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Session de Paray-le-Monial 2018

Parcours « judaïsme » – deuxième édition
Quatre jours de rencontres entre juifs et chrétiens

Du 18 juillet au 22 juillet 2018

Pour la deuxième fois, une session « Découvrir le judaïsme – les chrétiens à l’écoute » s’est tenue à Paray-Le-Monial, au mois de juillet.
Ce parcours 2018, intitulé « Jésus juif : qu’est-ce que cela change pour nous, chrétiens ? », aura particulièrement marqué les quelque 400 sessionnistes qui y ont participé.

Deux ans auparavant, une session s’était déjà tenue à Paray-le-Monial, accueillie par Mgr Benoît Rivière, évêque d’Autun, et organisée dans le cadre des sessions d’été 25-35 ans de la Communauté de l’Emmanuel, en présence de nombreux représentants de l’Église catholique et du monde juif. Plusieurs centaines de participants y avaient assisté, tout public, jeunes et moins jeunes, confondu, avec la possibilité, pour les jeunes étudiants ou jeunes-pro de suivre des enseignements partagés ou de vivre des temps communs avec la session (ateliers, veillées, danses d’Israël, commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv, offices et repas de chabbat…). Cette session avait marqué les esprits : « Elle restera dans les annales » avait constaté le responsable de la librairie de l’Emmanuel devant l’intérêt grandissant de beaucoup de jeunes attirés par le sujet. « Ce qui s’est passé ici avec la communauté de l’Emmanuel ne restera pas sans suite » avait alors affirmé le Père Jean Baptiste Nadler, prêtre de l’Emmanuel. Cette session 2016 fut d’ailleurs le point de départ d’un documentaire tourné sur place par Guillaume Dutey-Harispe, qui permet de découvrir les axes fondamentaux du dialogue avec les juifs (on peut le trouver ici sur notre site).

Au cours des deux années qui suivirent, une nouvelle session s’esquissa, dans le souffle de la première, portée de nouveau par la Communauté de l’Emmanuel, qui l’intégra à un ensemble de huit propositions de parcours laissées au choix des quelque 4000 adultes inscrits à la session annuelle d’été des 25-35 ans qui s’est tenue du 18 au 22 juillet 2018. Parmi eux, 400 purent opter pour ce parcours, limité à la capacité d’accueil du centre culturel de Paray-le-Monial qui accueillait le Parcours Judaïsme (beaucoup auraient voulu s’y inscrire, notamment des jeunes arrivés en fin de journée mais qui n’ont pu le faire, faute de place). Son titre original (« Jésus juif : qu’est-ce que cela change pour nous, chrétiens ? ») eut le mérite d’attirer foule de participants venant à cette session d’été. Plutôt débutants dans le dialogue, ils y voyaient une occasion de découvrir le lien unique entre tradition juive et tradition chrétienne via la personne de Jésus juif. La consigne de l’Emmanuel donnée aux inscrits étant cette année de suivre le parcours choisi tout au long des quatre jours, le nombre des participants au parcours Judaïsme resta à peu près constant, à la différence de 2016 où les personnes inscrites aux autres parcours pouvaient aller et venir… Cela a changé du tout au tout l’impact que cette session a laissé dans le cœur de ceux qui ont pu s’y inscrire et y vivre un chabbat entier.
« Paray le Monial rentre dans l’histoire de l’âme juive [...] nous en garderons une trace éternelle en nous-mêmes », dira en fin de session le rabbin Nissim Sultan (rabbin de la communauté juive de Grenoble), resté sur place les quatre jours. Mots poignants qui disent mieux que tout commentaire l’intense émotion ressentie d’avoir pu partager ce temps de vie ensemble avec des chrétiens dans ce lieu, y compris lors du chabbat plein vécu dans la ferveur de la prière.

P. Jean-Baptiste Nadler et R. Nissim Sultan

Émotion palpable aussi du côté de la Communauté de l’Emmanuel, en la personne du prêtre accompagnateur, le Père Jean-Baptiste Nadler : « Peut-être Paray n’est pas un hasard, mais s’écrit avec un grand P (comme Providence). Ici, on se repose sur le cœur de Jésus. Hier, j’ai senti dans le chabbat un repos qui a quelque chose à voir avec le cœur de Jésus »…

Deux ressentis, deux façons propres à chacun d’ancrer cette session dans un au-delà de la rencontre, au cœur d’une transcendance, tout en restant conscient que c’est un chemin qui se trace, patiemment, dans la persévérance et l’espérance ; ce que dira avec sagesse ce proverbe d’Orient cité par Jean-Baptiste, le tenant de sa tante dont le mari est maronite : « Pour être ami, il faut manger un kilo de sel ». Manger un kilo de sel ne se fait pas en un jour. De même, l’amitié ne peut se tisser en quatre jours, même si les choses peuvent s’initier en quatre jours. « Ce sont les rencontres qui tissent l’amitié », nous confiera-t-il, parlant avec chaleur de cette amitié qui est née en deux ans avec le rabbin Nissim Sultan. Le Cardinal Lustiger n’avait-il pas dit que c’était l’amitié qui sauverait le dialogue ?

Au niveau de l’accueil, un superbe livret, composé par l’équipe organisatrice de cette session (notamment Jean-Louis et Geneviève Martiel) et distribué à l’entrée du centre culturel, facilita grandement le respect des horaires. Guide précieux pour l’organisation des journées, il donnait aussi des repères dans l’histoire du dialogue juif-chrétien, des références de textes fondamentaux et une bibliographie détaillée, un choix de sites internet pour le dialogue, des chants en hébreu, la traduction des prières et du rituel de chabbat ainsi que de la cérémonie de commémoration de la rafle du Vel d’Hiv. Le parcours « Judaïsme » étant sur un autre lieu que les sept autres parcours de la Communauté de l’Emmanuel, des temps communs venaient relier les sessionnistes entre eux (louange le matin, messe en milieu d’après-midi et veillées, sous le Grand Chapiteau Moulin Liron, et repas le midi et le soir à la Tente self, avec repas cacher pour les juifs présents, assuré par Didier Benhaim, traiteur juif, garant de la cacheroute). Ces 10 mn de marche à pied jusqu’au lieu de rassemblement, tout comme les demi-heures de queue pour le self, quelquefois sous un soleil brûlant, et le fait de manger ensemble dehors ou sous les tentes de repas, tous parcours confondus, ont permis de beaux échanges entre sessionnistes.

