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Fête de la Réformation

La fête de la Réformation et le 31 octobre 1517

La fête de la Réformation, qui se célèbre dans nombre d’Églises protestantes le dernier dimanche d’octobre, est une fête seconde dans le protestantisme. Elle renvoie à l’Évangile plutôt qu’à l’événement qu’elle commémore et qui a voulu remettre l’Évangile en lumière : en l’occurrence, l’Évangile du salut gratuit, reçu de la grâce seule (sola gratia) par la foi seule (sola fide).

En octobre 1517, le moine augustin Martin Luther propose de lancer un débat théologique, une disputatio universitaire, autour de 95 thèses sur les indulgences (cf. infra), thèses qu’il envoie à son archevêque, Albert de Mayence. Selon son proche Philipp Melanchthon, Luther affiche ces thèses sur la porte de l’église du château de Wittemberg, l’église de Tous-les-Saints, le 31 octobre 1517. L’historicité de cet affichage est mise en question par des historiens pour qui on manque de traces précises ; elle est soutenue par d’autres arguant qu’il est alors de coutume d’afficher publiquement l’annonce d’une disputatio.
Reste qu’un tel affichage (avéré ou pas) de ses 95 thèses par Luther est devenu le moment symbolique fondateur retenu par le protestantisme depuis 1617 — date où l’électeur, calviniste, du Palatinat en marque le premier centenaire. Plusieurs pays en font depuis une fête nationale, depuis plusieurs Länder allemands, jusqu’au Chili depuis 2008.
Le 31 octobre n’étant pas partout férié, c’est donc le dernier dimanche d’octobre qui est communément retenu dans les Églises pour commémorer la Réforme. Au fond, outre le rappel de l’événement et, traditionnellement, le chant du cantique de Luther « C’est un rempart que notre Dieu », on pourrait dire que ce dimanche (marqué chez les luthériens par l’usage de la couleur liturgique rouge, signifiant l’Esprit saint et les martyrs) offre le même contenu que les autres dimanches dans les Églises de la Réforme : proclamation de la résurrection du Christ et de l’Évangile du salut gratuit sur la seule base de textes bibliques (sola Scriptura) annonçant salut gratuit et justification par la foi seule (sola fide).

95 thèses contre les indulgences

La disputatio autour de ses thèses sur les indulgences proposée par le moine Luther est sans doute un moment décisif de la Réforme. D’autres dates symboliques significatives existent, qui auraient pu être choisies pour commémoration, comme par exemple le 10 décembre 1520, jour où Luther brûle la bulle papale de sa condamnation, ou 1521, année de sa comparution devant la diète de Worms (les 17 et 18 avril 1521 — cf. infra). Ou encore, on va le voir, en fonction du mot même de réforme au sens où on l’entend quand on parle de Réformation, on aurait pu aussi donner des dates antérieures aux actes posés par Luther. Sa prise de position quant aux indulgences n’en reste pas moins le moment déclencheur essentiel.
La mise en question luthérienne de la vente des indulgences a ceci de décisif qu’elle remet en cause le pouvoir de l’institution ecclésiale, tel qu’il concernerait jusqu’à l’au-delà. Citons la thèse 13, à titre d’exemple : « La mort délie de tout ; les mourants sont déjà morts aux lois canoniques, et celles-ci ne les atteignent plus ». La pratique des indulgences, qui consiste à l’origine en une remise des peines temporelles par l’Église, remontant à l’époque des persécutions par l’Empire romain, et consistant à atténuer les sanctions disciplinaires pesant principalement sur les chrétiens qui avaient abjuré et cherchaient à réintégrer l’Église, cette pratique de l’indulgence finit pas prendre des proportions imprévues — surtout après la mise en place médiévale de la doctrine du purgatoire, conçu comme un lieu de peines… temporelles outre-mort…, où dès lors s’étendrait le pouvoir de l’Église. L’institution ecclésiale romaine se veut alors dépositaire des « mérites des saints », censés pouvoir compenser les fautes morales y compris des défunts, auxquels ces mérites peuvent donc être octroyés — cela, à l’époque de Luther, moyennant finance. On connaît l’histoire du prédicateur d’indulgences Tetzel réputé affirmer que « sitôt que l’argent tinte dans la caisse, l’âme s’envole du purgatoire » (Sobald das Geld im Kasten klingt, Die Seel’aus dem Fegfeuer springt) ! On devine la pression, l’injustice morale qu’une telle histoire illustre.
Si, dans un premier temps, Luther ne remet en cause que les injustices qui naissent d’une telle pratique, les questionnements posés par ses thèses débouchent sur une autre perception de la médiation de l’Église, qui n’est essentiellement pour la Réforme que celle de la parole de Dieu par la prédication et les sacrements, mais en aucun cas celle de la relation avec Dieu comme Sauveur, de ce côté-ci du ciel et de l’autre. À terme, la relative nouveauté qu’est le purgatoire, a fortiori un purgatoire où l’institution ecclésiale perpétue son pouvoir, perd son sens. Seule l’Écriture (sola Scriptura) peut donner un fondement à un enseignement chrétien, et pas la tradition qui débouche éventuellement sur de tels glissements que des peines post-mortem réduites moyennant finances.
Ces mises en question du pouvoir de l’institution ecclésiale vont être suspectées et taxées d’hérésie — cela appuyant ce que de telles remises en question des pouvoirs peuvent avoir de subversif aux yeux desdits pouvoirs. Luther va donc comparaître, en l’occurrence devant la diète impériale de Worms.

