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Des enfants jetés dans l’horreur de la Shoah livrent leur peur et aussi leur affection pour leurs parents.

André Rosenberg, Les enfants dans la Shoah. La déportation des enfants juifs et tsiganes de France
Maryla Laurent et Monika Salmon-Siama, (sous la direction de), Janusz Korczak, l’enfant et la cruauté du monde
Éva Heyman, J’ai vécu si peu, Journal du ghetto d’Oradea
Pierre-Jérôme Biscarat, D’Izieu à Auschwitz. L’histoire de deux enfants dans la Shoah

Rosenberg André, Les enfants dans la Shoah. La déportation des enfants juifs et tsiganes de France, Paris, Les éditions de Paris, 2013, 492 p., 25 €.
Maryla Laurent et Monika Salmon-Siama, (sous la direction de), Janusz Korczak, l’enfant et la cruauté du monde, Paris, Le Rocher de Calliope, 2013, 125 p., 19 €.
Éva Heyman, J’ai vécu si peu, Journal du ghetto d’Oradea, Préface de Carol Iancu, trad. du hongrois par Jean-Léon Muller, Genève, éditions des Syrtes, 2013, 154 p., 16 €.
Pierre-Jérôme Biscarat, D’Izieu à Auschwitz. L’histoire de deux enfants dans la Shoah, Paris, Librio, 2014, 95 p., 3 €.

« En ces temps sombres et cauchemardesques, régnaient les lois les plus iniques : ‘Vole ! Mange ! Rapine !’. Bref, la logique était : ‘Meurs !’. Mais entre les quatre murs de son Foyer, Janusz Korczak avait réussi à maintenir une philosophie bien différente… » (Yona Bocian, témoignage rapporté par Michal Gans dans Janusz Korczak, l’enfant et la cruauté du monde)

« Je ne veux pas mourir, mon petit Journal ! Je veux vivre… » cri lancé par Éva Heyman le 30 mai 1944, dernier jour où elle ouvrit son journal.

« …je termine ma lettre en temvoient 100. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000. 000000000000000000 [baisers] ton fisl qui t’aime beaucoup et qui pence beaucoup à toi mille BESERS pour toi est pour papa » dernière lettre de Georgy Halpern à ses parents peu de temps avant la rafle de la Maison d’Izieu qui le mena à Auschwitz.

Trois enfants jetés dans l’horreur de la Shoah livrent leur peur et aussi leur affection pour leurs parents.

André Rosenberg, lui-même victime de la Shoah (à l’âge de trois ans, il fut arrêté, à Roubaix, avec ses parents, sa sœur et son frère : le papa mourut à Buchenwald, la maman et les trois enfants survécurent aux camps de Ravensbrück et de Bergen-Belsen, en qualité de ressortissants de la Hongrie dont ils étaient originaires ils ne furent pas déportés à Auschwitz) donne la succession d’événements que ces enfants ont subi avant la mort : « La souricière » ou les mesures antijuives des nazis, « Les sauvetages » ou les premières aides, spontanées ou organisées, « Les rafles et arrestations d’enfants », « Les camps d’internement », « Les convois » qui acheminaient vers la mort, enfin, si la mort ne les avait pas fauchés, « La Libération » mais après être passés par « le mouroir de Bergen-Belsen » et l’hôtel Lutétia à Paris. Tel fut le parcours des enfants juifs et tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale, décrit par A.R. qui n’oublie pas les camps de Poitiers, Monteuil-Bellay et Saliers ouverts pour les Tsiganes.
A.R. espérait trouver une catharsis, grâce à son important travail de recherches dans divers fonds d’archives, mais le récit des funestes tribulations de tous les enfants : ceux qui ont survécu (comme lui) et ceux qui furent assassinés, y compris ceux qui naquirent et moururent tout à la fois à Auschwitz où le nouveau-né était immédiatement tué, ne l’a guère apaisé. Car rescapé, A.R. porte en lui, en plus de sa propre souffrance, celle des autres. À la souffrance de la mémoire s’ajoute celle de la survivance. Il faut vivre avec les séquelles physiques, psychiques et morales mais il faut aussi vivre avec la culpabilité de n’être pas mort parce que juif, après avoir été coupable d’être né juif !
Des dizaines d’années après, l’indignation, voire la colère, envahit encore l’adulte qui fut privé de son enfance ; indignation et colère qui ne le quittent plus. Quant à sa sœur, Lili, elle témoigne autant que son âge le lui permet dans de nombreux établissements scolaires.