Amin Elmasri, Nissim Sultan, Louis-Marie Coudray et Capucine Lonjon

Ces 4 jours de session resteront un moment fort d’échanges, de rencontres, d’approfondissement spirituel, de découvertes et d’amitié. Des jeunes juifs, dont Sandra Jerusalmi (de l’Alliance israélite universelle et coordinatrice de programmes d’études juives), étaient présents aux côtés de jeunes organisateurs chrétiens (notamment Sarah et Aude-Marie Colombié,

Animation par Aude-Marie et Capucine

jeunes chrétiennes ayant co-animé les premières sessions de l’Ouest, Amin Elmasri jeune chrétien d’origine copte, Capucine Lonjon, etc.), ce qui donna un souffle de jeunesse et d’envol joyeux à cette session. Comme a dit Danielle Guerrier (organisatrice, membre du Service National pour les Relations avec le Judaïsme et déléguée du diocèse de Saint-Denis) à l’adresse des jeunes au moment du bilan : « C’est un immense merci que nous vous devons. Une grande gratitude. C’est le plus beau cadeau que vous pouviez nous faire : des jeunes qui reprennent après nous le flambeau, avec leurs réseaux, leurs questionnements. Vous nous faites un immense cadeau ».

Que s’est-il donc dit et partagé avec cette population jeune de la Communauté de l’Emmanuel, qui contribua à souder si fortement les participants juifs et non juifs de ce parcours ? Le déroulement de la session présenté ci-dessous nous aidera peut-être à le comprendre :

Jeudi 19 juillet, Mgr Benoît Rivière introduit la session en citant le psaume 89. Psaume de reconnaissance envers l’Éternel et envers les pères dans la foi à qui nous devons ce que nous sommes. Ses questions, lancées aux jeunes, resteront des interrogations phares qui nourriront la réflexion : « Est-ce que cela change quelque chose d’être chrétien ? d’être juif ? Où est ton premier amour ? »

Rabbin Philippe Haddad

Puis le rabbin Philippe Haddad (rabbin de la communauté juive de l’ULIF-Copernic) a la primeur de la conférence plénière du matin : « La Torah au cœur du judaïsme d’hier et d’aujourd’hui ».
Il développe la manière dont la Torah est texte fondateur pour le judaïsme comme pour le christianisme, distinguant le judaïsme, religion du Père, du christianisme, religion du Fils qui mène au Père. La finalité pour le judaïsme est d’accomplir la volonté de Dieu : « Nous sommes le désir de Dieu. Comment parachever le monde ? ». L’homme accompli est celui qui médite cette Torah de Dieu, qu’il faut étudier jour et nuit, comme dit le psaume 1. « Comprendre la Torah pour un chrétien, c’est comprendre le rapport que le juif entretient avec la Torah comme, dans le christianisme, le rapport avec Jésus, « Torah vivante », qui leur enseigne le chemin de vie qui mène vers Dieu » (l’expression « Torah vivante » reprend celle du document de la Commission Pontificale pour les relations avec le judaïsme du 10 décembre 2015, célébrant les 50 ans de Nostra Aetate : « Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables, Rm 11, 29 », § 26, document que l’on peut trouver ici sur notre site).
Il insiste ensuite sur l’importance de l’étude pour le juif : « Qui étudie la Torah découvre Dieu ». L’étude est le premier élément du triptyque de la foi juive (étude, prière et charité). Le livre est la centralité spirituelle, mais un livre porteur d’un mouvement, un chemin. L’interprétation est essentielle et prolonge le texte. Elle est contenue dans le principe de révélation. L’homme a cette capacité de s’investir dans le don de Dieu pour le faire fructifier (humaniser le texte divin). « Moïse au Sinaï est entré dans la Maison d’étude de Dieu » explique-t-il avec humour, « et a reçu cette interprétation qui est l’au-delà du verset ». Quand on étudie la Torah, on fait parler le texte. Chacun entend la parole de Dieu en la questionnant. « La question est notre ADN spirituel ! » Il précisera à l’adresse des chrétiens que, dans la tradition juive, toutes les interprétations sont « cacher » (conformes), tant que l’intention est de construire le Royaume de Dieu. « Celles-ci et celles-là sont paroles de Dieu » dira un midrach à propos des paroles contradictoires de deux sages, Hillel et Shammaï (époque du second Temple).
La grâce de Vatican II, conclura-t-il, est d’avoir permis à l’Église de passer d’une concurrence de vérités à une conscience que nous sommes des frères cheminant ensemble. « L’un et l’autre ont reçu une part des vérités de Dieu ». D’où l’importance de se rencontrer et d’échanger en vérité.

Ce premier contact avec un rabbin ne laissa pas indifférent l’auditoire, très attentif, et constitua une excellente entrée en matière pour cette session.

Des ateliers sont proposés pour clore cette première matinée :
 « Liturgie juive, liturgie chrétienne », avec le rabbin Nissim Sultan et le frère Louis-Marie Coudray (Directeur du Service National de l’Église catholique pour les Relations avec le Judaïsme)
 « Jésus, Messie d’Israël », avec Hervé-elie Bokobza (talmudiste) et le père Philippe Loiseau (prêtre du diocèse d’Angers, enseignant la Bible à la faculté de théologie de l’université catholique de l’Ouest à Angers).
 « Jeunes juifs et jeunes chrétiens partagent leurs questions », avec Sandra Jerusalmi et le rabbin Philippe Haddad.

Beaucoup de monde dans chaque atelier. Dans les petites salles, des jeunes sont assis par terre.