Le principe sola Scriptura à la diète de Worms

Devant la diète de Worms, Luther doit répondre notamment du contenu de plusieurs de ses livres, notamment ceux de 1520 : De la liberté du chrétien, À la noblesse chrétienne et Sur l’exil de l’Église à Babylone. On lui demande de se rétracter.
Célèbre est sa réponse à l’empereur Charles Quint : « … À moins qu’on ne me convainque de mon erreur par des attestations de l’Écriture ou par des raisons évidentes — car je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls puisqu’il est évident qu’ils se sont souvent trompés et contredits — je suis lié par les textes de l’Écriture que j’ai cités, et ma conscience est captive de la Parole de Dieu : je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sûr, ni honnête d’agir contre sa propre conscience. »
Réputée fondatrice de la liberté de conscience, cette réponse relève aussi du principe sola Scriptura. Elle constitue même un tournant dans son établissement comme mise en exergue désormais incontournable. Car la notion de réforme fondée sur les Écritures existe auparavant.
« Le mot de réforme, dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui est apparu, semble-t-il, aux États généraux de Tours, en 1484 [Luther a alors un an]. On y a parlé précisément de la nécessité d’une réforme de l’Église.
Lorsqu’on lit l’Évangile, on y découvre un dynamisme permanent. Le royaume de Dieu est une graine semée en un champ. Que le paysan veille ou dorme, la graine germe, donne l’herbe, l’herbe le fruit. C’est une force mystérieuse, inexorable. On peut en dire autant de la parole de Dieu.
Lorsque cette parole est retrouvée dans les vieux textes hébraïques, grecs ou latins, traduite et commentée en langue vernaculaire, cette parole bouleverse peu à peu toutes les couches de la société et ses antiques habitudes […].
Un beau jour de 1516, Didier Érasme de Rotterdam, le prince des humanistes, va publier le Nouveau Testament en grec et en latin, chez Froben, à Bâle. »
Pierre Lovy (pasteur luthérien), Introduction au Nouveau Testament de Lefèvre d’Étaples, Nice 1525, 2005, p. 11-12.
Pierre Lovy poursuit en référant aux lendemains de la comparution de Luther à Worms : « Lorsque, quelques années plus tard, le moine Luther, après sa comparution à la diète de Worms, est enfermé à la Wartburg, au printemps 1521, […] il traduit le Nouveau Testament, en langue allemande d’après l’édition d’Érasme […]. Nous sommes en 1522. […]. »
Et bientôt, Luther traduit la Bible entière. Mettre la Bible à la portée de tous.
Ce pôle de la Réforme, le principe sola Scriptura, verra la parole ainsi semée porter des fruits imprévus par Luther. Libérer l’Écriture, comme il l’a fait, vaut libérer sa lecture. Incontournable, la question de l’attitude indécente et insoutenable du Luther vieux envers les juifs, est liée à ce que Luther, opposant Loi et Évangile, déconsidère de ce fait, malgré tout, la Bible hébraïque en soi : il en a enseigné des livres — les Psaumes ont été décisifs —, mais la lecture qu’il en fait (à l’instar des chrétiens