Le P. Jean Stern nous offre en effet un travail qui n’avait encore jamais été proposé, du moins dans l’ère francophone : présenter, avec une exigence de systématicité, les grands textes et thèmes de Jean-Paul II dans son approche du peuple juif et du Judaïsme, aussi bien lors de ses allocutions auprès de délégations juives pendant ses très nombreux voyages, qu’à travers les documents officiels produits sous son pontificat.
C’est ainsi que l’auteur revient à juste titre, à plusieurs reprises, sur la fameuse « formule de Mayence » (17 novembre 1980) dans laquelle Jean-Paul II affirme fortement : « l’ancienne Alliance […] n’a jamais été dénoncée par Dieu », affirmation répétée par le Catéchisme de l’Église catholique (1992) qui enseigne que « l’Ancienne Alliance n’a jamais été révoquée » (CEC 121) à la suite de saint Paul (cf. Rm 11, 29) (cf. pp. 22-23).
En fin de volume, l’auteur dresse une liste très riche des « interventions de Jean-Paul II sur Israël et le Judaïsme » (pp. 307-317) où, année après année, sont donnés les lieux, les dates exactes, les circonstances dans lesquelles le Pape s’est exprimé sur ces sujets. On perçoit, en parcourant toutes ces années, la grande régularité de ces interventions et les contextes les plus divers dans lesquels elles se sont insérées.
J. Stern reproduit également dans ce livre un certain nombre d’interventions de Jean-Paul II qu’il est très utile de pouvoir lire, au fil des ans, dans leur continuité. Il les fait suivre de deux documents émanant de la Commission pontificale pour les relations religieuses avec le Judaïsme : les « Notes » de 1985 « pour une correcte présentation des Juifs et du Judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Église catholique », et « Nous nous souvenons », le document de réflexion de cette même Commission pontificale sur la Shoah.
Mais il ne faudrait pas penser que ce livre n’est qu’un simple commentaire de textes de Jean-Paul II, car l’auteur est un authentique théologien qui a profondément pensé notamment toutes les résurgences actuelles du marcionisme qui guette toujours l’Église. Il en donne de nombreux exemples contemporains dans un chapitre particulièrement dense intitulé : « Marcionisme, néo-marcionisme et Tradition de l’Église » (pp. 121-158). La revue Sens avait déjà reproduit une étude de Jean Stern sur ce thème, « ’Sortie de la religion’. Marcionisme et Eucharistie » [1].
D’autres études théologiques viennent enrichir ces méditations sur le Mystère d’Israël, l’une sur « Israël et l’Église dans l’exégèse de saint Grégoire le Grand » (pp. 275-291), l’autre sur « Marie et son peuple dans la liturgie romaine actuelle » (pp. 293-305), étude particulièrement précieuse car l’auteur, Missionnaire de Notre-Dame de La Salette, était spécialement qualifié pour la mener à son terme.
Pour finir, deux remarques qui ne sont nullement des critiques mais qui voudraient plutôt élargir le champ de recherches de l’auteur et proposer de les prolonger :
– Dans cette étude serrée des textes de Jean-Paul II, J. Stern ne pouvait, parallèlement, approfondir longuement les relations personnelles du Pape avec ses amis juifs qui ont pourtant intensément nourri sa réflexion en ce domaine : en premier lieu, évidemment son ami d’enfance, Jerzy Kluger. On dispose aujourd’hui de trois livres en français sur leurs relations, l’un de Gian Franco Svidercoschi, L’ami juif du pape, éd. Mame, 1995 ; Darcy O’ Brien, Dans le secret du Vatican. Le récit inédit d’une amitié qui a radicalement changé les relations entre Catholiques et Juifs, éd. Fides (Québec, Canada), 1999 ; enfin, un livre de J. Kluger lui-même (avec Gianfranco Di Simone), Une amitié qui a changé l’Histoire. Jean-Paul II et son ami juif, éd. Salvator, 2013.
Mais il est une autre amitié, moins connue parce que se situant à un niveau essentiellement philosophique, qui est sa relation avec Emmanuel Levinas. Qu’il me soit permis d’ajouter que je donne un assez grand nombre de références en ce domaine dans un chapitre de mon article sur « Jean-Paul II, 26 ans d’actes et d’écrits en direction des Juifs et du Judaïsme », « La rencontre d’Emmanuel Levinas » [2].
– Enfin, cet ouvrage mériterait une suite : en effet, la Tradition de l’Église est une réalité essentiellement vivante qui ne cesse de se renouveler, et tout particulièrement dans le domaine des relations judéo-chrétiennes qui a connu des développements déterminants depuis seulement cinquante ans, c’est-à-dire depuis le Concile Vatican II (1962-1965).
Après Jean-Paul II, le pontificat de Benoît XVI (2005-2013) a intensément approfondi les relations de l’Église catholique avec le Peuple juif et le Judaïsme, notamment par une réflexion essentiellement théologique.
Un autre livre, bâti comme celui-ci, qui tendrait également à présenter de façon quasi systématique et exhaustive les textes de Benoît XVI en direction du Judaïsme serait des plus précieux. Pour ne donner qu’un exemple et une nuance, Mgr d’Ornellas me faisait remarquer que là où Jean-Paul II parle de ses « frères aînés dans la foi » (discours à la Grande Synagogue de Rome, 13 avril 1986), Benoît XVI évoque, lui, ses « frères aimés dans la foi » (discours aux représentants de la communauté juive, à la nonciature apostolique, Paris, 12 septembre 2008 [3].), inflexion qui donne vraiment à penser ! Un beau chantier en perspective.
Bruno CHARMET