Le rabbin Nissim Sultan et le frère Louis-Marie Coudray

L’atelier « Liturgie juive, liturgie chrétienne » permit une belle préparation à la liturgie du Chabbat et à celle du dimanche, en aidant à leur distinction.
Le rabbin Nissim Sultan décrivit les principales prières rituelles, qui seront retrouvées lors de la liturgie de chabbat, dont :
 La Amida ou prière des 18 bénédictions, noyau dur de tous les offices, récitée à voix basse, debout et pieds joints, avec seulement 7 bénédictions à chabbat
 Les bénédictions avant et après la sortie du rouleau de la Torah les lundis et jeudis, et le samedi matin à chabbat.
Il précise que la prière juive est avant tout bénédiction et que la formule est très standardisée. Les bénédictions sont prononcées en toutes circonstances, dans la vie de tous les jours, comme à la synagogue. Les offices suppléent aux sacrifices du Temple (trois fois par jour, matin, après-midi et soir, comme les trois patriarches) et sont le culte du cœur, détachés de la violence du sacrifice. À un participant lui demandant comment était vécue par le peuple juif la disparition de la liturgie du Temple, le rabbin Nissim Sultan répondra que le sacrifice d’animaux abattus et brûlés au Temple pouvait apparaître comme une vraie boucherie, mais que l’absence du Temple depuis l’an 70 restait désormais pour le peuple juif un manque : « Le Temple est aussi le lieu de la sagesse et le lieu d’une révélation permanente ». Ce manque est donc existentiel : « il est en réalité la manifestation de tous nos désirs. Qu’est-ce qui me manque véritablement ? ». Réalité sentimentale ? affective peut-être ? ou immense espérance derrière cette attente du rétablissement du Temple ? Il conclura par la dignité du priant qui, quand il prie, emprunte deux chemins : celui de la sagesse et celui du cœur (« prier étant, dans l’émotion fondamentale de la prière du cœur, se juger soi-même, se jauger »).

Le frère Louis-Marie Coudray précisera que le fait de retrouver ses racines par rapport au judaïsme a toujours été au cours des siècles la position de l’Église, qui a toujours lutté contre le marcionisme. Par contre elle porte à son actif la dérive de la substitution et celle d’avoir donné du judaïsme une image archéologique. Au niveau liturgique, la liturgie chrétienne s’enracine dans la liturgie juive, mais non de façon linéaire : « On ne peut pas faire un rapprochement entre notre liturgie aujourd’hui et la liturgie juive au temps du Christ. Il y a 2000 ans entre les deux ! ».
La liturgie chrétienne se résume souvent, pour nous chrétiens, à l’eucharistie, d’où la liturgie, comprise comme culte. Mais il ajoute : « Nous avons à redécouvrir l’ensemble de la liturgie chrétienne, en redéveloppant la liturgie domestique ainsi que toute la liturgie des heures – prières sept fois par jour ! - C’est la liturgie qui doit nourrir la vie chrétienne. Deux choses à ruminer : la Parole de Dieu (et son étude) et la liturgie ».
Certes célébrer publiquement le mystère du salut via la croix et la résurrection du Fils lors de la Messe est le noyau de la liturgie chrétienne. Et cela fait rupture par rapport à la liturgie juive. Mais l’aspect fondamental reste le même dans les deux liturgies : « La liturgie chrétienne est adressée au Père (cf. la doxologie finale de la prière eucharistique). Toute notre liturgie est tournée vers le Père ». Comme pour la prière du Notre Père, entièrement juive de contenu, il faut, nous dit-il, toujours tenir ensemble enracinement (et absolue continuité) et différence (dimension eschatologique donnée par la résurrection). Attention, prévient-il, de ne pas substituer le dimanche au chabbat. « Le dimanche n’est pas un jour de repos au départ, mais le jour où la communauté se réunit pour célébrer la résurrection de Jésus ». S’il devient synonyme d’un jour de repos, c’est par la suite, quand l’empire deviendra chrétien. Il met en garde le fait de vouloir accaparer ce qui n’est pas à nous, notamment vouloir célébrer un chabbat chrétien : « Être amis, oui ; mais toujours rester dans ce rapport d’altérité et de respect des identités de chacun. Quand on embrasse trop, on étouffe et on ne se retrouve plus dans ce face à face dont parlait le rabbin Haddad ».

L’atelier réservé aux questions des jeunes a été très animé. Des questions ont fusé, venant d’eux mais aussi des animateurs.
Les questions des jeunes ont tourné autour de quatre thèmes :
 Le judaïsme au quotidien dans la vie moderne : « Comment, comme juifs, vivez-vous votre rapport à votre religion, en société ? » ; « Pourquoi la conversion est-elle si compliquée dans la religion juive ? » ; « Pourquoi y a-t-il autant d’interdits dans le judaïsme ? » ; « Comment vivre l’antisémitisme aujourd’hui ? »
 Comment se rencontrer entre juifs et chrétiens : « Y a-t-il des fêtes juives où les chrétiens peuvent être invités ? » ; « Comment prier ensemble ? »
 La place de l’étude et des prières : « Comment donner du temps à Dieu et mettre en place cette étude dans la vie courante ? »
 La question de la vérité : « Jésus a dit : ‘Je suis la vérité’. Qui a la vérité ? »
Le rabbin a posé aussi des questions à son auditoire :
« Peut-on être disciple de Jésus sans être chrétien ? » ; « Si nous procédons du même Dieu, ne sommes-nous pas tous frères ? » ; « N’avons-nous pas à collaborer pour l’amélioration de ce monde ? » ; « Comment, dans ma foi, puis-je être un vecteur de bénédiction ? »

Mgr Benoît Rivière et Rabbin Philippe Haddad

L’après-midi, trois ateliers sont proposés en parallèle :
 « Le rabbin et l’évêque commentent ensemble le Sermon sur la Montagne » avec le rabbin Philippe Haddad et Mgr Benoît Rivière,
 « La place de Jérusalem et d’Israël pour un juif et un chrétien », avec le rabbin Moche Lewin (rabbin du Raincy (Seine-Saint-Denis), conseiller du Grand Rabbin de France et directeur exécutif de la conférence des rabbins européens), venu spécialement pour cette intervention, entre deux rendez-vous, et le frère Louis-Marie Coudray,

Rabbin Moche Lewin et frère Louis-Marie Coudray


 « Le judaïsme pour les nuls : être juif, être juive aujourd’hui », avec Sandra Jerusalmi et le rabbin Nissim Sultan.

