1840-1914 La possibilité d’une terre
M. Abitbol insiste sur le développement d’un nationalisme juif en Lituanie et en Russie qui encourage un retour en Terre promise. De plus « L’idée d’un retour des Juifs en Palestine était défendue par un nombre croissant de missionnaires protestants » p. 31.
Les pogroms organisés dès 1881 provoquent une première importante aliya et les premiers conflits entre Arabes et Juifs notés dès 1886, et décrits par des intellectuels juifs, en particulier, Ahad Ha’am et Itzhak Epstein qui annoncent en 1891 et 1905 les conflits à venir si le nombre de Juifs augmente.
Dans le même temps, « Nationaliste « par dépit », c’est une solution « pragmatique » p.63 que Théodore Herzl propose dans son livre « L’État des Juifs » en 1896 dans lequel il envisage une coexistence pacifique entre les deux communautés.
L’immigration russe est importante entre 1903 et 1914 après de nouveaux pogroms, une communauté se met en place, essentiellement socialiste, dont seront issus les pionniers du futur Etat. Au début du 20e siècle, les investissements d’Edmond de Rothschild orientent l’agriculture vers les produits pour l’exportation : vigne, olivier, amandier, murier et les nouvelles implantations ainsi que l’achat de terres provoquent des conflits entre Juifs et Arabes.
La Palestine sous mandat britannique 1914-1948
Un élément important est mentionné par l’auteur : en mai 1917, la France déclare « « Aider à la renaissance, par la protection des puissances alliées, de la nationalité juive sur cette terre d’où le peuple d’Israël a été chassé » p. 115.
Dès novembre 1917, le Royaume-Uni dans la déclaration Balfour « Envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif » p.116.
En conséquence, en janvier 1919 un accord est signé entre la Commission sioniste présidée par Chaim Weizmann et l’émir Faysal sur les droits respectifs des peuples arabe et juif.
Mais la même année des Comités islamo-chrétiens définissent les points essentiels du rejet arabe du sionisme et se déclarent en faveur de l’unité syro-palestinienne à la grande satisfaction de la France.
La Conférence de San Remo, le 18 avril 1920, établit le protectorat britannique sur la Palestine et celui de la France sur la Syrie.
L’auteur note que les Anglais développent les moyens de transports, l’électrification du pays et permettent l’achat de terres par l’Agence Juive.
La communauté juive, avec l’accord du Haut-Commissaire anglais, se constitue en Assemblée, se dote d’un Parlement et d’un Conseil National élus. La Confédération Générale du Travail est créée, très importante institution économique et sociale.
De 1919 à 1932, environ 100 000 personnes provenant essentiellement de Russie immigrent en Palestine. « De graves incidents éclatèrent le 1er mai 1921 à Jaffa en marge du défilé de la fête du Travail » p. 140
Les projets anglais d’instances mixtes arabes et juives pour pacifier les relations sont refusés par les deux parties. Or « Entre 1922 et 1946 la population musulmane de la Palestine sous mandat britannique passe de 76% à 60%, la population juive de 13% à 32% et la population chrétienne de 11% à 8% ». Et les trois communautés, arabe, juive et anglaise vivent séparément dans une période calme jusqu’en 1929.
L’auteur insiste sur le tournant de l’année 1929, lorsqu’en août la coïncidence des fêtes juive et musulmane provoque de graves émeutes anti juives avec plus de 200 morts juifs et arabes dans tout le pays. En 1931 se tient un Congrès islamique international approuvé par les Églises chrétiennes de Terre sainte.
Pendant ce temps, la société juive se renforce, l’enseignement de l’hébreu progresse « En 1914, 40% de la population juive parlait hébreu. Ce nombre dépassa les 95% à la fin de l’époque du Mandat » p. 171.
De 1933 à 1939, Michel Abitbol parle des années « fatidiques » avec les persécutions allemandes et l’arrivée de 200 000 immigrants.
‘Izz al-Din al-Qassam lance des actions de guérilla contre les Anglais et les sionistes, avec les membres de l’Association des jeunes musulmans créée en 1928.
L’Irgoun, organisation militaire nationale, créée en 1931, répond au terrorisme palestinien par des séries d’attentats.
Contre la révolte arabe qui contrôle de vastes zones, Londres envoie en 1938, 25 000
soldats en renfort. La rébellion s’effondre en mars 1939 avec la mort ou le départ des dirigeants palestiniens.
L’auteur note que malgré la guerre : « Dès 1941, la Palestine connaissait alors une période de grande prospérité » p. 189.
