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Cette année, comme tous les ans quand se termine la période des vacances, je me prépare à l’approche des grandes fêtes de Roch Hachanah et de Yom Kippour à faire le bilan honnête de l’année écoulée.
Cette année plus que les années précédentes, cette démarche nécessite une introspection, un examen de conscience qui irait au plus profond de l’âme, ne se laissant pas entraver par le confort de l’habitude, la certitude puisée dans des traditions anciennes et des rituels que l’on aime.
À l’Amitié judéo-chrétienne de France, des Chrétiens et des Juifs s’expriment ensemble sur la relation nouvelle établie entre nous depuis plusieurs décennies maintenant. Quand des problèmes surgissent, très souvent des Chrétiens prennent leur plume pour nous défendre, nous réconforter. Cela a été le cas plusieurs fois cette année, et Madame J. Cuche a su trouver les mots justes.
Cette fois, c’est à nous, Juifs de nous exprimer, de nous engager, de montrer que nous ne sommes pas uniquement en attente d’un réconfort que quelquefois nous estimons même être un dû. La réciprocité dans la relation judéo-chrétienne consiste aussi à reconnaître nos égarements et nos fautes et à les dénoncer sans retenue.
Ces dernières semaines ont été marquées par des événements d’une inhumanité rare en Israël, exécutés par quelques uns seulement, mais qui nous concernent tous et qui me concerne. Les réactions ont été nombreuses, la plupart faisaient état d’une condamnation sans équivoque, d’autres n’échappaient pas à des mises en perspective, ou à des comparaisons à mes yeux déplacées. Devant la gravité du crime, seul le deuil sied.
Devant ces événements dont le pire a coûté la vie d’une manière infiniment cruelle à un bébé et à son père, je dois me demander ce qui dans ma tradition induit cette inhumanité.
La Torah peut être un élixir de vie ou un poison mortel, disait cet été, à Rome, le rabbin David Rosen, ancien président de l’ICCJ et l’une des personnalités les plus en vue de l’orthodoxie juive, et grand militant du dialogue inter-religieux. Une tradition comme la nôtre est capable de nous pousser au pire si elle est mal interprétée, sortie de son contexte historique, ou détournée de son sens profond au profit de la haine et du racisme primaire. Cela est sans doute vrai de toute tradition religieuse, mais cette fois il s’agit de la mienne et rien ne doit me détourner de mon examen de conscience.
Où est la grandeur morale et spirituelle de ma religion si elle se soustrait à cette douloureuse démarche sous prétexte que rien n’égalerait nos souffrances, ou que l’extrémisme n’est qu’une réponse à celui de nos voisins ?
L’image des victimes ne me quitte pas. Les vociférations d’un Juif orthodoxe disant que les Églises n’auraient pas leur place en Israël car elles seraient idolâtres me donnent la nausée.
Je pense à notre audience papale, lors de notre rencontre annuelle de l’ICCJ à Rome, fin juin de cette année.
Le Pape François avait conclu son propos avec sa demande habituelle : « Priez pour moi ».
Cette demande démontre une grande humilité et la reconnaissance d’une vulnérabilité. Elle m’a littéralement bouleversée.
Je fais mienne cette vulnérabilité, rien ne saurait désormais justifier l’orgueil que l’on peut éprouver d’appartenir à une tradition religieuse. Dieu ne nous demande-t-il pas de « marcher humblement avec lui ? »
Liliane Apotheker
Vice-Présidente de l’ICCJ.