Tous deux s’embrassèrent, tandis que des larmes coulaient sur leur visage. Mon père me confia alors que ce vieillard musulman venait lui aussi de perdre son fils : il avait été tué par l’armée française. Chacun présenta ses condoléances à l’autre. Je garde en mémoire l’image d’un Juif et d’un Arabe, tous deux pleins de dignité, se consolant mutuellement. »
J’ai tenu à restituer cette scène car elle illustre superbement ce que sera, tout au long de sa vie, l’éthique du Grand Rabbin Sirat : une recherche inlassable de réconciliation avec ses frères, aussi bien musulmans que chrétiens. Il participa ainsi, à Assise, en 1986, à la première rencontre des religions pour la paix, convoquée par le Pape Jean-Paul II. Il sera aussi nommé co-modérateur de la Conférence mondiale des religions pour la paix, multipliant inlassablement les conférences, colloques, démarches en de nombreux pays, sur plusieurs continents, pendant des décennies. Ce fut toujours la même vision de paix, d’entente et de justice qu’il portait à l’égard de ses frères chrétiens et musulmans, aussi bien en diaspora que sur la Terre d’ Israël, dans la recherche d’une réelle entente et d’une véritable vie commune entre Israéliens et Palestiniens.
À défaut d’une biographie et d’une bibliographie qui se voudraient exhaustives, nous voulons célébrer la mémoire du Grand Rabbin Sirat en évoquant d’autres moments forts qui expriment en profondeur sa spiritualité.
À de nombreuses reprises, le Grand Rabbin Sirat sera habité par des gestes, des paroles qui le marqueront durablement et qui exprimeront parfois, plus que des textes, l’esprit de la rencontre interreligieuse, particulièrement judéo-chrétienne. C’est ainsi que, jeune rabbin, à Toulouse, en 1954, il eut le privilège de rencontrer le Cardinal Saliège. Il était dans la délégation qui lui avait remis sa magnifique lettre pastorale de protestation contre les rafles de juifs, d’août 1942, gravée sur une plaquette d’or en forme de Tables de la Loi. Le Grand Rabbin Sirat ajoute : Je crois que cette manifestation extrêmement émouvante lui a causé l’une des grandes joies des dernières années de sa vie, à lui, vieillard ne pouvant quasiment plus parler, ému aux larmes.
En ce qui concerne plus spécifiquement le dialogue judéo-chrétien, il reçut, conjointement avec le Père Bernard Dupuy, op, le Prix de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, en 1998, décerné lors d’une Journée spéciale qui célébrait le 50ème anniversaire de l’association. S’inscrivant dans les pas de son prédécesseur, le Grand Rabbin Jacob Kaplan, il révéla que ce dernier lui avait dit que la déclaration pionnière des évêques de France sur le Judaïsme, à Pâques 1973, les fameuses « Orientations pastorales », avait été le plus beau jour de sa vie ! Et le Grand Rabbin Sirat conclut son discours de remerciement par ces mots : « […] l’amour du prochain, ne l’oublions jamais, c’est, selon l’enseignement de Rabbi Akiba, le commandement le plus important de toute la Torah. Nous savons que la paix est au rendez-vous, il nous faut le vouloir très fort. Il faut aussi savoir faire preuve de générosité. Ensemble, nous nous élèverons dans cette voie difficile mais absolument passionnante, et nous irons jusqu’au bout du chemin qui nous conduit à la paix, à la fraternité, à l’amour du prochain ».
Il faut rappeler le rôle important du Grand Rabbin Sirat dans les accords de Genève qui visaient à résoudre la douloureuse question d’un carmel à Auschwitz, et son déplacement en dehors du camp ; sa grande amitié avec le Cardinal Decourtray, Archevêque de Lyon, autre négociateur des accords de Genève. Dans le sillage du Cardinal Decourtray, le Grand Rabbin Sirat eut aussi des relations de plus en plus constructives avec le Cardinal Lustiger, approfondissant progressivement, avec l’Archevêque de Paris, ce que pouvait signifier l’attachement indélébile à son ‘’être juif’’.
Il accompagna pendant de longues années l’Amitié Judéo-Chrétienne de France (AJCF) en tant que membre de son Comité d’Honneur, écrivant une trentaine d’articles pour la revue Sens, de 1993 à 2018. Il fut notamment l’une des personnalités à s’exprimer lors de la remise du Prix de l’AJCF en 2010 au Père Michel Remaud, d’heureuse mémoire. Ayant lu à cette occasion sa thèse en théologie sur Le ‘’Mérite des Pères’’ dans la tradition juive, il eut ces paroles qui expriment un esprit de rapprochement vraiment exceptionnel : « Nombre de rabbins et de grands rabbins s’honoreraient d’avoir rédigé une thèse aussi fouillée et aussi admirable que celle que vous avez réussi à mener à bien. »
Beaucoup d’autres dimensions devraient être rappelées, comme son parcours universitaire de premier plan dans la promotion de l’enseignement de l’hébreu en France. D’autres le feront. Mais nous voulions ici en premier lieu mettre en valeur sa personnalité exceptionnelle animée par une spiritualité qui le portait vers tout homme, vers toute femme, créés à l’image de Dieu.
Que son souvenir soit bénédiction.
Bruno Charmet