Même engouement de tous pour suivre l’un ou l’autre de ces ateliers. Les salles débordent…

Voici quelques pépites du premier atelier sur le Sermon sur la Montagne (Mt 5-7) :

Le rabbin Philippe Haddad a situé ce texte, qui l’a interpellé, comme une homélie sur la Montagne, se référant à Luc 4, 16, où Jésus enseigne à la synagogue après la lecture de la Torah et de la Haftara (les Prophètes) : il a, dit le rabbin, son châle de prière sur les épaules, récite le Shema, la Amida. Et il monte à la Bima (estrade) en 8ème position (sept personnes se succédant pour la lecture de la Torah), étant demandé pour la lecture de la Haftara. Son commentaire est conforme à l’enseignement des prophètes, qui parlent pour aujourd’hui (« Aujourd’hui, ces paroles sont accomplies »). Pour le rabbin Haddad, Jésus est un juif profondément enraciné dans sa tradition. Le Sermon sur la Montagne est un chemin de vie, et Jésus nous invite sur ce chemin. « Un juif qui voudrait intégrer cet enseignement de Jésus dans sa foi juive serait parmi les justes ». Mais, dans un sourire, il ajoute : « Il est difficile d’être chrétien si on veut appliquer le Sermon ! ».

Mgr Benoît Rivière reprendra le fait que Jésus fait un midrach (commentaire), et, pour une bonne part, ces chapitres de Matthieu peuvent être entendus comme un midrach de toute la Torah. Paroles très incisives qui renvoient aux relations interpersonnelles. La force de ce texte est d’introduire un approfondissement. Il s’insurge contre le fait que Jésus, parce qu’il serait originé en Dieu, mettrait dans l’ombre la Torah : « Grotesque et catastrophique ! », dira-t-il avec véhémence, « car, en aucun cas, l’Alliance avec le Christ ne rend caduque la Première Alliance ». « Pas un seul petit trait du yud ne disparaîtra ! » (le yud étant la plus petite lettre de l’alphabet hébraïque). Le Sermon sur la Montagne va infiniment plus loin sur le mystère de la Torah, ajoute-t-il. Jésus se met dans le mouvement profond d’Israël, mouvement de prière et de narration de l’histoire (le mot « fils » renvoie d’abord à Israël), inscrivant sa parole dans cette immense chaîne de commentaires. Et nous aurions, nous chrétiens, tout intérêt à venir nous rafraîchir chaque jour dans ce monde juif du commentaire. « Jésus est celui qui intensément vit le mystère d’Israël ». Quand Jésus se met à commenter le Décalogue : « Vous avez entendu... », il est en train de dire qu’il est lui-même un écoutant du peuple.
Mgr Rivière conclut en insistant sur la nécessité de ne jamais séparer Jésus de son peuple et de chercher à dire son mystère à travers l’Alliance d’un peuple qui accepte cette vocation singulière d’être lumière des nations.
Propos qui bouleverseront beaucoup le rabbin, touché d’entendre un évêque enraciner Jésus dans le mystère d’Israël. « Il a tété le lait d’Israël » dira-t-il en écho. Et il ajoutera avec émotion : « Cet enracinement se traduit ici dans ces rencontres ».
Comme Mgr Rivière, qui lit systématiquement Matthieu 5-7, sur la colline devant le lac de Tibériade quand il accompagne des groupes en Israël, pour une intériorisation de la Torah, tout en sachant qu’il ne serait de toutes façons jamais en règle, le rabbin suggère de lire chaque matin le Sermon sur la Montagne et de le méditer, car « c’est peut-être toute la loi de la Torah qui est commentée ici ! » Cela changerait le rapport avec les collègues de travail, les enfants, les voisins, la communauté, précise-t-il. C’est impossible à vivre intégralement, tout comme la Torah, ajoute-t-il. C’est la raison pour laquelle on demande toujours l’aide de Dieu pour épurer son être de nature et essayer de faire un effort de dépassement de soi-même. Pour que nous ne soyons pas découragés d’avance, il cite une phrase du Talmud : « Nous ne sommes pas obligés de terminer le travail, mais nous ne sommes pas libres de nous y soustraire ».
Mgr Rivière précisera, au terme de son intervention, que les Béatitudes sont en fait une description de ce que Jésus est lui-même. « On peut contempler un visage, et, devant ce visage, les frères juifs prennent toute leur place. C’est un texte qui renvoie au cœur. Laissons cette Torah réveiller notre liberté ! ».

Belles concordances entre les deux intervenants, qui replacent ce texte d’Évangile au cœur de la tradition juive ! Et beaucoup d’émotion partagée de part et d’autre et dans la salle. Une participante confie : « C’est tellement bouleversant ! Il faut se faire expliquer les Évangiles par les rabbins pour les comprendre ! »

Commémoration de la rafle du Vel d’Hiv

En fin d’après-midi, après la messe regroupant tous les sessionnistes de l’Emmanuel sous la tente du Grand Chapiteau, la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv au centre culturel fut un moment chargé de gravité et de ferveur. Mgr Rivière donna un témoignage en tant que petit-fils d’Edmond Michelet (résistant et déporté au camp de concentration de Neue Bremen et auteur du livre Rue de la liberté, éditions du Seuil 1955 – cf. Sens n° 415, p. 523sq.), puis un chant résonna : « Eli, Eli », interprété par des voix juives et chrétiennes, avant que ne soit lu par un jeune le poème si émouvant d’Élie Wiesel : « À chacun d’eux ». Devant cet auditoire recueilli furent égrenés les noms des enfants du convoi 77 (celui d’Yvette Lévy, survivante d’Auschwitz et témoin de la Shoah, en Seine-St-Denis), lecture entrecoupée par le dépôt de 6 bougies représentant les 6 millions de victimes juives de la Shoah. Moment poignant précédant un moment de prière finale avec le psaume 102 lu à deux voix par le rabbin Nissim Sultan et Mgr Rivière, un chant entonné par le rabbin - « El malé rahamim » -, d’une grande intensité, avant le Kaddish final et la prière pour la République française (prière qui en étonna plus d’un, alors qu’elle est pourtant récitée de façon régulière dans les synagogues tout au long de l’année).

