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Hommage de Bruno Charmet, directeur de l’AJCF
Évoquer Mgr Deniau, c’est pour moi revenir à 1998, l’année où il fut nommé évêque de Nevers. Je travaillais à l’époque au secrétariat général de l’épiscopat, et déjà beaucoup connaissaient la sagesse de son jugement et ses préoccupations pastorales lorsqu’il était vicaire général du diocèse de Nanterre (1985-1997).
Je l’ai retrouvé lorsqu’il fut Président du Comité épiscopal pour les relations avec le Judaïsme (2000-2005) ; travaillant désormais à l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, j’ai été saisi par son humilité et sa soif de découvrir, émerveillé, la source juive, comme il disait, qu’il était si heureux d’approfondir au fil de lectures de maîtres juifs, d’amis rencontrés régulièrement aux sessions de Davar, Armand Abécassis, Gilles Bernheim, Edouard Robberechts,...
Il fut aussi, pour l’AJCF, un collaborateur précieux et un conseiller avisé. Signalons, parmi la quinzaine d’articles donnés à notre revue Sens, son grand commentaire sur Nostra Aetate, à l’occasion de la célébration du 40ème anniversaire de la Déclaration conciliaire, dans le cadre de notre Conseil national de 2005. Il faut aussi rappeler sa contribution au Colloque de l’AJCF que nous avions organisé en partenariat avec le B’nai B’rith, au Sénat, en 2006, sur un thème audacieux et novateur qui voulait prendre une certaine distance par rapport à la traditionnelle asymétrie dans le dialogue judéo-chrétien : Judaïsme et Christianisme : Un pas vers la reconnaissance mutuelle. Face à Armand Abécassis qui répondait à la question : Qu’est-ce que le Juif peut tirer de l’exemple chrétien ? Mgr Deniau s’interrogeait sur : Ce que le Chrétien peut offrir aux Juifs et à quelles conditions ?
En février 2013, il avait accepté d’être membre du Comité d’Honneur de l’AJCF, et il nous avait fait l’honneur de participer à l’ensemble du Colloque de l’ICCJ et à la journée d’Assemblée générale de l’AJCF, à Aix-en-Provence, en juillet dernier.
Mais je voudrais aussi évoquer deux de ses livres qui sont pour moi des témoignages de vie au sens le plus profond :
– Jésus, l’ami déroutant (DDB, 2002), une lecture renouvelante de la vie de Jésus inséré dans son peuple et la tradition rabbinique, qui peut s’adresser à tout homme, à toute femme, y compris aux non-croyants, tant son humanité est ici reconnue de façon bouleversante ;
– Chemins de vie, chemins de Dieu qu’il venait, il y a à peine quelques semaines de finir (DDB, novembre 2013). J’avoue que j’ai ressenti un véritable choc en lisant ces pages, particulièrement le chapitre "Du mal et du malheur", car ces pages, tellement justes et fortes, tenaient compte des tourments de nos contemporains. Il prenait au sérieux l’état spirituel de notre pays aujourd’hui, situation difficile dans une société sécularisée mais dont les membres aspirent à trouver malgré tout un sens à leur vie, à travers beaucoup de détours... Et puis les pages commentant la vie de Jésus sont pour moi dans la droite ligne de son premier livre. Là encore, on retrouve ce Jésus tellement humain, bouleversant d’humanité, tellement plus que nous autres, que son humanité renvoie à une autre dimension ; avec, partout présente, la source juive.
Il est pour moi très émouvant d’écrire ces quelques lignes car j’ai rencontré pendant plus d’une heure Mgr Deniau, à la maison Jeanne Garnier, vendredi soir dernier 10 janvier ; très affaibli, il aspirait à parler de choses essentielles ; nous avions reparlé de son tout dernier livre et il ajoutait à ma remarque sur la source juive partout présente, que tel en avait été son désir, et il en était heureux, profondément heureux, me répétait-il. Nous avions pu parler aussi du Pasteur Dietrich Bonhöffer, un de ses auteurs de prédilection, notamment ses lettres de prison, ("résistance et soumission"), sa pensée si actuelle prenant, dès 1944-45, acte d’une sécularisation avancée, les hommes se passant de l’hypothèse-Dieu.
Enfin, en guise "d’A Dieu", je me permets de reproduire ses vœux envoyés par mail à ses amis quelques jours auparavant, en signe de bonne année :
"Avec ces quelques nouvelles, je vous souhaite bonne route en 2014, pour moi dans la joie de l’accueil du Don de Dieu en Jésus. Communion et amitié. Francis Deniau ".
