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Ukraine : oser une Paix européenne

Jean-Dominique Durand
Président AJCF

Dans la nuit du 23 au 24 février 2022 une nouvelle page de l’histoire de l’Europe s’est ouverte dans le sang et dans la fureur des bombardements. Vladimir Poutine entend effacer par la force l’histoire des trente dernières années, les années de la fin de l’Union soviétique, et de l’affirmation de nations indépendantes, tournées vers la démocratie et l’Union Européenne. Il rêve d’un retour à la domination de la Russie sur les nations voisines, dans un esprit impérialiste d’inspiration tout à la fois tsariste et stalinien. Sa méthode, c’est l’intimidation, puis la guerre qui doit conduire à la soumission totale.

Comme les Pays Baltes et la Pologne, l’Ukraine sait ce que signifie la domination russe : un double écrasement culturel et physique. Au XIX° siècle, le tsarisme a tout fait pour empêcher l’usage de la langue ukrainienne procédant à la russification du pays, politique poursuivie et accentuée au XX° siècle par Staline, qui ajouta à ce que l’on a appelé « un génocide linguistique », l’extermination par la faim d’une partie de la population en 1932-1933 avec la froide organisation d’une famine – ce que les Ukrainiens nomment Holodomor - qui fit entre deux millions et demi et cinq millions de morts. L’histoire de l’Ukraine est trop souvent tragique, faite de persécutions multiples et croisées, sans cesse répétées. Les croyants ont particulièrement souffert : les gréco-catholiques, les orthodoxes, les juifs surtout victimes d’innombrables et atroces pogroms, notamment au moment de la guerre civile en 1919-1920, jusqu’à la mise en œuvre de la « Shoah par balles ». A Babi Yar, à Kiev, 34.000 femmes, hommes, enfants juifs furent exécutés par les Einsatzgruppen en deux jours, les 29 et 30 septembre 1941. A Babi Yar les nazis tuèrent aussi des milliers de roms, de malades mentaux, de résistants, de soldats. Les mémoires restent conflictuelles, et il fallut attendre 2021, quatre-vingts ans après, pour qu’un monument pût être inauguré en l’honneur des victimes juives par le président ukrainien Volodymyr Zelenski, qui a lui-même perdu une partie de sa famille en ce lieu.
Mais, complexité de l’histoire, l’Ukraine est aussi l’un des pays d’Europe qui compte le plus de Justes reconnus par Yad Vashem, au nombre de 2673 (676 en Biélorussie, 215 en Russie).

Alors que l’Ukraine semblait avoir trouvé depuis trente ans le chemin de la paix et non sans soubresauts celui de la démocratie, voilà à nouveau ce pays confronté à la tragédie d’une guerre. Ouverte dès 2014 dans le Donbass, elle vient de prendre un tour nouveau avec l’invasion russe et la menace nucléaire. Le pape Jean-Paul II dénonçait toute guerre comme « une aventure sans retour », parce qu’elle est un processus dont le développement est imprévisible. Nul ne sait aujourd’hui jusqu’où ira cette agression de la Russie contre cet État souverain. Déjà les images qui nous parviennent confirment s’il en était besoin, que la guerre entraîne pour les peuples la misère et des malheurs de toutes sortes. La guerre est une fabrique de douleurs et de réfugiés, de destructions et de morts.

L’Union Européenne est en train de confirmer l’intuition créatrice des Pères de l’Europe, ces hommes d’État qui dès 1950 ont vu loin, et ont compris que l’Europe n’avait d’avenir que dans la paix. L’Union a raison d’opposer à l’agression, la force morale du Droit et très concrètement de mobiliser sa puissance économique, tout en restant dans la retenue sur le plan militaire, et disponible pour une médiation. Ne met-elle pas en mouvement (peut-être sans le savoir !) la recommandation du prophète Isaïe : « Et l’œuvre de la justice sera la paix, et le fruit de la droiture sera le calme et la sécurité à tout jamais » (Is 32, 17).

Que peut faire, dans un tel contexte, une association comme l’AJCF ?

Œuvrer pour nourrir parmi nos concitoyens l’esprit de paix et de solidarité avec le peuple ukrainien, pour se réapproprier ces aspects fondamentaux de la vie commune que sont la paix et la solidarité. Œuvrer toujours pour que les religions soient porteuses de paix et de dialogue, d’amitié mutuelle. « Éloigne-toi du mal et fais le bien, recherche la paix et poursuis-la » dit le psalmiste (Ps 34, 15). L’Ukraine est une terre marquée par l’orthodoxie, le catholicisme dans sa tradition grecque et le judaïsme. La paix est liée à l’unité des religions. Il convient d’approfondir la formule du patriarche de Constantinople Athénagoras qui disait : « Églises sœurs, Peuples frères ». Lorsque les religions sont dans le dialogue, entretiennent entre elles une amitié confiante, les peuples sont plus unis. Alors pourra se réaliser la prophétie d’Isaïe : « Ils forgeront leurs glaives en socs et leurs lances en serpes. On ne lèvera pas le glaive nation contre nation et on n’apprendra plus la guerre » (Is 2, 4).

Œuvrer par la prière comme y invitent toutes les autorités religieuses, par le dialogue et la pratique de l’amitié, par la solidarité, chacun d’entre nous peut se faire « artisan de paix » (Mt 5, 9).

Edito Février 2022