Le plus étonnant est que la prière qui ouvre les solennités de Kippour, Kol Nidrei, dite en Araméen, est difficilement traduisible et compréhensible. Elle est répétée trois fois comme une incantation qui va crescendo par l’officiant ou le chantre, sur une mélodie qui nous émeut tant qu’elle nous fait oublier que nous ne comprenons pas ce qui est dit. Or le Judaïsme est connu pour sa volonté de comprendre la Parole, de scruter le sens de ce qui est dit et même d’en chercher la pluralité. Une fois par an nous sommes donc en contradiction flagrante avec nous-mêmes. Nous sommes-là, bien plus nombreux que d’habitude à collectivement ne pas comprendre ce qui est dit. Mais pour rien au monde ne voudrions-nous être ailleurs.
Il y a une part de mystère à ce qui nous attire en si grand nombre à la synagogue ce soir-là.
Kol Nidrei signifie « tous les vœux » et en quelque sorte la prière dit sur le mode de la répétition que nous annulons tous nos vœux pris au courant de l’année écoulée, tout ce que nous n’avons pas pu accomplir pour réaliser nos engagements envers Dieu. C’est une manière sans doute d’appuyer encore la sainteté du langage, quelque chose qui ressemble à l’interdiction de dire le nom de Dieu en vain. Au courant d’une année nous disons très souvent je jure ceci, ou je promets cela… . Mais cela paraît bien banal devant la récitation par trois fois de ce texte pléthorique en araméen. Comme s’il y avait là plus de sens que ce qui paraît à première vue mais qu’en réalité, ce sens nous échappera toujours. Une fois par an nous sommes peut-être là sans comprendre, en laissant l’humain en nous dépasser le rationnel, pour quêter autre chose.
Kippour, ce jour de repentance, où la communauté rassemblée même avec ses membres les plus éloignés prie pour le salut de tous, est comme un temps hors le temps, hors le décompte habituel des jours.
Un temps où nous sommes dans les limbes, espérant la vie pour l’année qui débute, craignant l’arrêt de toute chose car nous avons pêché. Le son du chofar qui nous accompagne depuis le début des fêtes du Nouvel An juif vient déchirer l’air comme une semonce, un appel à l’éveil de notre conscience. Qu’avons-nous fait durant l’année qui s’est écoulée ? Qu’avons-nous vraiment fait ? C’est à cette clarification de nos faits et gestes que notre conscience est appelée irrévocablement. Certaines communautés comprennent le Kol Nidrei comme l’annulation des vœux pris dans le passé, d’autres déclarent nuls les vœux à venir, ce qui paraît bien plus étrange encore. Là aussi il faut renoncer au rationnel qui permettrait de comprendre.
Le Jour de Kippour ce n’est pas de cela qu’il s’agit,mais plutôt de chercher la présence,la proximité du Très Haut. Et comment ne pas craindre cette proximité puisque nous savons et répétons qu’en cours de l’année écoulée nous avons pêché et que même armés des meilleures résolutions possibles nous risquons bien de pêcher encore. Même si nous faisions ce jour-là le vœu d’avoir désormais une conduite irréprochable, ce ne serait qu’un vœu pieu. D’ailleurs cette expression n’indique-t-elle pas que nos vœux ne sont que des élans de notre âme, désireuse de bien faire mais se sachant incapable d’être toujours droite et juste ?
Peut-être que les Juifs de Kippour sont ce jour-là en prière sans comprendre car chercher la proximité de l’Éternel, espérer s’approcher de Lui constitue un temps hors du temps, puisque ce n’est pas dans le Fini que l’on peut rencontrer l’Infini. Alors nous nous rendons en nombre à la synagogue, vêtus de blanc, voulant être immaculés, purifiés par la prière, par l’examen de conscience, déliés de nos vœux passés pour être comme neufs pour l’année qui débute.
Au bout de 25 heures de jeûne et de recueillement et au son du Chofar nous sommes prêts à recommencer et d’abord à manger et à boire. Mais pas tous, car il faut prier encore. La prière du soir, Maariv, a besoin de son Minyan, de son quorum d’âmes. Seuls quelques-uns se pressent, ceux qui n’ont pas déjà oublié les vœux fraîchement contractés.
Liliane Apotheker