Sonnerie du chofar par le rabbin Nissim Sultan

Ce moment de recueillement, conclu par l’écoute du chant des Marais, contribua à faire entrer l’assemblée présente dans le drame de la Shoah, toujours si présent au cœur de l’âme juive, et qui devrait l’être aussi dans celui des chrétiens, car que serions-nous aujourd’hui si les juifs avaient disparu ? N’y a-t-il pas là, dans la résurrection d’Israël, un signe messianique à décrypter, ce peuple « serviteur souffrant », qui a cru fidèlement à la promesse malgré le silence des nations durant la persécution ? La commémoration officielle de la rafle du Vel d’Hiv aura lieu dans la ville de Paray-le-Monial le dimanche 22 juillet, à laquelle quelques jeunes juifs ont pu participer.

La soirée se conclut par une veillée où Sandra Jerusalmi put donner un témoignage devant les 4000 sessionnistes de la Communauté de l’Emmanuel sur sa façon de se ressourcer sans cesse auprès de la Parole de Dieu dans l’étude. Témoignage qui a beaucoup marqué (et que l’on pourra retrouver sur sa page Facebook).

Danses israéliennes
Jean-François Bensahel et Mgr Pierre d’Ornellas

La journée du vendredi 20 juillet fut ponctuée, elle aussi, de moments forts.
La conférence plénière à deux voix, le matin, par Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, Dol et Saint-Malo, et Jean-François Bensahel, président de la communauté libérale ULIF-Copernic à Paris, sur le thème : « Jésus juif, qu’est-ce que cela a changé pour vous ? », a beaucoup marqué, car ce fut sous la forme d’un témoignage personnel que chacun a parlé face à l’autre. Pas de langue de bois, mais un vrai dialogue où l’un et l’autre ont accepté de se livrer. Il faut dire que le livre qu’ils ont écrit à deux voix en 2015, « Juifs et chrétiens, frères à l’évidence – La paix des religions », aux éditions Odile Jacob, a favorisé cette confiance réciproque, perceptible dans le ton de leur témoignage, et ce côté poignant d’une authenticité qui a coloré leur intervention et saisi l’assistance.

Mgr Pierre d’Ornellas, invité à parler en premier, évoqua le séjour marquant de sa famille en Pologne, de 1933 à 1936, avant qu’elle ne rejoigne la France. Les échos qu’il en a eus par son père l’ont marqué. Par la suite, sa découverte progressive d’un Dieu miséricordieux, via Jésus, l’amena à se lancer dans des études bibliques pour devenir prêtre, où il comprendra que le Nouveau Testament tient sa puissance grâce aux textes du Premier Testament qui en sont le sous-bassement. Sa vie en Église, aux côtés du cardinal Lustiger traitant à l’époque le problème du Carmel d’Auschwitz, le marquera définitivement dans sa conscience chrétienne. Il nous dit avec émotion avoir reçu alors « en pleine figure » qu’au-delà des prêtres polonais tués à Auschwitz, un peuple entier a souffert d’une manière indicible et souffre encore aujourd’hui. Cela ne le quittera plus. « L’Alliance de Dieu a engendré un mystère qu’est Israël ». Et la prière du Benedictus qu’il récite chaque matin, « Béni sois-tu, Dieu d’Israël... », s’imprimera profondément en lui, le situant désormais à côté d’un peuple qui a souffert et qui est frère « à l’évidence ». Cette conscience d’une fraternité avec un frère aîné de qui il a tant à recevoir se traduit désormais par une immense gratitude. « Itinéraire où je suis bienheureux d’avoir découvert ce frère qui porte l’Alliance et qui, par Jésus, m’intègre dans cette Alliance avec des frères ». Il insistera, à la fin, sur cette unité profonde des Écritures, Ancien et Nouveau Testaments, qui, même avec une rupture dans la continuité, lui permet d’y voir la consécration d’une fraternité.

Jean-Francois Bensahel donna, lui aussi, un écho de son parcours personnel et de ses découvertes progressives. Dans sa famille, originaire d’Alsace, le christianisme n’avait pas bonne presse : les chrétiens étaient des gens dangereux, il y a 45 ans. Comme pour l’évêque, ce sont des rencontres qui modifièrent son regard. Dans son lycée, des jeunes chrétiens engagés, ne voulant aucun mal aux juifs, lui donnèrent l’intuition d’une différence chrétienne qui ne correspondait pas à l’image donnée ailleurs. « Ils portaient quelque chose d’autre que ceux de ma classe ». Sa rencontre avec Olivier Clément (le grand théologien orthodoxe), qui fut son professeur de géographie et d’histoire, contribua à faire tomber ses peurs, et ce professeur l’encouragea même à approfondir son judaïsme. Grâce à lui, il put se plonger dans les Pères de l’Église, qui lui permirent de mieux comprendre le christianisme. Il nous confia avec humour que, quand en 1998-99 il voulut s’intéresser à l’archéologie de la Bible et alla suivre des cours à l’École cathédrale de Paris, la prière du Notre Père, dite au début de chaque cours du Père Thomas Kowalski, lui rappelait quelque chose…
En travaillant et en rencontrant d’autres grands noms chrétiens, il a mieux compris ce que nous avions en commun, juifs et chrétiens, et s’est trouvé convaincu que l’Église avait changé et que, même s’il ne savait pas bien la nommer, « la différence chrétienne ne m’était pas étrangère et était, pour nous juifs, essentielle. Et que nous pouvions la comprendre du dedans ». Cela l’a conforté dans la nécessité de travailler à cette fraternité en profondeur, avec ce secret désir de pouvoir dire un jour, en écho à l’appellation par les chrétiens de « frères aînés » : « Vous êtes nos frères aimés ! »
Se sentant pourtant incompris dans sa propre communauté, il put saisir l’occasion de la célébration des 50 ans de Nostra Aetate pour réfléchir avec d’autres courants du judaïsme à un texte contenant une déclaration sur le renouveau des relations entre juifs et chrétiens, remise au cardinal Vingt Trois aux Bernardins en novembre 2015. Ce fut la « Déclaration pour le jubilé de fraternité à venir. Une nouvelle vision juive des relations judéo-chrétiennes » (disponible ici) ; un texte qui, en France, scellait la confiance entre les deux traditions et permettait de se projeter en avant sur de nouvelles bases désormais acquises depuis le Concile.
Pour approfondir « cette différence chrétienne qui dérange le monde », il nous dit être allé voir Pierre d’Ornellas afin de la comprendre et d’y travailler. « Cette différence est consacrée et nous est nécessaire », affirme-t-il aujourd’hui. Ce livre a répondu à cette nécessité-là. « Mais ce n’est qu’un début », ajouta-t-il...

