Rencontres et ouverture à Dieu est un recueil de textes de natures différentes : textes de conférences, articles parus dans des revues diverses, éditoriaux et documents inédits. Textes parfois très courts où le lecteur puisera au gré de ses intérêts. Textes percutants, qui témoignent de la fermeté et de la liberté d’une pensée longtemps mûrie mais aussi de l’humilité d’un esprit qui sait que toute parole est risquée car elle est partielle et provisoire. Le tout dans un langage simple et direct, qui se veut accessible.
Au-delà de la diversité du recueil, ce livre forme un ensemble cohérent. Les titres des quatre parties en témoignent, en même temps qu’ils sont une indication sur le ton des paroles qu’on y lit : Rencontres, Dialogues, Paroles libres et fraternelles , enracinées dans la vie de l’ Église et la Vie Spirituelle .
La préface de Mgr Jacques Perrier, évêque émérite de Tarbes et Lourdes, esquisse, de manière chaleureuse, l’itinéraire au cours duquel ils se sont croisés à plusieurs reprises, dans une communion fraternelle.
La première partie, Rencontres , s’ouvre sur le commentaire de deux textes majeurs du concile Vatican II.
Le premier traite de Dei Verbum, constitution sur la révélation divine, que Francis Deniau considérait comme « le texte fondamental, le texte fondateur de l’ensemble de l’œuvre du concile ». En effet il s’agit de recevoir et transmettre Jésus sauveur pour le monde de ce temps, souci premier du concile que Francis Deniau a fait totalement sien dans sa réflexion, sa vie, son action. Le texte retrace l’historique de la constitution, parle de sa réception et surtout des voies nouvelles qu’elle ouvre qui sont autant de défis. Dei Verbum est une « boussole ».
La seconde conférence porte sur Nostra Aetate. Le texte de Francis Deniau nous plonge dans l’actualité puisque le 50e anniversaire de la déclaration, célébré en 2015, a donné lieu à des avancées remarquables dans les relations judéo-chrétiennes (on pense, entre autres, à la Déclaration pour le jubilé de la fraternité à venir, du 23 novembre 2015). Francis Deniau revient sur la genèse du texte, analyse sa nouveauté et ses points forts, par exemple : la renonciation à des formules et à des attitudes désastreuses et peccamineuses, l’affirmation du caractère irrévocable de l ‘Alliance et des promesses de Dieu, la reconnaissance que le christianisme est une greffe sur « l’olivier franc » et en dette à l’égard de son frère aîné…
Ce texte essentiel fait partie d’un riche corpus d’articles traitant des relations du christianisme et du judaïsme. On peut citer le chapitre 4 de cette première partie qui resitue Jésus dans sa relation vivante à son peuple et toute la seconde partie du livre, intitulée Dialogues . Il y est question des drames de l’histoire (affaire Dreyfus, retour d’Auschwitz) mais aussi du dialogue respectueux engagé avec les juifs dans l’écoute de la Parole de Dieu et la liturgie ; méditation sur le mystère et la richesse que représente pour chacun la présence de l’autre dans l’aujourd’hui des communautés vivantes. On trouvera aussi dans cette partie un témoignage sur le cardinal Lustiger avec qui Francis Deniau avait travaillé très tôt, comme aumônier d’étudiants.
Rencontre avec l’Islam aussi, dans un dialogue qui est perçu comme une chance et un défi. Personne, ni aucune religion ne peut « mettre la main » sur Dieu, son Nom même est comme « une brèche », une interrogation toujours ouverte. Francis Deniau pensait que l’on avait besoin de toutes les ressources de toutes les cultures pour mieux approcher le mystère de Dieu. Cela justifie une attention respectueuse et passionnée aux croyants de toute tradition ; mais le dialogue doit être ferme et clair, loin de la tolérance paresseuse qui n’est finalement qu’indifférence. Il faut alors risquer un éloge de la différence (cf. n°6 de la IIème partie).
A tous Francis Deniau adresse des Parole libres et fraternelles . Aux croyants de toute religion et aussi aux chercheurs de Dieu, à tous les hommes qui sont en quête de sens, à ceux qui se disent « paumés » et qu’il était toujours prêt à écouter, convaincu qu’il y avait là une part essentielle de son ministère ; à ceux qui quittent l’Église et à qui il dit que leurs raisons de partir sont pour lui des raisons de rester, même si c’est douloureux.
Dans cette partie on trouvera un florilège d’éditoriaux parus dans la revue diocésaine l’Église de la Nièvre. Petits billets incisifs, ils donnent une idée de cet esprit toujours en éveil, attentif non seulement à son diocèse et à ceux qui y œuvrent, mais aussi aux misères du monde et aux signes des temps, solidaire des actions des hommes de bonne volonté pour la justice et la paix, les droits humains, partout dans le monde, à la mesure de la vocation universelle de l’Église. On y verra aussi apparaître quelques figures remarquables : Bernadette, l’abbé Pierre, les moines de Tibhirine.