Bruno Charmet, directeur de l’AJCF
Hommage d’Armand Abécassis, vice-président de l’AJCF
Le décès du Père Francis Deniau nous peine et nous afflige. De lui nous pouvons et nous devons dire et témoigner qu’il était un authentique tsaddik. Par son humilité d’abord, qui se traduisait dans le ton de sa voix adressée à chacun et à tous et dans ses relations faites de constant tsimsoum pour montrer aux autres la grande place qu’il leur laissait, il restait fidèle à sa vocation de serviteur de Dieu.
Dans mes nombreuses discussions avec lui me venait à l’esprit la réaction de Jésus : "Tu l’as dit "et c’est comme cela toujours qu’il considérait l’accueil, le partage et la générosité amicale et fraternelle.
Armand Abécassis, vice-président de l’AJCF
Armand Abécassis nous confie également le texte qu’il avait écrit en juillet 2011 en hommage à Mgr Deniau :
Le Chrétien qui se construit sur sa mémoire juive
Francis Deniau a voulu que les sessions de Davar se tiennent dans son Évêché à Nevers et depuis 3 ans, nous jouissons du lieu, de l’accueil, du confort et du dévouement qui nous sont réservés. Il nous fait honneur et nous donne la joie de l’entendre parler de sa foi et du lien profond qu’elle a avec le Judaïsme, avec le peuple juif, avec la terre et l’État d’Israël. Il ne se conçoit pas chrétien sans la connaissance du peuple qui a donné naissance à Jésus et à ses disciples. Ce n’est pas là un souci d’historien chez lui mais le fondement de sa condition spirituelle, de son identité même de chrétien. C’est la conscience claire de ce que Jésus le juif attend de lui comme chrétien au sein du monde et des Nations. Mais c’est là aussi sa conviction que la réconciliation entre l’Église et la Synagogue est urgente et que nous devons y travailler ensemble quotidiennement comme il sait le faire et comme il nous en donne le témoignage. Il sait que Dieu a besoin de ces deux alliances pour la réalisation universelle de sa parole, dans l’espace et dans le temps. Il faut écouter Francis Deniau présenter et commenter les vitraux de sa cathédrale. C’est de toute sa présence et de toute son âme qu’il plonge dans chacun de ces vitraux sans cesser de rappeler les significations juives et chrétiennes qu’ils représentent. Il ne parle pas du vitrail mais il le fait parler et sa parole semble nous atteindre du vitrail même qu’il sait rendre vivant comme un texte d’Évangile et de Torah à la fois.
L’avoir connu et reconnu, avoir travaillé avec lui, nous a rendus heureux et enrichis. Ce fut un honneur pour moi de développer l’amitié affectueuse que je ressens pour lui, associée à mon admiration pour son magnifique engagement dans les relations judéo-chrétiennes. Il se trouve assurément sur la ligne de fidélité qui le relie à Jésus et à Dieu et qu’il déploie à chacune de ses rencontres sur le Judaïsme et avec les Juifs. Cette fidélité à sa vocation propre doit être comprise comme sa responsabilité à l’égard du peuple de Dieu qu’il respecte et aime.
Armand Abécassis
Hommage d’Alain Massini, pasteur de l’EPUF
C’est lundi que notre amie commune Madeleine Cohen m’a appris la mort de Francis Deniau, ajoutant la tristesse et la peine à la grisaille de ce jour d’hiver ardéchois.
Je pense tout d’abord à sa famille et à sa sœur Catherine qui l’ont accompagné jusqu’au bout.
Je pense à Francis, à son combat contre la maladie, à sa souffrance qu’il ne montrait pas et qui me faisait mal. Je suis heureux qu’il ait pu terminer son dernier livre Chemins de vie, chemins de Dieu qui restera pour moi, comme pour beaucoup, ses ultima verba.
Francis est en paix maintenant.
Je rends grâce à D.ieu de nous avoir permis de cheminer un moment ensemble en cette voie d’unité où l’évêque catholique et le pasteur réformé, engagés dans le dialogue judéo-chrétien, pouvaient être tous deux en pleine communion, au-delà de leurs différences confessionnelles.
J’espère que dimanche dernier lorsque l’heure vint, Francis, mon ami, mon frère, a reçu la même grâce que Moïse sur le mont Nébo et que, comme le dit le midrash : D.ieu lui a ravi son âme dans un baiser.
Alain Massini
Hommage de Madeleine Cohen, vice-présidente d’honneur de l’AJCF
Cher Francis,
J’ai tant de chagrin, je ne trouve pas les mots pour te parler. Je ne peux croire à ton départ, pour moi tu es et tu seras toujours parmi nous.
Te souviens-tu de la souffrance que nous avions partagée lors de la parution de la dernière Bible de Jérusalem devant les commentaires odieux et infamants de certains versets ?
Ce n’est pas le moment ni le lieu de rappeler ce triste souvenir, je préfère m’attarder sur les moments de bonheur partagés dans l’étude et la compréhension de nos Écritures, de notre compréhension mutuelle pour tout ce qui nous sépare et tout ce qui nous unit.