Quels enjeux voit-il pour demain ?
 D’abord convaincre le monde juif que les chrétiens sont vraiment nos « frères aimés », qu’ils ne sont plus les mêmes qu’avant (même si ce n’est pas le cas partout…), que la rencontre avec les chrétiens apporte quelque chose de plus dans la façon dont les juifs vivent leur judaïsme (rappel par le christianisme de la dimension eschatologique que les juifs avaient tendance à oublier du fait de mauvais souvenirs et d’une ancienne présentation terrorisante de la venue du Messie) : « La rencontre avec les chrétiens remet dans une dynamique messianique ».
 Continuer à rencontrer le monde chrétien, comme cela se fait, par exemple, à Paris depuis plus d’un an avec l’association « Au vent des rencontres ». Aller jusqu’aux paroissiens lui semble essentiel pour faire tomber les peurs, et il dit apprendre beaucoup de ces rencontres (émerveillement de la façon dont les chrétiens prient les psaumes, dont ils lisent la Bible et sont intéressés par la lecture juive des Écritures…). Il nous dit « vouloir réussir à construire ces relations de fraternité véritable pour que chacun devienne plus authentiquement chrétien ou juif ». Relations qui lui semblent essentielles et non périphériques, « car d’elles peut naître la libération d’une énergie pour le monde et re-permettre aux juifs d’être actifs pour le monde (Israël étant un peuple de prêtres, donc celui qui dit la bénédiction) ». Et il ajoute : « Avec l’Église qui nous tend la main, il nous faut sortir du ghetto et emmener l’Église à nos côtés » !

Ce moment vécu fut à proprement parler saisissant. Il peut être qualifié de « prophétique », comme nous l’avait promis Danielle Guerrier en introduisant ce dialogue. Peut-être même peut-on le qualifier de « messianique » comme Jean-François Bensahel le suggéra. Ses derniers mots seront une prière à l’Éternel, lui demandant « de donner cette force de continuer à construire ensemble cette fraternité nécessaire à chacun d’entre nous et au monde ».
Après quelques échanges avec la salle (notamment sur des termes difficiles pour des oreilles juives, comme « Ancien » Testament, ou « Terre sainte », ou pour préciser que l’objectif de la Loi est « d’avoir un cœur de chair », donc se situant dans une alliance « dynamique » et non figée, comme le terme de « Loi » peut le laisser entendre), Mgr d’Ornellas conclura cette matinée par des mots percutants, en insistant sur le « sens pérenne de l’Écriture, à recevoir pour nous chrétiens, et qui n’a pas disparu avec Jésus ». Il faut être humble pour recevoir ce sens, précise-t-il, et pour cela « se laisser broyer par ce sens, échapper à ses certitudes pour se laisser bousculer par ce sens pérenne qu’a vécu Jésus, qui, sans ce sens, ne peut devenir mon Messie ! » D’où, « même s’il n’y a pas de juifs, je peux rentrer dans l’amour d’Israël du fait de ce sens pérenne ». Silence religieux dans la salle … La référence à Dei Verbum 14 et 15 précisa à l’assistance chrétienne la source de cette parole ecclésiale si essentielle pour construire une vraie fraternité.

En faisant référence au titre de leur livre, il rappela cette co-responsabilité portée par les juifs et les chrétiens pour le monde : « Si nous sommes des frères à l’évidence, nous sommes un témoignage public que la paix dans le monde est possible ».

Nissim Sultan et Hervé-elie Bokobza

L’après-midi du vendredi, une conférence plénière à deux voix par le rabbin Nissim Sultan et Hervé elie Bokobza prépara l’entrée dans le chabbat : « Au cœur de la vie juive, le chabbat ».

