le Concile rappelle le lien qui relie spirituellement le peuple du Nouveau Testament avec la lignée d’Abraham ». En inscrivant cette conviction au seuil du § 4 de la déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, les Pères du Concile Vatican II expriment les liens intimes qui unissent l’Église et le peuple juif. La déclaration de 1965 constitue une étape importante dans la réflexion que menaient, depuis plusieurs décennies, l’Église ou du moins certains de ses membres. Comme la plupart des textes conciliaires, celui-ci prend acte d’une réflexion et invite à un approfondissement. La recherche ecclésiologique tient compte désormais de cette remarquable avancée.
Pour sa part, la réflexion sur la mission, chapitre spécifique de l’ecclésiologie, s’est profondément renouvelée depuis des années. L’ « autre » est pris désormais en considération pour lui-même, à un point tel qu’un ouvrage récent sur la mission est intitulé Au pays de l’autre [1]. Néanmoins les études conduites jusqu’alors se sont peu souciées de mettre en valeur le sens que pouvait avoir pour la missiologie le fait de la persistance de la lignée d’Abraham. Marie-Hélène Robert nous offre, en ce sens, un travail original, car elle propose de penser dans un même mouvement mission et fait juif.

Si, comme l’affirme saint Paul dans l’épître aux Romains, « les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » (Rm 11,29), il est logique de se demander le rôle que joue Israël dans la réflexion missiologique tout comme dans la mise en œuvre de la mission. En effet, Paul établit lui-même un lien entre permanence d’Israël et mission puisqu’il met en rapport étroit l’appel des nations et le salut d’Israël : « Car je ne veux pas, frères, que vous ignoriez ce mystère, de peur que vous ne vous preniez pour des sages : l’endurcissement d’une partie d’Israël durera jusqu’à ce que soit entrée la plénitude des nations. Et ainsi tout Israël sera sauvé, comme il est écrit : “ de Sion viendra le libérateur, il écartera de Jacob les impiétés“ » (Rm 11,25-26). Chacun sait la difficulté que rencontre l’exégèse de ces versets de Romains.
En œuvrant pour les nations Paul est fidèle à la pratique et à la pensée de Jésus de Nazareth, le Christ. En effet, celui-ci, selon les mots de l’apôtre des nations, s’est fait « serviteur des circoncis, pour accomplir les promesses faites aux pères ». L’Église ne peut se comprendre que dans le cadre de l’unique Alliance qui, à nos yeux, revêt des formes diverses. « Israël a un rôle-clé dans l’histoire du salut ». Il existe une véritable unité entre Israël et les nations, ces deux entités ont un rôle complémentaire vis-à-vis du salut. La complémentarité se déploie en des directions diverses.
En s’appuyant sur des travaux qu’elle utilise de manière judicieuse, Marie-Hélène Robert nous offre une exégèse pertinente de ces chapitres 9 à 11 de l’épître aux Romains si fort débattus au cours de l’histoire. Elle n’offre pas une fois de plus une exégèse générale de ces chapitres. Bien mieux, elle centre sa recherche sur le thème qui est le sien. Elle s’attache aux rapports qu’entretiennent Israël et les nations dans le déploiement de l’Alliance, et donc au cœur d’une réflexion et d’une pratique missionnaires.

Mais l’exégèse de la lettre aux Romains est loin d’être le seul centre d’intérêt de cette recherche, le lecteur y trouve également une présentation de l’herméneutique de la pensée de Paul faite au cours de l’histoire de l’Église. Grâce à la deuxième partie de l’ouvrage nous avons une étude des réceptions de la lettre aux Romains depuis le iie siècle jusqu’à l’époque moderne avec un intérêt particulier accordé au commentaire que Thomas d’Aquin donna de l’épître aux Romains. Certes, les Pères de l’Église ne portent pas un regard positif sur Israël ; la complémentarité Israël-nations est oubliée, mais leur position apologétique ne met pas à mal les propositions fondatrices de Paul. Sur le rapport Israël-nations Thomas ne s’est pas laissé impressionner par le regard méfiant des Pères vis-à-vis d’Israël. En effet, pour l’Aquinate, Dieu dirige l’histoire et le cœur des hommes. Il accorde à tout homme sa grâce ; les Juifs ne sont point privés de celle-ci. Thomas ne déploie pas une vision expansionniste de l’Église, il invite à approfondir le mystère de Dieu.
Avec la Réforme et la Contre-réforme la complémentarité d’Israël et des nations s’efface. Les Réformateurs accordent un sort heureux à Israël, mais sa conversion est placée à la fin des temps. A cette époque les Églises ne sont pas préoccupées par la question d’Israël et des nations ; les luttes entre confessions chrétiennes les retiennent bien davantage. Les Églises sont alors soucieuses de défendre leur interprétation de la foi chrétienne. De plus, elles vont se trouver au xxe siècle en compétition missionnaire. Israël n’est pas l’objet de leur réflexion. Pour cette période Marie-Hélène Robert ne se contente pas de vues générales, elle va jusqu’à présenter avec subtilité l’interprétation donnée par la tendance puritaine issue de la Réforme.