Te souviens-tu de ce merveilleux après-midi quand tu étais venu prendre le thé chez moi avec Alain Massini, c’était la veille de ta première opération ? Malgré la gravité et l’angoisse du moment, ton visage pâle rayonnait, ta foi inébranlable, ton espérance certaine, ton amour indéfectible pour l’Éternel, ton amitié pleine d’indulgence pour chacun, tout cela se trouvait dans ton regard radieux. Je te parlais de tes cartes de vœux, de tes paroles douces « comme le miel du plateau de Roch-Hachana », que je recevais régulièrement chaque année à l’occasion de cette fête, de la joie que j’en éprouvais.
L’opération s’était bien passée, je reprenais espoir, j’avais régulièrement de tes nouvelles, des échanges téléphoniques, de DAVAR tu m’adressais régulièrement des petits mots plein de tendresse, regrettant mon absence, mais que dire sur ton action que d’autres n’ont pas déjà dit ? Simplement que tout ce que tu faisais, tu le faisais avec amour, simplicité, droiture, tu étais ”Yachar” comme nous disons.
A part nos échanges téléphoniques ou écrits, je ne t’ai pas revu, je garderai de toi ce visage de cet après-midi, rayonnant, ce regard lucide et radieux, n’étais-tu pas déjà dans la lumière de l’Éternel avec « les anges et les séraphins chantant la gloire de Son règne » ? Ta Foi sans faille était, pour tous ceux qui avaient eu le bonheur de te connaître, un gage d’espérance.
Que l’Éternel que « tu as aimé de toute ton âme, de toutes tes forces ; de tout ton pouvoir » en dépit de tes épreuves, de ta maladie que tu as combattue avec tant de courage, t’accueille avec bonté comme les justes comme toi, Amen.
À toute ta famille, à ta sœur qui t’a accompagné avec amour, quelques mots de consolation de notre rituel : « Comble mon Dieu ceux que cette mort plonge dans l’affliction et adoucis leur peine et que ton souvenir soit pour eux et pour nous source de bénédictions. »
A Dieu cher frère et ami
Madeleine Cohen
Hommage de TC, membre de l’AJCF
J’ai échangé à plusieurs reprises avec Mgr Deniau à l’occasion de rencontres organisées dans le cadre des relations entre juifs et chrétiens.
Je garderai de lui le souvenir d’un homme foncièrement humble et profond, qui a parcouru en peu de temps un magnifique chemin dans sa découverte émerveillée du Judaïsme. Je me souviendrai longtemps d’un petit groupe de partage avec lui, il y a une dizaine d’années - une de ses premières sessions à DAVAR qui se passait à Viviers, où il nous a confié avec beaucoup de sincérité et d’émotion les quelques mots suivants : "c’est angoissant pour un évêque d’établir de telles rencontres avec les juifs et le judaïsme". J’ai compris par la suite qu’il voulait parler d’une qualité de rencontre éprouvante pour la (sa) foi, dont il faisait l’expérience depuis peu et qui allait bien au delà des réunions interreligieuses amicales, parfois "protocolaires" ; réunions importantes mais "non suffisantes" car, le plus souvent, elles n’engagent pas vraiment ceux qui s’y rendent...
Par ailleurs, j’ai su que Mgr Deniau avait pris position auprès de certains de ses collègues à l’assemblée des évêques à Lourdes pour confirmer qu’il était nécessaire de manger à la table de nos amis juifs afin de mieux comprendre la Tradition d’Israël. Et donc qu’il était opportun, lorsque cela est possible, de tout faire pour prévoir des repas cachères. Son avis a certainement aidé à mieux faire admettre autour de lui le niveau d’exigence auquel les organisateurs des sessions "Découvrir le Judaïsme, les chrétiens à l’écoute" voulaient se conformer à l’abbaye ND de Melleray en 2010, à La Hublais près de Rennes en 2012 et à Angers l’été prochain.
Oui, je conserverai de Mgr et Père Francis Deniau la mémoire d’un homme juste."
TC
Hommage de Liliane Apotheker, du Conseil exécutif de l’ICCJ
« Il sera comme un arbre planté auprès des cours d’eau, qui donne ses fruits en leur saison et dont les feuilles ne se flétrissent point » (Psaume 1 verset 3)
Je savais depuis quelques temps que Monseigneur Deniau était en fin de vie, mais il était de ceux que l’on espère plus fort que la mort. Sa disparition est une grande perte pour nous tous. Le privilège de l’avoir connu, d’avoir pu construire avec lui une amitié et un partage restera pour moi un temps fort de mon engagement dans le dialogue judéo-chrétien.