Dans la quatrième partie : Église et Vie spirituelle un texte retient particulièrement l’attention : la lettre adressée au pape Benoît XVI, le 12 mars 2009. Il y est question de la levée de l’excommunication des évêques schismatiques et du geste d’ouverture qu’elle représente. Francis Deniau, en soulignant cet aspect, respectueusement mais dans une grande clarté, demande au pape de considérer dans le même esprit d’ouverture les chrétiens qui se sentent écartés ou qui ne trouvent plus leur place dans l‘Église, comme par exemple les divorcés remariés et de faire un geste fort pour eux. Il joint à sa lettre un éditorial qui était paru dans l‘Église de la Nièvre où il prenait fermement position sur l’excommunication, par l’évêque de Récife, de la mère d’une petite brésilienne et des personnes qui l’avaient assistée dans son drame. Cet événement avait fait scandale, on s’en souvient, et le texte de Francis Deniau, Il y avait autre choses à dire, mérite d’être lu.
Toutes ces réflexions et ces questions s’enracinent dans le terreau d’une vie ecclésiale et d’une vie spirituelle en quête de vérité et de lucidité sur soi-même.
Le texte : L’Emploi du temps d’un évêque nous donne en toute humilité un aperçu de la vie de Francis Deniau. Ces notes avaient été rédigées en vue du livre Un Évêque en toute bonne foi et n’avaient finalement pas été retenues pour la publication ; par chance elles ont été conservées et nous livrent un témoignage émouvant. Nous entrons dans l’intimité d’une vie très occupée mais qui se laisse unifier par la prière et la liturgie.
Un autre aperçu nous est donné dans l’Éloge du Père Laplace, jésuite qui a été l’accompagnateur spirituel de Francis Deniau qui le donne en modèle. Il y dit la dette qu’il a à son égard dans la découverte des Exercices spirituels, mais aussi comment il a appris auprès de lui à goûter la Parole de Dieu, à accepter humblement notre humanité, et la liberté.
Quatre articles parus dans la revue Christus sont ici réunis, dont la rédaction très soignée mérite une attention particulière. Au-delà de l’analyse psychologique, c’est l’accompagnateur spirituel qui parle. On se contentera ici de souligner quelques touches.
Le premier, Ministère, aliénation ou chemin de liberté, interroge l’exercice du ministère presbytéral, mais ces analyses peuvent profiter à tout croyant et à tout être humain. Par exemple, la tentation de l’emploi du temps trop rempli, la tentation de s’identifier à un rôle, portent en elles le risque de l’aliénation. Jésus lui-même n’a-t-il -pas connu la tentation de « faire le bien avec des moyens tordus » ? Jésus ne retient rien pour lui-même, se dépossède, reçoit tout du Père : c’est la contemplation de ce modèle qui nous instruit et ouvre des chemins de liberté.
D’autres pièges sont analysés dans Intelligence de la bonté dont le sous-titre est explicite : pour sortir des pièges de l’altruisme chrétien.
Dans Une parole fragile, c’est paradoxalement la fragilité qui devient une valeur si elle est consentement à l’inscription dans le réel et le temps de nos histoires, chemin de rencontre, d’engagement et d’espérance. La Parole s’est faite chair et pain.
On revient dans Un travail de la foi sur l’illusion de penser que des paroles puissent être sûres et définitives. Il faut accepter de traverser des crises où tout a l’air de basculer ; ainsi travailler c’est aussi se laisser travailler et savoir est en vue de l’acte de croire, c’est-à-dire accueil et confiance.
La quatrième partie s’ouvre avec une méditation sur L’actualité de l’Eucharistie qui introduit, rassemble et authentifie ces propos. Ainsi Francis Deniau n’hésite pas à citer une petite fille du catéchisme qu’il promeut théologienne dans des formules qui avaient déconcerté les paroissiens, mais dont il pointe la vérité : « C’est le plus grand miracle de Jésus, il transforme son corps en pain, il transforme son sang en vin ».
Cette quatrième partie se clôt sur un texte inédit : « Il vient ». Le Christ de l’Apocalypse vient de l’avenir, c’est en cela qu’il est source de l’espérance. Dieu ne se laisse pas posséder, ni réduire à ce que nous savons de lui, il vient à nous dans son éternelle jeunesse et vient à nous dans les affres de l’histoire en train d’advenir.
En appendice, on découvrira d’autres facettes de l’auteur, en particulier son goût pour l’art et la confiance qu’il met dans les artistes pour déchiffrer et énoncer à leur manière les signes du temps et magnifier la beauté qui est aussi chemin spirituel. Deux textes parlent des vitraux de la cathédrale de Nevers. Un dernier texte, Images du monde nous montre Francis Deniau, pédagogue, à l’école des peintres.
Deux cahiers de photos complètent le livre, le premier est biographique, le second vient en illustration des textes mis en annexe.
Ce livre par sa diversité peut intéresser tous les lecteurs, le lecteur pressé qui aime les propos courts et incisifs, le public plus spécialisé, en particulier celui qu’intéresse le dialogue judéo-chrétien. Ceux qui ont connu l’auteur pourront découvrir ou approfondir des facettes de sa réflexion et nourrir leur espérance. Pour d’autres ce sera l’occasion d’une rencontre avec une personnalité et une pensée d’exception. Ce recueil donnera le goût de lire, ou relire ses autres livres qu’il a longuement portés, textes écrits pour les hommes et les femmes de notre temps, en particulier Jésus, l’ami déroutant et Chemins de vie, chemins de Dieu.