C’est la première fois que, sur la chaleureuse suggestion de Liliane Apotheker, sa vice-présidente, à la rare bienveillance, je me rendais à la conférence annuelle de l’International Council of Christians and Jews (ICCJ). Celle-ci se tenait cette année à Philadelphie, et le thème général était consacré au pluralisme religieux, à sa dynamique dans un monde en plein bouleversement.
Cette convention fut pour moi un véritable choc : des Chrétiens et des Juifs de toute obédience, avec des expériences nationales différentes, universitaires, curés, pasteurs, rabbins, honnêtes hommes, américains, du Nord comme du Sud, européens, israéliens, etc., cherchaient, avec une ardente honnêteté, à vider, pour les dépasser et les rendre inopérantes, toutes sources possibles de contentieux entre eux, scripturaires comme culturelles, à s’écouter et à se comprendre en profondeur les uns les autres. Ainsi, et par exemple, ces luthériens, grandes personnalités dont la justice est à l’évidence la valeur de vie, soucieux d’affronter sans fard des textes terribles du fondateur de leur Église sur son antisémitisme quasi-scatologique, ont souhaité préparer pour 2017 en Allemagne un document de désarmement et de renoncement total à cette sinistre pathologie. Espérons qu’ils seront suivis par le plus grand nombre dans leur Église !
Nous eûmes également droit à plusieurs visites de la ville. La visite de l’abondante Philadelphie juive, que je choisis, l’histoire de la présence engagée des Juifs auprès des pères fondateurs de la nation américaine fut fort instructive, comme de découvrir que, malgré le 1er amendement de la Constitution américaine pour la garantie totale de la liberté religieuse, malgré la place de choix que les Juifs jouèrent alors dans la guerre contre l’Angleterre et dans la construction de la nation américaine, il leur fallut cent ans pour être pleinement acceptés par l’opinion. Le statut de minorité reconnue n’est jamais facile et est toujours long à gagner. Il faut donner des gages, et dans la durée.
Des films furent projetés. L’un d’eux fut consacré à la visite, en Pologne, de rescapés de la Shoah sauvés par une famille polonaise qui sera distinguée lors de ce voyage comme “Juste parmi les nations”. Ce film raconte comment le père israélien dut déployer des trésors d’énergie et de persuasion pour que ses fils, élevés en yeshiva et devenus très religieux, désireux de tirer un trait sur ce passé funeste, finissent par accepter le principe d’un retour sur ce sol au souvenir maudit et acceptent de tendre la main à l’autre, pourtant a priori nimbé dans une suspicion d’antisémitisme éternel.
Cette rencontre avec l’autre vaut admonestation à ne pas se laisser enfermer dans les préjugés. Grande leçon de pacification, alors même que ces familles venaient désormais d’horizons culturels, économiques, religieux et politiques, antinomiques.
Bonheur également d’écouter des Musulmans des États-Unis, ou du Pakistan, expliquer leur engagement et leur volonté de s’inscrire dans cette expérience de l’amour de l’autre, de travailler sur la Shoah et de chercher à la faire comprendre dans leurs environnements respectifs.
Après des moments matinaux de méditation commune, des tables rondes ont été proposées aux participants. Quel dommage d’avoir dû choisir, tant il aurait fallu assister à toutes ! Ces trois journées furent de véritables travaux pratiques de l’amitié et de la réconciliation définitives.
De retour à Paris, confronté au pire, aux nouveaux attentats en Europe, à l’assassinat de vivants anonymes, puis du Père Hamel, je compris que je venais de vivre là-bas, entouré de tant de grandes âmes, un moment messianique, de ceux dont parlent les prophètes d’Israël.
Que le président de l‘ICCJ, Philip Cunningham, soit ici remercié pour cette oeuvre incomparable, pour son hospitalité, sa simplicité, et pour son impres-sionnant magistère.
Jean-François BENSAHEL
Président de la synagogue de la rue Copernic