d’alors, parmi lesquels bien des réformateurs et humanistes à commencer par Érasme, lui aussi très suspicieux envers les juifs), est christocentrique, et délégitime finalement toute autre lecture. Laisser parler la Bible débouche sur le principe sur lequel insistera Calvin : « Scriptura sui ipsius interpres » — « l’Écriture est sa propre interprète », ce qui permet à Calvin de constater la non-abrogation de l’Alliance de Dieu avec Israël : elle ne peut pas être abrogée, reposant sur la fidélité de Dieu. Même si Calvin, qui souligne cela, n’en tire pas lui-même toutes les conséquences, il ouvre sur une lecture qui en soi, concernant la Bible hébraïque, n’est pas immédiatement christologique. Une lecture christologique n’est pas délégitimée non plus, certes, mais manifestement, la lecture juive de la Bible hébraïque, qui à terme s’avère n’être pas seulement un Ancien Testament préfigurant le Nouveau, peut avoir aussi toute sa place.
En lien avec cela, si la théologie chrétienne est celle de l’Incarnation de la Parole éternelle en Jésus-Christ, qui trouve sa force dès le Concile d’Éphèse proclamant en 431 que le Christ est pleinement Dieu dès sa conception, il est légitime aussi, dans la ligne d’un concile tenu vingt ans après, en 451, le Concile de Chalcédoine, de tenir la distinction entre l’humanité du Christ et la divinité qui le déborde infiniment au moment même où elle s’incarne en lui. « Car puisque sa nature divine ne peut être enfermée et qu’elle est actuellement partout présente, il s’ensuit nécessairement qu’elle déborde l’humanité qu’elle a assumée sans cesser pour autant d’être aussi dans celle-ci et de lui demeurer personnellement unie », dit le Catéchisme (calviniste) de Heidelberg, question 48. Le même Dieu éternel que, chrétiens, les Réformateurs reçoivent en Christ, s’adresse aussi au peuple d’Israël, et par lui à l’humanité, dans toute la Bible hébraïque. Aussi éloigné semble-t-il de la théologie de Luther, ce constat est fondé sur son action réformatrice et son principe sola Scriptura !
Aussi, en célébrant la fête de la Réformation, ce n’est pas Luther que le protestantisme célèbre, mais ce que son action, à commencer par la mise en question du commerce des indulgences, et à déboucher sur le principe L’Écriture seule, a posé comme fondement libérateur, non seulement de la Parole divine, mais de la conscience humaine. L’humanité est ici appelée à « vivre devant Dieu par la foi seule » — coram Deo sola fide vivere —, Dieu révélé à Israël selon la Bible hébraïque et en Jésus-Christ selon le message de ses témoins.
Conscience devant Dieu, contre les injonctions hurlantes et déshumanisantes qui ont mené à la nuit de l’humanité européenne du XXe siècle, au cœur du continent qui avait reçu le message réformateur. Conscience devant Dieu, en cette année 2017, c’est ce dont ne peut que témoigner ce cinquième centenaire de la Réformation.

Roland Poupin, pasteur de l’EPUdF à Poitiers et Châtellerault,
président de la commission de la FPF pour les relations avec le judaïsme,
octobre 2017