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Évocation d’une figure de courage : Ruth la Moabite

Par le Pasteur Florence Taubmann, présidente de l’AJCF

Nous avons retenu comme thème de notre assemblée générale les mots : « courage » et « liberté » ! Ce sont des mots magnifiques, et pensant à la Bible, plusieurs figures de « courage » et « liberté » peuvent nous venir à l’esprit, notamment des femmes : Rahab, Tamar, Déborah …

Aujourd’hui c’est Ruth la femme de Moab que je désire évoquer, car je lui ai toujours voué une grande affection. Pour rappel le pays de Moab se situe au sud-est de Juda, et le récit de la Genèse lui donne pour ancêtre Lot, neveu d’Abraham, mais par le biais d’une relation incestueuse, juste après l’épisode de la destruction de Sodome.
Le poids généalogique qui pèse sur Ruth est donc lourd à porter, à tel point qu’on préfère souvent la considérer tout simplement comme une femme étrangère.
Dans le Livre qui porte son nom, elle est la belle-fille d’une femme de Bethléem, Noémi, qui a dû émigrer pour cause de famine avec son mari Elimélec et leurs deux fils Mâhlon et Kilyon. Ceux-ci ont épousé Orpa et Ruth, filles de Moab. Puis les trois hommes sont morts, laissant les trois femmes dans la triste et dure condition du veuvage.

Avec beaucoup de sagesse Noémi décide de rentrer dans son pays, à Bethléem, et invite ses deux belles-filles à rejoindre leurs propres familles afin d’être en mesure de fonder un nouveau foyer. Orpa finit par accepter. Mais Ruth ne l’entend pas de cette oreille.

C’est alors que nous entendons ces paroles magnifiques et imprimées dans nos mémoires : « Ne me presse pas de t’abandonner, de retourner loin de toi ! Car là où tu iras j’irai, là où tu passeras la nuit je passerai la nuit, ton peuple sera mon peuple, ton Dieu sera mon Dieu ! Où tu mourras je mourrai et je serai enterrée. Le Seigneur me fasse ainsi et plus si ce n’est pas la mort qui nous sépare !  »

Et Ruth se met en route avec Noémi.
Je voudrais juste dire un mot sur la parole de Ruth et son engagement en relation avec le thème qui nous rassemble ces deux jours.

Courage ! Liberté !

A propos de Ruth, nous pourrions conjuguer les deux mots dans l’un ou l’autre sens. Le courage de la liberté ! La liberté du courage !
Autrement dit, ceci nous invite à considérer –à imaginer, le moment –clef de la décision ! Le moment-clef de l’impulsion qui pousse Ruth sur le chemin de l’Aller vers Bethléem plutôt que sur le chemin du Retour vers sa propre famille !
L’attitude d’Orpa peut nous aider à comprendre celle de Ruth. Dans un premier temps Orpa a ressenti le même désir que Ruth, mais elle a finalement reculé. Elle a pris le chemin du Retour !
Sagesse ou peur ? Renoncement à son désir ou découverte d’un désir autre ? Impossible de le savoir.
Mais Ruth, elle, persiste dans ce désir, dans cette intuition que pour s’annoncer difficile, le chemin qu’elle emprunte est celui de son avenir, quel qu’il soit ! Elle a quelque chose à y faire.
Par conséquent elle trouve en elle-même la liberté de son courage. En se mariant au fils de Noémi, elle s’est détachée de sa famille, et rien ne peut la faire renoncer à cette liberté acquise par rapport à ses origines. Cette liberté obtenue est le lieu possible de son courage, de l’affirmation de soi. Aussi elle préfère s’accrocher à ce présent endeuillé, car elle peut y puiser la force d’aller plus loin !
Mais cette liberté et ce courage ne sont pas simplement une question de statut social et de relations familiales.

Ruth est une femme inspirée. C’est une femme de cœur. Une femme aimante. Et le fil qui la retient est certainement celui de l’affection qu’elle porte à sa belle-mère. C’est ce que l’on entend dans ses paroles. « Là où tu iras j’irai, ton peuple sera mon peuple, ton dieu sera mon Dieu  ».

Autrement dit, il y a un troisième terme qu’il faut ajouter à courage et liberté, c’est le mot fidélité, qui fait le trait d’union entre les deux.
Ruth part vers son avenir, car elle s’est choisi une nouvelle fidélité. Ce faisant, elle ne trahit rien ni personne, car c’est sa propre histoire, sa propre identité qu’elle entraîne avec elle, à la suite de Noémi. Car même si sa « conversion » la déplace et l’intègre dans un nouveau peuple, le peuple juif, la symbolique de cette conversion a une portée si universelle qu’elle vaut promesse de libération et de liberté pour tous.
Ruth la Moabite nous apprend qu’aucun enracinement, aucune appartenance, aucune histoire ne doivent représenter une prison, un carcan un destin irrémédiable pour les êtres humains. Tous sont appelés à vivre la fidélité dans la liberté.

Limoges, 17 mai 2012, à l’assemblée Générale de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France
Pasteur Florence Taubmann, présidente de l’AJCF