Ce regard sur l’histoire ne pouvait pas ignorer le xxe siècle. La réflexion théologique du siècle dernier renoue avec l’intérêt que Paul porte à Israël. Du côté des Églises issues de la Réforme il est toujours difficile de déterminer qui fait autorité. Aussi, avec sagesse, plutôt que de nous donner une mosaïque d’opinions, Marie-Hélène Robert s’attache à Karl Barth, une pensée qui a eu une grande influence au sein des Églises issues de la Réforme, et au-delà. Elle présente une œuvre centrale de Barth, le Römerbrief. L’ouvrage ne se présente pas comme un commentaire de la lettre aux Romains au sens habituel de ce genre, mais bien plutôt comme une réflexion théologique inspirée et guidée par l’épître aux Romains. Du côté catholique la difficulté n’est pas du même ordre, car le magistère romain constitue une référence légitime. Marie-Hélène Robert ne manque pas de souligner le peu d’importance du thème qui lui est cher dans la charte de la mission que constitue Redemptoris missio du pape Jean-Paul II, dernier document d’ampleur sur la mission. Il faut chercher ailleurs les sources de l’étude ; on doit alors s’intéresser à l’ensemble de l’attention que, désormais, l’Église catholique porte sur Israël. C’est alors que l’on peut préciser le rapport qu’entretiennent Israël et les nations. A travers le regard nouveau porté sur Israël se dessinent mission commune et missions propres d’Israël et de l’Église.

Grâce à cette recherche nous disposons d’une étude qui opère une synthèse précieuse de travaux dispersés et partiels. Ce travail original offre matière à réflexion.
En lisant l’ouvrage on ne s’étonne point que la Faculté de théologie de Lyon ait accueilli récemment avec grand intérêt la thèse qui constitue la base de cette publication. Il faut souhaiter que Marie-Hélène Robert continue à approfondir sa réflexion et nous offre d’autres travaux d’une telle qualité.

 Présentation de l’Editeur :

Vigoureux appel à l’unité entre juifs et gentils comme condition à la mission chrétienne, la « Lettre aux Romains » de Paul est à même de fonder de nouvelles relations entre juifs et chrétiens. L’analyse exégétique de l’ensemble de la « Lettre aux Romains » permet à l’auteur de montrer que pour Paul, apôtre des gentils, Israël a toujours un rôle clef.

Paul a-t-il été cependant entendu dans l’histoire ? Le rapport à la tradition pesant d’un grand poids dans le dialogue judéo-chrétien, M.-H. Robert explore la réception diversifiée de Rm 9—11 au fil des siècles et dans différents contextes confessionnels. Entre ignorance envers Israël, déni, refoulement, intérêt, bienveillance, débats, engouements, la gamme est large.

Au XXe siècle, les Églises ont promu un nouveau regard sur Israël, mais dans les discours et les priorités, la mission se passe du rapport à Israël. Pourtant, bénéficiant de l’appel sans repentance de Dieu (Rm 11,29), Israël a une mission particulière dans le monde, que l’Église rejoint, dans le cadre d’une mission commune, par sa propre mission. Fruit d’une thèse novatrice, le livre ouvre des perspectives très stimulantes pour la missiologie.

[1M. Pivot, Au pays de l’autre. L’étonnante vitalité de la mission, Paris, L’Atelier, 2009