En l’année 2012 une journée d’études à l’université de Lille 3 commémora la déportation du pédiatre juif polonais Janusz Korczak (Henryk Goldszmit) à Treblinka : il y mourut avec les enfants de son orphelinat qu’il n’avait pas voulu quitter dans la mort, malgré les offres des nazis de lui éviter la déportation en laissant partir les seuls enfants.
L’ouvrage donne donc des études comme celle de Michal Gans, responsable de programmes au Musée des Combattants des Ghettos (Beit Lohamei Haghetaot, en Israël) qui relate les « années au ghetto », livre des pages inédites de témoignages et fait aussi découvrir des contes de Janusz Korczak : « Le conte de la vie » écrit très peu de temps avant la déportation (ce n’est pas un conte de fée « mais c’est la vérité ») et « Les bagarres » : « Tu n’es ni coléreux, ni querelleur. Tu es impétueux, voilà ». Enfin, le journal de Blumka renseigne sur la Maison de l’Enfant avant la guerre et énonce une charte de l’enfant comprenant dix droits de l’enfant, dix comme les commandements divins !

Le cri d’Éva Heyman ne fut pas entendu. Elle fut déportée le 3 juin 1944 et mourut à Auschwitz le 17 octobre 1944, elle avait eu 13 ans.
Née dans une famille juive bourgeoise d’Oradea, Éva se trouva au cœur de la tragédie vécue par les juifs de Hongrie qui furent déportés en masse au printemps 1944. Au début de l’année, elle vivait encore dans l’insouciance puis au fil des jours, elle fit part à son journal de la menace de plus en plus pesante, jusqu’à l’internement dans le ghetto.
Pour Éva, d’une grande sensibilité, l’écriture dans son journal devint, comme pour Anne Frank, évasion, soulagement, rêve… interrompus par la réalité cruelle, jusqu’à ce cri le 30 mai 1944.
L’employée de la famille retrouva le journal dans la maison abandonnée et le remit à la maman d’Éva, rescapée du massacre. C’est elle qui en publia la première édition hongroise en 1948.

C’est le procès Barbie (1987) qui fit connaître au grand public le sort des enfants juifs de la colonie d’Izieu dans l’Ain : 44 enfants juifs furent raflés avec leur éducateurs, le 6 avril 1944 pour ne pas revenir de déportation, sauf une seule éducatrice qui survécut à Auschwitz. Un éducateur réussit à se cacher durant la rafle.
Pierre-Jérôme Biscarat donne l’itinéraire de deux pensionnaires de la colonie : Paul Niedermann, adolescent juif immigré d’Allemagne au début de la guerre, et Georgy Halpern, immigré d’Autriche. Le premier connut le camp de Gurs où il fêta sa bar mitswah avant de rejoindre la colonie d’Izieu pour ensuite être évacué vers la Suisse en dépit d’un passage périlleux. Le second fut pris dans la rafle du 6 avril 1944, il avait 8 ans, et mourut à Auschwitz.
Paul perdit ses parents dans la Shoah. Les parents de Georgy survécurent mais durant des décennies conservèrent l’espoir fou de retrouver leur fils unique.

Les deux derniers livres doivent être conseillés aux adolescents des collèges et des lycées comme le fut le journal d’Anne Frank.

Danielle Delmaire , professeur émérite, université Lille 3.

Image : US Holocaust Memorial Museum