Cependant, les Britanniques refusent d’accepter l’immigration provenant des survivants de la Shoah, les groupes militaires sionistes reprennent le combat contre eux : libération des prisonniers, sabotage des voies ferrées, de raffineries, etc.
En 1947, l’ONU propose alors un partage entre un Etat juif et un Etat arabe avec l’internationalisation de Jérusalem, partage accepté par les Juifs mais pas par les Arabes, ni par les Anglais.
« Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations-Unies approuva la création d’un Etat juif » p. 204. Immédiatement une guerre civile judéo-arabe se déclenche avec ses atrocités réciproques.
Les victoires juives, la destruction de villages arabes et l’expulsion des habitants, désorganise la société palestinienne.
« Dans la nuit du 14 au 15 mai 1948, les derniers officiels britanniques laissaient ainsi la Palestine à feu et à sang après y avoir semé les germes de l’un des plus longs conflits de l’histoire contemporaine » p. 227.
1948-1967 Les années fastes
L’auteur précise les changements de cette période essentielle : l’indépendance de l’Etat d’Israël est déclarée le 14 mai 1948, avec une définition identitaire spirituelle, religieuse et nationale et le droit au retour.
Immédiatement les armées des pays arabes environnants envahissent Israël. Des trêves et des cessez- le feu sont signés en 1948 et 1949. Israël occupe un territoire plus important que celui accordé par l’ONU et refusé par les pays arabes. De 600 000 à 700 000 palestiniens sont chassés ou quittent leurs habitations.
En février 1949, Chaim Weizmann est élu président de la République, David Ben Gourion présente son premier gouvernement « qui met en relief le caractère juif du nouvel Etat tout en proclamant le respect de la liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture, ainsi qu’une complète égalité entre les citoyens. » p. 261.
Il n’y a pas de Constitution mais une série de lois fondamentales.
Une immigration très importante a lieu durant les premières années, de 1948 à 1951 300 000 nouveaux arrivants affluent en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord et pose des problèmes d’accueil très importants que l’auteur mentionne :
« Un fossé social se creusa à partir des années 50 entre un « premier Israël » riche, cultivé et à prédominance ashkénaze et un « second Israël » pauvre, déculturé et d’origine séfarade » p.315. Ce fossé provoque en juillet 1959, des émeutes à Haïfa qui se propagent dans d’autres villes.
Le développement économique reste important, avec un taux de croissance annuel moyen de 5,5% jusqu’en 1965.
Les Arabes israéliens disposent des libertés formelles mais sont soumis à des mesures d’exception. « Composante plutôt silencieuse de la société israélienne, la communauté arabe constituait environ 15% de la population totale entre 1950 et 1970 » p. 323.
L’auteur insiste sur les différents facteurs qui ne conduiront pas à la paix.
En 1948, Israël n’accepte pas le retour des réfugiés palestiniens, et en 1950, la Jordanie annexe la Cisjordanie.
Les incursions armées en Israël venant de Gaza et de Syrie entrainent de violentes représailles israéliennes. En 1955 les attaques et les représailles s’intensifient.
En octobre 1956, l’arrêt par les Etats-Unis et l’URSS de l’opération française, anglaise et israélienne sur le canal de Suez, renforce l’aversion des Arabes à l’égard d’Israël.
La période 1956-1965 est néanmoins une période faste pour Israël. L’immigration se poursuit, les bons rapports avec l’Iran permettent l’approvisionnement en pétrole, des relations s’établissent avec les nouveaux pays africains. Le taux de croissance moyen est de 9,7%entre 1950 et 1970.
Les difficultés viennent de la situation des Arabes israéliens et de la difficile intégration des Juifs orientaux.
Au 1967, les conflits locaux et l’apport des grandes puissances, incitent l’Egypte à fermer l’accès au port d’Eilat, et poussent les pays arabes à la surenchère provoquant l’intervention d’Israël le 5 juin.
En 6 jours, Israël triple la surface de son territoire. « Le nouveau conflit provoqua néanmoins le déracinement des 250 00 à 300 000 civils palestiniens et de 100 000 habitants du Golan. » p.392. 1 200 000 Arabes vivent dans les nouvelles frontières d’Israël.
1970-1983 : De guerre en guerre, Israël de Golda à Begin
C’est une période d’optimisme, l’immigration est très importante en provenance des États-Unis, de France, du Royaume-Uni et d’Argentine. L’URSS accepte le départ de nombreux Juifs qui partent aussi des pays du Maghreb et du Moyen-Orient.
En novembre 1967 la résolution 242 de l’ONU demande le retrait des (ou de) territoires occupés. Si quelques personnes, hommes politiques, militaires et écrivains comme Amos Oz demandent cette évacuation, la majorité des Israéliens la refusent pour des raisons historiques et religieuses.
