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Hommage de Jean-Dominique Durand à Hubert Heilbronn (1931-2024)

Le 14 avril, Hubert Heilbronn nous a quittés dans sa quatre-vingt-treizième année. Il était un grand ami de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France.

Né en 1931, Hubert Heilbronn avait neuf ans au moment de l’invasion de la France par les nazis, et des premières mesures antisémites du gouvernement dirigé par le maréchal Pétain. Il avait onze ans lors des grandes rafles de 1942. Il n’oublia pas le destin des soldats juifs qui avaient combattu durant la Première Guerre mondiale, qui malgré leur héroïsme et les décorations qui en témoignaient, furent rejetés par le Maréchal qu’ils admiraient pour son action à Verdun, et dont la police les livra à l’enfer des camps d’extermination. Issu d’une vieille famille juive française qui reçut la citoyenneté par la loi du 27 septembre 1791, une famille profondément patriote, il était toujours hanté par l’abandon par la France de ces soldats parce qu’ils étaient juifs, en oubliant leurs sacrifices pour la Patrie.

Profondément patriote, viscéralement attaché à la République, Commandeur dans l’Ordre de la Légion d’Honneur, élu municipal à Bernay-Vilbert, commune de Seine-et-Marne dont il fut le maire de 1989 à 2001, il participait à de nombreuses cérémonies patriotiques, notamment à la Grande synagogue de la Victoire.

Hubert Heilbronn n’oublia jamais plus les souffrances des juifs sous l’Occupation, ni l’aide apportée par des chrétiens, les Justes parmi les Nations. Alors que sa famille fut en partie décimée, une sœur de son père qui s’était convertie au catholicisme, qui pouvait échapper à la déportation, choisit d’accompagner volontairement ses parents – ses grands-parents – à Drancy puis à Auschwitz où elle mourut en catholique, mais juive. Il fut à jamais marqué par ce drame, et après la guerre, devenu adulte, engagé dans la société comme juriste et banquier, engagé dans de nombreuses associations juives, il ne l’oublia jamais, l’évoquant même souvent. Il rejoignit l’Amitié Judéo-Chrétienne de France que Jules Isaac avait fondée en 1948, jusqu’à entrer dans son Comité Directeur en 1985. Il y trouvait des chrétiens qui entendaient vivre une réelle amitié avec les juifs. Il noua une grande amitié avec les cardinaux Jean-Marie Aron Lustiger et Albert Decourtray. Avec eux il œuvra pour contribuer à résoudre la question du carmel d’Auschwitz.

Frappé par l’engagement de tant de chrétiens et de juifs, pour construire une estime partagée, pour lutter contre un antisémitisme toujours renaissant, il voulut doter l’AJCF en 1988, avec générosité, d’un Prix, le Prix de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France destiné à souligner l’œuvre et l’action d’hommes et de femmes, des chrétiens ou des juifs, engagés dans la recherche de l’amitié.

En 2023, à l’occasion de la 35° édition de ce Prix, le Comité Directeur décida de modifier son intitulé, et de le dénommer désormais, Prix de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France – Hubert Heilbronn. Il en fut très ému, et il remit lui-même le Prix à la lauréate 2023, la théologienne catholique, Anne-Marie Pelletier. A cette occasion, il rappela l’engagement de sa tante jusqu’au sacrifice.

Hubert Heilbronn trouvait au sein de l’AJCF, l’occasion d’échanges amicaux, confiants, qui étaient aussi des échanges citoyens et intellectuels.

Car ce grand banquier, nourri de littérature, se trouvait à la tête d’une extraordinaire bibliothèque. Longtemps président (de 1988 à 2005), puis président d’honneur, de l’Association des Amis de la Bibliothèque nationale de France (BNF), ce qui lui valut d’être nommé Commandeur dans l’Ordre des Arts et Lettres, il aimait les écrivains, les poètes, les romanciers. Il se nourrissait de Charles Péguy qu’il se plaisait à citer, grand écrivain catholique ami de Jules Isaac, défenseur du capitaine Dreyfus, tué dans les premiers combats de 1914, en qui il voyait un précurseur d’une relation nouvelle entre juifs et chrétiens. Il a lui-même publié une étude sur « Paul Claudel dans le mystère et la lumière d’Israël », dans la revue Commentaire (2006). Cet intérêt pour Claudel est éclairant. Cet immense écrivain, poète et homme de théâtre fit partie des intellectuels catholiques qui s’indignèrent comme Jacques Maritain ou François Mauriac, du silence du pape Pie XII face à la mise en œuvre de la Shoah, et encore après la guerre.

Hubert Heilbronn voyait dans l’AJCF une organisation vouée notamment à la lutte contre l’antisémitisme qui avait fait tant de mal à sa famille. Il en attendait beaucoup. Comme tous les juifs français, Hubert Heilbronn fut déchiré par le pogrom commis en Israël le 7 octobre, mais décidé à poursuivre le combat. L’AJCF devait être d’une grande aide dans ce combat existentiel. Sa disparition et son souvenir engagent plus que jamais l’AJCF auprès des juifs et pour défendre l’existence même d’Israël.

Que sa mémoire soit une bénédiction.

Jean-Dominique Durand, Président de l’AJCF

17 Avril 2024

Texte de l’hommage à Hubert Heilbronn de Jean-Dominique Durand