Le rabbin Nissim Sultan prend la parole le premier, précisant d’emblée deux termes contradictoires : le « chabbat » dans le judaïsme, qui veut dire « cessation » (= « repos », durant un jour, le plus sacré du calendrier juif), et le « sabbat » (= « sorcellerie ») qui renvoie à la « synagogue de Satan ». Et il interroge : Comment en est-on arrivé là ? « Si le chabbat a été vu comme un rite occulte, c’est peut-être parce qu’on n’a pas su le partager » avance-t-il. « Dieu le donne à Israël comme signe d’Alliance. Comment Israël a-t-il su – ou n’a-t-il pas su - traduire ce chabbat ? ».
Il se propose donc de le traduire.
Ses origines ? Après l’explicitation par la Bible de cette « cessation » de Dieu qui a béni ce jour et l’a sanctifié, il déclare : « Le Chabbat est retour de l’obéissance ». Obéissance de qui ? Il précise : « Si la nature ne s’arrête pas, étant censée s’arrêter à chabbat - et, donc, désobéit -, nous, nous nous arrêtons pour dire l’acte créateur de Dieu ». Étonnement amusé de l’auditoire qui n’a pas encore entendu parler du chabbat en ces termes...
Comment les juifs mettent-ils en musique le chabbat ? En le faisant vivre par la parole, le corps, l’esprit, qui se rendent disponibles. On chante à chabbat. La vie est « chabbatisée ». Il parle de « délices », de joie, de « supplément de sagesse » : vision si différente de celle qui se résume aux interdits ! Chacun est « endimanché » à chabbat, s’exclame-t-il, faisant rire la salle. Les interdits ? Il explique : C’est à partir du discours de Moïse que les rabbins ont précisé les 39 travaux interdits qui étaient ceux nécessaires à la construction du Temple dans le désert : « Le chabbat est au Temple ce que le Temple est à l’espace. Dans le temps, nous réalisons le Temple invisible ». On y bâtit un homme pour le monde, « un humain humainement augmenté », dit-il avec humour. Dans cette course folle, se poser est déjà une forme de chabbat. On joue la rencontre. La messianité du chabbat ? « Si tous les juifs vivaient tous un chabbat, le Messie viendrait ». Ce n’est pas l’homme qui garde le chabbat, conclut-il, mais le chabbat qui préserve l’homme qui grandit et s’élève. Un certain Jésus n’avait-il pas dit quelque chose de similaire ?
Pour Hervé elie Bokobza, la question fondamentale du Chabbat est la question universelle (la dimension chabbatique universelle pour le monde entier). Il cite deux grands sages de la Tradition : Nahmanide, qui dit que chaque jour profite au chabbat, donc que le chabbat ne vaut que parce que j’ai déjà travaillé six jours, et le rabbin de Loubavitch, qui dit qu’il faut que le chabbat existe pour que les journées qui suivent lui soient liées ; donc que le chabbat n’est complet que s’il est suivi de six jours de travail.
Dans les deux versions du Décalogue, le Chabbat n’est pas rattaché à la même chose : dans l’Exode, c’est à la création du monde : il faut commémorer (zakhor en hébreu), et dans le Deutéronome, c’est à l’esclavage en Égypte : il faut s’affranchir du travail, garder (chamor) cette origine de la liberté. Faire chabbat, c’est sortir des contingences, se libérer de la matérialité du monde et revenir vers soi-même. Quand le chabbat est donné à l’homme, il fait chabbat puis travaille six jours. Quand le chabbat est donné à Dieu, l’homme travaille six jours puis s’arrête le 7ème jour. « En contribuant au repos de Dieu et en s’arrêtant, on fait chabbat ».
Il conclut en disant que le chabbat est « une expérience de vie » : « On ne peut pas parler du chabbat sans le vivre. On goûte alors les choses avec une autre saveur ».
Belle invitation pour les sessionnistes à vivre avec eux ce temps qui vient dans l’esprit du chabbat.

Mgr Rivière aborde la question : « Pourquoi la lecture du Cantique des Cantiques à chabbat ? ».
Si ce livre, qui fait partie de la Bible, est une allégorie de l’amour de Dieu avec Israël, peut-être pourrait-on y voir la rencontre de la fiancée Chabbat dans un désir amoureux pacifié. À la différence des sociétés patriarcales où la femme est au service de l’homme, la femme, à chabbat, ne serait-elle pas déjà dans l’esprit pacifié du Royaume, avec une inversion de la passion et de la conquête (apparues dans la Genèse après la faute) ?

Une grande activité fébrile suivit cet échange de l’après-midi, à la fois pour la préparation de la synagogue dans la salle du centre culturel, avec accueil du rouleau de la Torah et orientation des chaises dans la direction de Jérusalem pour la prière, et aussi pour l’installation et la décoration de la salle à manger pour les deux repas de chabbat. Chacun put choisir son repas, le soir ou le lendemain midi, car il n’était matériellement pas possible d’organiser 400 repas en une fois. Pour la soirée du vendredi, une veillée était organisée avec chants et danses d’Israël (animée par Myriam Jolly Monge) pour ceux qui n’avaient pu bénéficier du premier repas.

Sandra Jerusalmi vient allumer les bougies du chabbat

L’atmosphère était à la joie lors de l’allumage des bougies de chabbat par les femmes juives présentes, Ruth Ouazana (présidente honoraire de Limoud France, secrétaire internationale des scouts juifs et présidente de l’Association « Les racines de demain ») et Sandra Jerusalmi. Les chrétiens se trouvaient par là-même invités à vivre un chabbat avec les amis juifs présents, expérience inédite pour beaucoup.

Office du samedi matin

Comment traduire cette ferveur vécue lors de l’office du vendredi soir et de l’office du samedi matin 21 juillet ?
Du côté chrétien, les offices ont pu paraître un peu longs (une heure le vendredi soir, trois heures le samedi matin, entrecoupées de la sortie du rouleau de la Torah et de la lecture de la Parasha, moment particulièrement marquant pour les chrétiens présents), mais il s’était établi entre les juifs et les chrétiens une telle communion que ces heures d’office n’ont pas vraiment pesé pour ceux qui les ont suivies. Ce fut plutôt une découverte émouvante et une atmosphère recueillie et priante. Les juifs eux-mêmes ont reconnu que ce fut un bel effort de la part des chrétiens d’être venus à leur rencontre et d’avoir suivi avec eux les prières en hébreu (qu’ils pouvaient voir traduites dans leurs livrets). Le rabbin Nissim Sultan en a été très touché, nous confiant avec émotion : « Pendant l’office de chabbat, nous avons formé une seule communauté. Cela fait 2000 ans que nous ne pouvions pas prier ensemble. Cette prière fut portée par la ferveur de tous. Ce que nous avons vécu est un chabbat unique. En 2018, il s’est vécu à Paray quelque chose de formidable. Quel cheminement, quelle maturité et quel dépassement de soi pour vivre ces offices, si étrangers pour des non juifs. C’est difficilement racontable. L’énergie nécessaire, c’est l’amour. Sur le terrain, l’effort est de cet ordre ! ».

Louis-Marie Coudray et Nissim Sultan

Deux repas de chabbat de 200 convives chacun, furent partagés, avec un menu de fête. Ambiance très joyeuse, avec histoires, danses, chants, rencontres et beaucoup d’humour…

Dans l’après-midi du samedi 21 juillet, plusieurs propositions étaient offertes en parallèle :
 le commentaire de la « paracha » (section biblique du chabbat) par le rabbin Nissim Sultan
 « Antisémitisme, antisionisme en France, désinformation » par le Dr Richard Prasquier (ancien président du CRIF, qui a reçu le prix de l’Amitié judéo-chrétienne de France en 2015)

Dr. Richard Prasquier


 Témoignage de Benjamin Orenstein, survivant de la Shoah, interné plusieurs années au camp d’Auschwitz Birkenau.
 Enseignement sur le « Temple » et questions réponses pour préparer la fête du 9 Av, avec Hervé elie Bokobza et le Père Philippe Loiseau.