C’est le début des implantations dans les territoires occupés et la création du mouvement « Goush Emounim » qui accentue cette pression. Les combats très meurtriers reprennent à l’initiative de l’Egypte dès 1968 et les successifs plans de paix sont refusés par les deux parties. Les hostilités s’arrêtent en août 1970 avec l’appui des Américains.
Mais le clivage économique s’accentue « …entre un Israël nanti, cultivé d’origine ashkénaze (…) et un Israël d’origine afro-asiatique ou orientale, peu instruit et pauvre, (…) les Mizrahim (ou Orientaux) » p. 403.
Les Palestiniens s’organisent avec la tenue du 4e congrès de l’Organisation de Libération de la Palestine en 1968 « Patrie exclusive du peuple arabe palestinien qui lui-même fait partie de la nation arabe » p. 425.
Le terrorisme palestinien intervient au niveau international contre Israël tandis que la Jordanie réagit contre les Palestiniens trop actifs dans son royaume.
Un nouveau plan de l’ONU est accepté par l’Égypte mais pas par Israël. « De fait, depuis la fin de la guerre d’usure, Israël vivait dans un état d’insouciance que seul le terrorisme palestinien dérangeait » p. 435.
Le choc est d’autant plus rude quand l’Égypte et la Syrie ouvrent les hostilités le 6 octobre 1973. Après une semaine très critique, Israël reprend l’offensive, des négociations commencent le 28 octobre avec l’Égypte et aboutissent à un accord le 18 janvier 1974.
« La guerre du Kippour n’en fut pas moins un désastre humain et politique, un tremblement de terre qui secoua terriblement les assisses de la société Israélienne » p. 468.
En juin 1974, le gouvernement est pour la première fois dirigé par un Juif né en Israël, un Sabra, Itzhak Rabin, qui doit faire face à la recrudescence du terrorisme palestinien tandis que Yasser Arafat fait son entrée au siège des Nations-Unies, où le sionisme est assimilé au racisme. Pour Michel Abitbol, c’est « L’un des plus graves camouflets diplomatiques de son histoire », « L’image d’Israël dans le monde était bel et bien abîmée depuis la guerre d’octobre » p.477.
La forte augmentation du budget militaire provoque une diminution du niveau de vie de la population ce qui n’empêche pas les religieux de « Goush Emounim » de poursuivre les implantations.
A partir d’avril 1975, la guerre civile débute au Liban entre « …d’un côté un camp progressiste conduit par le Druze Kamal Joumblatt et le Mouvement national libanais, (…) et de l’autre un Front Libanais formé d’une coalition de partis chrétiens de droite dominée par le Phalangiste Pierre Gemayel » p. 486. Les Palestiniens installés au Liban frappent les villes du nord d’Israël provoquant des représailles.
L’auteur met en évidence le changement politique de mai 1977. Le parti travailliste qui présidait depuis 1930 aux destinées de l’État, perd les élections au profit du Likoud, parti de droite dirigé par Menahem Begin et l’auteur souligne l’influence immédiate du religieux. A la fin de son allocution publique après sa victoire « L’ancien chef de l’Irgoun tira de sa poche une kippa noire, la mit soigneusement sur la tête, puis, devant un auditoire médusé, rendit grâces à Dieu » p. 499.
Durant le gouvernement de Begin le nombre de colons passe de 5 000 en 1977 à 27 000 en 1983.
Le président égyptien Sadate se rend à Jérusalem le 19 novembre 1977, mais les raids palestiniens et les représailles israéliennes se poursuivent. Menahem Begin se refuse à toute concession « Il prétendit que la résolution 242 de l’ONU sur le retrait d’Israël des territoires occupés ne s’appliquait pas à la Cisjordanie et à Gaza » p. 514.
Après l’insistance des États-Unis les négociations entre l’Égypte et Israël de septembre 1978 aboutissent à l’accord cadre de Camp David puis au traité de paix du 26 mars 1979 à Washington.
L’auteur remarque que les adeptes de « Goush Emounim inventèrent un nouveau judaïsme israélien qui intégra la plupart des symboles du sionisme « classique » en les coulant dans un monde religieux orthodoxe » p. 538
En juillet 1981, les élections donnent un second mandat de Begin et accentuent la coupure de la société « De fait, l’hostilité des couches défavorisées « noires » visait l’ensemble du système social « blanc » hérité de l’époque de l’hégémonie travailliste » p. 550.