Je connaissais ses engagements avant de véritablement le rencontrer.
Il avait beaucoup travaillé à l’édition d’une Bible pour les jeunes avec Francine Leclerc à la Société Biblique. Un travail d’érudition, de transmission primordiale et aussi un travail œcuménique. Je savais aussi qu’il était président du comité épiscopal pour les relations avec le Judaïsme et qu’il avait participé aux voyages de membres éminents de l’Eglise catholique de France, dont le cardinal Jean-Marie Lustiger, à New York, à la rencontre de rabbins orthodoxes pour un symposium théologique. Le Talmud était au cœur de ces échanges, mais aussi le salut, la prière, tout ce qui constitue « la chair » du dialogue judéo-chrétien.
J’ai rencontré Mgr. Deniau pour la première fois à la remise de la légion d’honneur au père Patrick Desbois par Nicolas Sarkozy, alors Président de la République. En me rendant à cette cérémonie, j’étais très émue d’être invitée à l’Elysée pour un événement aussi extraordinaire, moi dont les parents étaient des rescapés de la Shoah.
Je me suis retrouvée à ses côtés et je lui ai parlé pendant un long moment de la Shoah justement, de l’histoire de ma famille, de mon angoisse insubmersible devant la cruauté, et la haine. Il m’a écoutée sans dire un mot mais je ne me suis jamais sentie autant en confiance. Depuis je l’ai revu plusieurs fois, nous nous sommes écrit, nous avons parlé au téléphone. Ces derniers temps, il ne cachait rien de son état, promettant cependant si Dieu lui en donnait la force de venir à Aix-en-Provence à notre colloque de l’ICCJ.
Il avait le dialogue chevillé à l’âme, il comprenait tout de la nature unique du lien entre Juifs et Chrétiens, comme si c’était simple et limpide. Pour toutes ces raisons, il m’était facile et doux de l’appeler « Père ». Je l’ai revu il y a quelques semaines, au Salon des Ecrivains Catholiques pour la présentation de son dernier livre, « Chemins de vie, chemins de Dieu ». Il avait dit qu’il y travaillait beaucoup, qu’il voulait le terminer se sachant à court de temps, et qu’il constituerait un témoignage sur la souffrance. Une fois de plus il ne s’économisait pas pour se mettre au service des autres, la souffrance est malheureusement une situation que nous sommes tous amenés à connaître au cours d’une vie. Son dernier livre sera pour ses lecteurs un soutien précieux.
A ce salon, il était très entouré, la file était longue pour obtenir une dédicace, nous nous sommes peu parlé. Je savais que je ne le reverrais pas, je garde le souvenir de son regard, de son sourire et de sa grande bienveillance, sa tête toujours une peu inclinée comme s’il voulait mieux écouter.
Monseigneur Deniau avait compris que la souffrance d’autrui exige un accompagnement d’une nature particulière, fait d’abord d’écoute et de retenue de la parole. Devant elle, il n’y a pas de conseil qui tienne, seule la confiance totale pouvait la soulager. Quand il évoquait très sobrement la sienne, c’était pour accompagner ainsi toutes les souffrances du monde.
J’ai inséré son nom dans mes prières ce Shabbat à la synagogue, j’attendais dimanche pour lui parler encore, je lui ai laissé un message qu’il n’aura plus entendu, ce texte est comme une conversation avec lui.
Il restera présent dans mon cœur et dans ma prière.
Puisse sa famille trouver consolation dans le fait que sa vie a été pleine et qu’il a su toucher par sa présence un grand nombre de personnes qui, bouleversées de l’avoir connu, ne l’oublieront pas.
Liliane Apotheker
Hommage d’Yves Calais, AJC Besançon
On vient d’apprendre par RCF la mort de Mgr Francis Deniau qui nous avait donné une conférence le 8 novembre 2011 sur l’état actuel de la relation judéo-chrétienne, une des dernières. A son arrivée chez nous, nous avions vu qu’il souffrait au point que nous avions été inquiets pour la soirée, il a tenu bon. Le lendemain, il voyait ses médecins et apprenait son cancer de l’estomac. Ablation, traitements, très lourdes séquelles auxquelles il a pu faire face un peu plus de deux ans. Qu’il soit dans la joie et la paix de Dieu, j’allais dire dans la santé de Dieu, sa sainteté qui était au cœur de sa foi chrétienne.
Je l’avais connu comme aumônier régional de la "Paroisse universitaire", l’association des professeurs catholiques de l’Enseignement public, quand j’en étais président. J’ai beaucoup apprécié sa présence et son travail à l’AJC et à la conférence épiscopale, sa lucidité pour les vraies difficultés et son intelligence des situations, de son soutien et de sa communication, la qualité de sa relation.
J’y ferai une brève mémoire à la prochaine réunion.
Yves Calais