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Où en est l’Eglise catholique dans le dialogue sous Benoît XVI ?

Par Jean Dujardin, Vice-Président de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France
Editorial de Sens, décembre 2011, en avant-première pour le site ajcf.fr
© Sens et AJCF

Un certain nombre d’interrogations de la part d’amis juifs me donnent à penser qu’il demeure un doute dans la communauté juive, et peut-être chez un certain nombre de Chrétiens, sur la profondeur de l’engagement du Pape à l’égard du dialogue entre Juifs et Catholiques.

Sans vouloir rappeler toutes les raisons de ce doute, il convient de les évoquer. Il me semble que les conditions de la publication du Motu Proprio ouvrant plus largement la possibilité de célébrer la Messe selon le rite de saint Pie V dont il faut rappeler en même temps que ce rite ne comporte pas de lectures régulières de l’Ancien Testament le Dimanche, ni même une année sur deux dans les célébrations eucharistiques de la semaine, en ont été le premier symptôme. D’autres événements ont conforté ce doute : l’affaire Williamson, cet évêque « lefebvriste » qui nie l’existence de la Shoah, la nouvelle prière du Vendredi Saint insérée dans le rite de saint Pie V, améliorant certes les corrections de Jean XXIII avant le Concile mais qui apparaît cependant en retrait par rapport à celle du missel de Paul VI. Enfin, parmi les raisons du doute, il faut signaler aussi le décret de reconnaissance de l’héroïcité des vertus de Pie XII, étape préliminaire à une éventuelle béatification. Ces doutes ont certes donné lieu à des commentaires appropriés, mais ceux-ci ont-ils totalement convaincu la communauté juive ? Il ne m’appartient pas d’en juger, mais on peut penser que non.

Il se trouve enfin aujourd’hui que les négociations entre Rome et les partisans de Mgr Lefebvre suscitent à nouveau l’inquiétude, et cela d’autant plus qu’on ne connaît pas la déclaration d’interprétation du Concile, rédigée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, à laquelle il leur est demandé d’adhérer avant de les réintégrer pleinement dans l’Eglise. On se demande ici ou là si cette interprétation ne va pas accorder aux lefebvristes une possibilité d’adhésion nuancée aux décisions du Concile Vatican II. Cette situation est d’autant plus préoccupante que le degré d’autorité des décisions conciliaires est variable selon qu’il s’agit de « constitutions », de « décrets » ou de « déclarations ». Or Nostra Aetate n’est qu’une simple « déclaration ».

Il ne m’appartient pas de rejeter purement et simplement les doutes qui se sont fait jour. Je voudrais pourtant souligner qu’à l’occasion de la visite récente du Pape à Berlin, dans son discours devant la communauté juive, il a prononcé des phrases d’une très grande importance.

Je le cite : « Nous devons nous rendre toujours plus compte de notre affinité intérieure avec le Judaïsme. Pour les chrétiens il ne peut y avoir une rupture dans l’économie du salut. Le Salut vient des Juifs (Jn 4, 20). Là où le conflit de Jésus avec le Judaïsme de son temps est vu de manière superficielle comme un détachement de l’Ancienne Alliance, il finit par être réduit à une idée de libération qui considère la Torah comme l’observance servile de rites et de prescriptions extérieures. De fait le discours sur la Montagne n’abolit pas la loi mosaïque mais il révèle ses possibilités cachées et fait émerger de nouvelles exigences ». Dans le même discours, il situe son intervention dans la continuité avec le Concile et l’engagement de Jean- Paul II. Il rappelle ce qu’il avait dit à la synagogue de Rome, le 17 janvier 2010 : «  Avec la déclaration Nostra Aetate du Concile Vatican II, on a commencé à parcourir un chemin irrévocable de dialogue, de fraternité et d’amitié ».

Ces propos rejoignent presque textuellement ceux qu’il a tenus au début de son pontificat, le 9 juin 2005 devant une délégation juive venue le rencontrer à Rome : « Le Concile a affirmé la conviction de l’Eglise selon laquelle, dans le mystère de l’Election divine, les origines de sa foi se trouve déjà chez Abraham, Moïse et les prophètes… Au début de mon Pontificat, l’Eglise demeure fermement engagée dans sa catéchèse et dans chaque aspect de sa vie à appliquer cet enseignement décisif », et il ajoute, après avoir évoqué Paul VI et Jean-Paul II : « j’ai l’intention de poursuivre sur ce chemin…un avenir d’espérance  ».

Certes, ces propos et tous les autres qu’il faudrait citer n’interdisent pas de se poser des questions sur certains aspects de son action. On a le droit de s’interroger sur le dialogue avec les « lefebvristes », mais on doit aussi comprendre le souci du Pape de chercher à les réintégrer du fait de la longue et interminable histoire des schismes dans l’Eglise. C’est pourquoi les paroles du Pape permettent de resituer les problèmes soulevés aujourd’hui dans une volonté de continuité avec le Concile et les Papes qui l’ont précédé. Il me paraît essentiel de ne pas l’oublier.

Père Jean DUJARDIN, Vice-Président de l’AJCF