Et quelques mois plus tard, en juin 1982, « Begin fit entrer l’État juif dans une des aventures les plus hasardeuses de son histoire : la guerre du Liban » p. 551. L’armée israélienne atteint Beyrouth en août d’où Yasser Arafat et les combattants palestiniens sont évacués sous l’égide d’une force internationale. En septembre, après l’assassinat de leur leader Bashir Gemayel par les Syriens, les Phalangistes libanais assassinent les Palestiniens des camps de Sabra et Chatila en présence de l’armée israélienne. La commission d’enquête met en cause Begin qui démissionne en août 1983. Le Hezbollah chiite libanais s’installe au sud Liban et organise des attentats contre Israël.
Le temps des doutes et des remises en question
L’auteur insiste sur cette période d’une rare instabilité sociétale.
De nouvelles élections en 1984 provoquent un gouvernement d’union nationale avec Shimon Peres comme premier ministre qui fait évacuer le Liban.
Un attentat à la veille des élections en 1988 ramène Itzhak Shamir au pouvoir d’abord avec un ministère d’union nationale et Peres aux Finances, puis en 1990 un ministère uniquement de droite.
Cette période voit l’augmentation massive de l’immigration en provenance des Juifs d’URSS. Le nombre de colons israéliens en Cisjordanie et Gaza passe de 5 000 en 1977 à 147 000 en 1995.
Aux attentats palestiniens répondent les représailles du mouvement « Goush Emounim », « Se substituant aux autorités de l’Etat qu’ils estimaient trop faibles pour défendre les colons, les membres de l’organisation clandestine passèrent à l’attaque en mai 1980 » p. 603.
La première Intifada est déclenchée en décembre 1987 par des jeunes réfugiés.
Entre décembre 1987 et décembre 1993, « 1450 palestiniens (dont 355 tués par les Palestiniens pour cause de collaboration avec Israël) ont été tués et 144 israéliens ont perdu la vie » p. 618.
En 1992 Rabin redevient premier ministre et les négociations reprennent à Oslo en 1993 « La déclaration de principes israélo-palestinienne fut le second accord de paix signé entre Israël et ses voisins » p. 627. En décembre 1994, Arafat, Peres et Rabin reçoivent le prix Nobel de la paix.
En juillet 1994 Israël et la Jordanie signent un traité de paix.
De nouveaux accords Oslo II en 1995 déchainent l’extrême droite dont un membre assassine Rabin le 4 novembre 1995. « Une atmosphère de deuil immense enveloppa le pays » p.636.
L’auteur estime qu’à l’issue de la guerre du Liban, l’histoire et la société sont remises en question, « Historiens et sociologues démolissant systématiquement tous les mythes fondateurs du sionisme qui avaient forgé la vision politique des premières générations de l’Etat hébreu » p. 645.
Le retour de la droite au pouvoir a favorisé dès 1977 le retour du religieux. « Le judaïsme est, pour ainsi dire, inscrit dans l’ADN du sionisme » p. 656. La société israélienne se fragmente entre « les laïcs, les religieux, les ultraorthodoxes et les Arabes » p. 677.
En novembre 1998, un nouvel accord est signé entre Palestiniens et Israéliens avec libération des prisonniers palestiniens et évacuation partielle de zones occupées en Cisjordanie.
Ehoud Barak revient au pouvoir en 1999. « Il fut le premier travailliste à présenter ses excuses aux Orientaux pour les humiliations subies après leur installation en Israël » p. 719.
L’échec de nouvelles négociations à Camp David et la venue d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées provoquent la seconde Intifada. « La classe politique décrédibilisée, comme à l’époque de Levi Eshkol et de Golda Meir, l’opinion se tourna instinctivement vers les militaires » p. 729.
Néanmoins, des militaires israéliens critiquent l’occupation des territoires palestiniens « Nous refusons de nous compromettre moralement avec une armée d’occupation » p. 750.
En 2009 Netanyahou revient au pouvoir, envisage une action contre l’Iran mais Shimon Peres empêche cette aventure. « Vous avez sauvé Israël », lui écrivirent plusieurs généraux » p. 770.
Une nouvelle guerre de Gaza a lieu entre juillet et août 2014. Netanyahou remporte à nouveau les élections en 2015.
Les États-Unis reconnaissent en 2017, Jérusalem comme capitale d’Israël.
Ce livre est un récit passionnant très détaillé, indispensable pour comprendre les difficultés actuelles pour obtenir la paix. Les personnalités et les décisions de tous les protagonistes aux différentes périodes sont très précisément analysées dans une histoire récente et pourtant terriblement complexe.
Dans l’épilogue, l’auteur pose la question de l’avenir d’Israël, société paradoxale où le rayonnement international de la « start up nation » côtoie la mise en cause de sa propre existence.
Bernard Marx