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Lutter contre l’antisémitisme : une responsabilité politique, Jean-Dominique Durand

Retour sur la Journée nationale de lutte contre l’antisémitisme- Dimanche 19 mars 2023

Le 19 mars, s’est tenue au Mémorial de la Shoah à Paris, la deuxième Journée nationale de lutte contre l’antisémitisme organisée par l’AJCF le jour anniversaire de l’assassinat par un terroriste islamiste dans une école juive à Toulouse, l’école Ozar Hatorah, de trois enfants, Myriam Monsonego, 8 ans, Arié Sandler 5 ans, Gabriel Sandler 3 ans, et leur père enseignant, Jonathan Sandler 30 ans.

Primo Levi nous avait avertis :
« L’idée d’un nouvel Auschwitz n’est certainement pas morte, comme rien ne meurt jamais. Tout resurgit sous un jour nouveau, mais rien ne meurt jamais. »

L’AJCF veut souligner la valeur de la responsabilité dans la lutte contre la haine antisémite et sa banalisation, car elle est l’affaire de tous, de la société toute entière. En 2022, nous avions décliné la responsabilité de l’éducation, des médias, des croyants (toutes les interventions ont été publiées dans Sens).
En cette année 2023, nous avons choisi de porter nos réflexions sur la responsabilité politique. Le 19 mars 2022, la Ville de Toulouse et l’État avaient organisé une commémoration solennelle, en présence des plus hautes autorités, du Président de la République Emmanuel Macron, et du Président de l’État d’Israël Isaac Herzog. Le Président Macron avait déclaré notamment :
« Nous sommes là ensemble pour dire à ceux qui ont été frappés par la barbarie que nous les soutenons mais nous sommes aussi là pour rappeler ensemble que la France et Israël, Israël et la France sont ensemble déterminés à vaincre le terrorisme sous toutes ses formes et sur tous les fronts, et qu’ensemble, nous sommes déterminés à anéantir l’antisémitisme y compris celui qui se cache sous le masque de l’antisionisme. C’est pourquoi fin 2019, le Parlement français a adopté la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah. »

On est bien là dans la responsabilité politique, la responsabilité de l’Acte politique, de l’action politique.

Dans son livre Souviens-toi de nos enfants, écrit sous le coup de l’assassinat de son fils et de ses petits-enfants, Samuel Sandler, Président d’honneur de notre Journée, écrit :
« Quittant ce lieu, où mes enfants ont été, ce matin, assassinés, je frissonne en songeant que jamais nous ne connaîtrons la paix. Nos martyrs relèvent de la tradition, spasmes irrépressibles d’une haine millénaire. Comment avons-nous été assez fous pour penser qu’il serait possible d’animer ici et ailleurs des écoles confessionnelles, de porter nos kippas et nos chapeaux hauts dans la rue, de marcher jusqu’à nos synagogues les soirs de shabbat ? Avions-nous oublié que dès qu’il faudrait expier un mal ou se venger d’un sort, c’était toujours à nous les juifs qu’on s’en prendrait, toujours nous les juifs qu’on giflerait dans les églises ou nous les juifs qu’on éliminerait d’une balle dans la tête ? »

Ce cri de douleur interpelle. Oui, la haine des juifs est de notre temps, comme il est de tous les temps. Toutes les statistiques tendent à confirmer la résurgence de l’antisémitisme par des agressions physiques ou verbales, tout comme la diversité de ses expressions, au point que l’on peut parler d’un virus aux multiples variants pour utiliser une expression actuelle, installé dans la durée, sans rupture dans le temps, « un phénomène épidémique » dit Haïm Korsia.

