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ICCJ Aix 2013 : échos du colloque du Québec et du Vatican

Au Québec (Canada) où le débat sur la laïcité est à l’ordre du jour, Jean Duhaime nous donne son impression sur la Conférence ICCJ 2013.

En Italie, L’Osservatore Romano, le journal du Vatican, a publié un article en page 6 du journal du 7 juillet 2013 : nous vous en proposons une traduction.

 Échos de la conférence d’Aix-en-Provence

Jean Duhaime, 01.10.2013

La Conférence 2013 du Conseil International des Chrétiens et des Juifs (CICJ)s’est tenue à Aix-en-Provence du 30 juin au 3 juillet. Ayant pour thème « La laïcité, une chance ou un défi pour les religions », elle a réuni plus de 200 participants provenant d’une vingtaine de pays. Organisée avec la coopération de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France (AJCF), cette rencontre a connu un franc succès grâce à un programme de haut niveau favorisant l’interaction et l’échange.

Le programme comportait sept séances en plénière et trois séances de six ateliers chacune. Le CICJ prévoit une publication en français et en anglais de tous les textes présentés en plénière. D’ici là le CICJ a mis en ligne sur son site, dans leur langue d’origine, les textes et les enregistrements vidéo de la plupart des séances plénières (http://www.iccj.org/Conference-2013.4291.0.html). On trouvera également sur le site de l’AJCF un dossier complet sur la conférence d’Aix-en-Provence (http://www.ajcf.fr/spip.php?article1695).

A titre de participant à cette conférence, j’ai tenté d’esquisser ma propre synthèse des interventions en plénière. Provenant du Québec (Canada) ou le débat sur la laïcité est à l’ordre du jour, j’ai retenu, en fonction de ce contexte, quelques points qui ont attiré mon attention et qui invitent particulièrement à la réflexion.

D’abord, il me semble que la laïcité « à la française » n’est pas aussi rigide qu’on le dit parfois, surtout lorsqu’on la présente comme un modèle idéal. Elle apparaît non pas comme un laïcisme radical et strict, mais plutôt comme un équilibre dynamique entre la neutralité de l’État et la reconnaissance des religions et de leur apport à la collectivité.

Deuxièmement, dans la conclusion de son exposé, Gilles Bourquin laissait entendre que les religions ont du mal à s’intégrer à la modernité et qu’elles réagissent souvent sous le mode de l’opposition ou de la marginalisation. Il me semble qu’une voie d’intégration sociale prometteuse est à chercher dans l’identification et la promotion de valeurs communes, fondées sur des traditions religieuses ou sur des convictions non-religieuses. C’est par exemple ce que propose Hans Küng, à un autre niveau, dans son ouvrage Projet d’éthique planétaire (Paris, Seuil, 1991).

Pour favoriser une telle intégration, dans le contexte actuel de nos sociétés démocratiques modernes, il importe par conséquent d’établir un dialogue non seulement entre « les religions » et « l’État », mais aussi entre les personnes qui se réclament de leurs traditions religieuses respectives et celles qui ont des convictions non-religieuses d’inspiration humaniste, puisque les deux types se côtoient sans cesse et sont appelés à collaborer au « vivre ensemble ».

Finalement, dans les débats sur la laïcité, il paraît impératif de bien distinguer l’espace public (ou étatique), l’espace social (ou civique) et l’espace privé. Il y a avantage à considérer l’apport positif des traditions religieuses, au même titre que celui d’autres groupes et mouvements sociaux, dans la construction de l’identité collective. Pour cela, il est nécessaire de trouver un équilibre entre la neutralité de l’État, la contribution des traditions religieuses et des mouvements sociaux et la protection des droits individuels. En rapport avec cette recherche, une question qui émerge de cette conférence est celle de la protection d’un espace social où les traditions religieuses et autres groupes ou mouvements sociaux peuvent s’épanouir sans s’imposer à l’État ou aux individus.

Source : Site JCRelations.net

 L’Osservatore Romano : Entre les Chrétiens et les Juifs, ce ne sont pas que des mots.

L’Osservatore Romano, le journal du Vatican, a publié un article en page 6 du journal du 7 juillet 2013 : Lire l’article original en italien

Traduction JM pour l’AJCF

Aix-en-Provence. Congrès de l’ICCJ pour le cinquantième anniversaire de la mort de Jules Isaac

Entre les Chrétiens et les Juifs, ce ne sont pas que des mots.

AIX-EN-PROVENCE. Une laïcité mature prend en compte le pluralisme culturel et religieux, et souligne également la voix des minorités chrétiennes non-catholiques, des Juifs et des Musulmans ; et un dialogue interreligieux mature ne doit pas s’arrêter au niveau des principales instances représentatives, mais doit s’étendre parmi les paroisses, les synagogues , et les mosquées. C’est seulement une des réflexions abordées au congrès du Conseil International des Chrétiens et des Juifs (ICCJ) qui s’est conclu mercredi dernier à Aix-en-Provence, en France. Le choix d’Aix-en-Provence comme lieu de la manifestation ne s’est pas fait par hasard : il s’agissait en fait de commémorer le cinquantième anniversaire de la mort de Jules Isaac, le 6 Septembre 1963, dans cette ville. Il compte parmi les fondateurs de l’ICCJ et des Amitiés judéo-chrétiennes, dont les représentants (Catholiques, Orthodoxes, Protestants et Juifs) ont été nombreux à participer à la conférence.

Mais le choix du pays d’accueil aussi ne s’est pas fait par hasard : "La France — a déclaré au journal “La Croix” le Père Patrick Desbois, Directeur du Service national pour les relations avec le judaïsme — est perçue comme le pays des droits de l’homme, la réflexion sur la laïcité y est très ancienne. En France, le christianisme et le judaïsme sont des communautés vivantes. Le judaïsme connaît un véritable renouveau, une reprise de la pratique. Beaucoup de jeunes juifs retrouvent le chemin de la synagogue. La communauté juive de France est par ailleurs la plus importante d’Europe, la deuxième communauté en diaspora après les États-Unis.".

La réunion, qui a débuté le 30 Juin, fut l’occasion de donner une preuve de fraternité et de montrer que l’amitié est réelle, que « ne sont pas que des mots », dit le père Desbois, qui souligne qu’« en France le dialogue judéo-chrétien est devenu commun, dans le bon sens du terme ». En fait, de nombreux évêques ont des relations avec les Juifs, de façon spontanée : ils nomment un responsable diocésain des relations avec le judaïsme, ils participent aux dialogues interreligieux et sont engagés dans les colloques avec le Conseil représentatif des institutions juives et avec le rabbinat. Mais ces initiatives doivent maintenant atteindre la base, descendre au niveau des paroisses et des synagogues. En outre, les Chrétiens se sentent directement impliqués et engagés dans la lutte contre l’antisémitisme, qui connaît un regain en France, avec même des actes de violence. Le 1er Juillet, les participants à la conférence ont visité, à Aix-en-Provence, le site mémorial du Camp des Milles : ici, entre Août et Septembre 1942 ont été concentrés plus de deux mille Juifs (hommes, femmes, enfants) avant être déportés à Auschwitz.

« La laïcité : une opportunité ou un défi pour les religions ? En France et dans le monde » : c’est le thème qui était au centre du congrès. Entre autres orateurs, il y eu l’évêque d’Angoulême, Claude Dagens, sur le thème foi en Dieu et démocratie, et le rabbin Haïm Korsia sur laïcité et pratiques religieuses. La source d’inspiration de la conférence fut surtout la pensée d’Isaac qui, avec son livre L’Enseignement du mépris, 1962, a affronté sans ambages la question des préjugés antisémites, vus aussi du point de vue Chrétien ; il a contribué ainsi – à la veille du Concile Vatican II – à une reprise renouvelée du dialogue entre les deux religions. La rencontre que Jules Isaac a eue, le 13 Juin 1960, avec le Pape Jean XXIII au Vatican est bien connue. Pour certains historiens, cette audience a marqué un tournant théologique et historique dans les relations actuelles entre Juifs et Catholiques ; elle jetait les bases, ou de quelque façon les présupposés, de Nostra Aetate, la Déclaration sur la relation de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes qui constitue l’un des documents le plus importants du concile.

Comme cela a été mentionné, l’accent a porté particulièrement, à Aix-en-Provence, sur la relation entre la religion et la laïcité en France, une relation qui est devenue difficile depuis 1905, avec la loi sur la séparation de l’Église et de l’État. « Cette relation inédite entre l’État et les religions — explique Olivier Rota, un membre de L’Institut d’Etude des Faits Religieux et de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France — n’a pas été sans effet sur les dites religions. Contraintes de se réorganiser, elles ont trouvé de nouvelles modalités de présence dans l’espace public. Considérées au même niveau par la puissance de l’Etat, elles se sont vue également reconnues comme des partenaires ». Et le rapport actuel se fonde encore sur ce principe.

Le Conseil international des Chrétiens et des Juifs (International Council of Christians and Jews) est une organisation composée de trente-huit groupes dans trente-deux pays. Le siège se trouve à Heppenheim, en Allemagne. Le président actuel est une israélienne, Deborah Weissman.

Note du site l’AJCF : Les propos du Père Patrick Desbois sont extraits de l’article publié sur le site internet du journal La Croix, 1er juillet 2013 : « En France, le dialogue judéo-chrétien est devenu ordinaire, dans le bon sens du terme »