Si les préjugés les plus éculés, transmis de génération en génération sont toujours présents, la question de l’antisémitisme n’est-elle pas devenue aujourd’hui, une question avant tout politique ? Francis Kalifat, ancien président du CRIF a dit à l’occasion de notre Journée 2022 que nous sommes confrontés à « un condensé toxique d’islam radical, d’extrême-droite et d’extrême-gauche. » Les responsables politiques, les élus notamment sont en première ligne, surtout lorsqu’ils se trouvent confrontés à d’autres dirigeants politiques qui colportent et diffusent l’antisémitisme. On se souvient des injures et des menaces de mort adressées à Léon Blum. Le 15 mai 1936, Charles Maurras écrivait : « C’est en tant que juif qu’il faut voir, concevoir, entendre, combattre, abattre le Blum », et Pierre Gaxotte le 7 avril 1938 : « Blum incarne tout ce qui nous révulse le sang et nous donne la chair de poule. Il est le mal, il est la mort ». Et l’enceinte parlementaire résonnait d’injures et d’invectives. Deux ans et quelques mois plus tard, c’était Vichy et le premier Statut des juifs.

Pourtant, en juillet 2022, à peine élus, 38 députés affiliés à la NUPES, déposèrent une Résolution « condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien », tandis que des propos infâmes étaient prononcés au moment de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942. Les temps ont changé, les arguments, les mots ne sont plus les mêmes. On importe en France le conflit du Moyen-Orient, on exacerbe de nouvelles haines contre les juifs français, on fait de l’israélophobie fondée sur la propagande du Hamas et sur une désinformation systématique à l’encontre de l’État d’Israël, une doctrine politique qui s’exprime jusqu’au Parlement. D’autres actes politiques solennels ont été plus porteurs : comme les discours de Jacques Chirac de 1995. Pourtant il avait fallu 50 ans pour que l’évidence, à savoir la participation active de la police française, donc de la France à la mise en œuvre du génocide des juifs soit reconnue par la plus haute autorité de l’État. Cet acte politique fut libérateur.

L’Acte religieux peut-il être politique ? L’acte de l’archevêque de Toulouse, Mgr Jules-Géraud Saliège, une lettre lue le dimanche 23 août 1943, par laquelle il se dressait contre les rafles de juif et les déportations :
« Les juifs sont des hommes, les juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier. »
Des paroles simples qui ont permis, les travaux de Serge Klarsfeld et de Jacques Sémelin le montrent, d’enrayer la machine à broyer. Cet acte, inspiré par l’esprit de charité, fut un acte éminemment politique dès lors qu’il tendait à s’opposer au gouvernement en place.

Mais des malfaisants ont cru devoir agresser le buste de ce prélat respecté de tous pour son courage. Le message de son successeur, Mgr de Kérimel, à lire ci-dessous est à méditer. Tout comme la belle chronique d’Éliette Abécassis publiée dans La Croix qui en dit long sur le mal antisémite qui ronge la société comme un cancer.

Or rien n’est pire que l’indifférence et la difficulté de mettre des mots sur les événements dont on est témoin, d’avoir le courage – la responsabilité est une forme de courage – d’identifier et de dénoncer le mal. On se souvient des tergiversations de la Justice pour définir le meurtre de Sarah Halimi comme un meurtre antisémite, et non un coup de folie. Le massacre du 19 mars 2012 n’avait guère suscité d’émotion dans la population française en dehors de quelques « marches blanches » qui avaient rassemblé surtout des juifs. Richard Prasquier se souvient de cette journée du 19 mars alors qu’il était président du CRIF, de l’embarras des autorités pour reconnaître la réalité d’un attentat islamiste dont la motivation était l’antisémitisme dans lequel baignaient son auteur et sa famille. L’une des responsabilités majeures du monde politique est là, dans la nécessité de désigner le mal, et ceux qui le propagent. Albert Camus a écrit alors que la guerre était loin d’être achevée, au début de 1944, cette phrase souvent citée, « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde ». Mais je préfère ce qu’il écrit avec plus de force encore dans L’homme révolté en 1951 : « La logique du révolté est de s’efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge du monde ».

Identifier le mal, le dénoncer sans chercher des excuses ni louvoyer, isoler ceux qui le portent et le répandent, ne jamais laisser les juifs seuls face à l’abjection, telle est notre responsabilité partagée.

Editorial du 3 avril 2023