Beaucoup de monde autour du Docteur Richard Prasquier, sur un sujet souvent biaisé.

De même, le témoignage de Benjamin Orenstein fut particulièrement suivi. À près de 90 ans, sa mémoire toujours précise et le verbe alerte, il pouvait relater presque minute par minute, avec une émotion toujours vive, le calvaire vécu avec sa famille, qui commença bien avant l’occupation allemande et l’organisation nazie de ces assassinats et tortures, souvent impossibles à raconter (« sinon vous ne dormiriez plus ») et dont il est le seul à être sorti vivant, après avoir tout traversé jusqu’à la Marche de la mort. Après tout ce qu’il avait vécu, ayant connu le supplice insupportable de la faim, de la soif, de blessures physiques et surtout de la peur, celle qui laisse une trace indélébile dans la chair, dans l’enfer d’une humanité montrant sa face la plus atroce, comment trouver la force de continuer à vivre ?

Témoignage de Benjamin Orenstein

Cette question lui fut posée, et il accepta d’y répondre, par une réponse aussi mystérieuse que sa survie, qu’il estime due à la seule chance d’avoir rencontré quelques humains fraternels à quelques moments vitaux : « Ou on continue à faire confiance, ou on se suicide. Mais moi je voulais vivre. Ma mission : se tenir vivant ». À la question d’un participant : « Et votre relation à Dieu, après tout cela ? », il répondit aussitôt : « Joker ! C’est la seule question à laquelle je ne réponds pas... ». Ce qui l’a poussé à témoigner ? Le procès Barbie, qui a réveillé beaucoup de monde. Et aussi l’émergence des négationnistes dans l’espace public : « Où sont passés tous les miens, dans leurs propos ? ». Cela fait trente ans qu’il témoigne. Il a gagné la Terre d’Israël après la guerre, puis il a retrouvé un cousin à Lyon et s’y est installé. Il s’y est marié. Il pensait, une fois libéré, que les pays civilisés, en apprenant ce qui avait été fait aux juifs, auraient aboli l’antisémitisme définitivement. « Je me suis trompé sur toute la ligne » nous dit-il dans un souffle… Pour lui, puisque cela a eu lieu, cela peut revenir. Quel message aimerait-il laisser ? « Avec les attentats, on revit cette actualité. Mais il nous faut vivre avec l’espoir que cela changera un jour ». Et sa voix se fit prière : « Vous êtes les témoins des témoins, saisis par cette rencontre. Ce ne sont pas des histoires. Les négationnistes ne sont pas morts. Il faut transmettre ! ». Témoignage qui aura saisi chacun dans sa responsabilité de témoin de l’inénarrable...

Quelques échos du commentaire de la paracha par le rabbin Nissim Sultan.
Le rabbin avait choisi de nous commenter une page du Talmud en lien avec la destruction du Temple, liée à la fête du 9 Av qui commençait samedi soir, après chabbat (fête commémorant notamment la chute des deux Temples, détruits à la même date selon la Tradition, et jour de jeûne et de deuil collectifs).
Les rabbins racontent que ce qui a causé la destruction du Temple en l’an 70, et donc la perte de ce qui fut la résidence du divin à Jérusalem, n’est pas tant la puissance étrangère ou la force d’un pouvoir idolâtre qu’un mal qui s’est emparé des juifs de cette époque, une façon d’être au monde qui porte un nom en hébreu : sinat H’inam, « la haine gratuite ». Les juifs se seraient mis à se détester les uns les autres, jusqu’à cesser de respecter la divergence des points de vue, et cette haine réciproque aurait causé la perte de Jérusalem.
Après avoir reçu cette page de Talmud (traité Guittin 55b), il nous fallait la décrypter : elle raconte l’histoire d’un homme qui voulait inviter son ami, un certain Kamtsa, à un festin et l’envoya quérir par son serviteur qui lui ramena à la place son pire ennemi, surnommé Bar Kamtsa. Malgré les propositions juteuses et répétées de Bar Kamtsa pour amadouer cet homme et ne pas subir l’affront d’être renvoyé, il fut chassé sans égard, et sans qu’aucun rabbin ne s’y oppose et ne lui vienne en aide, ce que Bar Kamtsa ne pardonnera pas.
En quoi consiste cette « haine gratuite » que décrit cette page du Talmud ? Ce serait une destruction de l’autre avant même de l’avoir connu (comme les stéréotypes qui « tuent » l’autre sans chercher à le rencontrer). Le désir actuel, c’est d’être le plus fort et de « manger » l’autre. Cette histoire n’est pas un passé dépassé, mais demande sans cesse un examen de conscience. Comment déconstruire ces projections assassines ? Saurons-nous reconstruire Jérusalem avec un « amour gratuit » ?

Lecture des lamentations de Jérémie

Le plus poignant fut la résonance de cette question le soir du 9 Av, au moment où commença l’office, qui repoussa la Havdala (office de sortie de chabbat) au lendemain soir. Moment très émouvant où les juifs présents, commençant un jeûne de 24 heures, étaient assis par terre, psalmodiant les Lamentations de Jérémie. Le rabbin Nissim Sultan nous confiait :
« À chabbat, nous avons fait communauté. Ce matin, j’ai étudié une page du Talmud parlant de la destruction de Jérusalem par la haine gratuite, liée à l’inconnaissance de l’autre. Or il s’agit de s’aimer tous ensemble. Une parole reste prophétique : « Ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples » (Isaïe 56, 7). C’est ensemble que, juifs et chrétiens, nous rebâtirons le Temple. L’énergie nécessaire, c’est l’amour. Votre ferveur a porté notre prière à tous. Nous en garderons une trace éternelle en nous-mêmes. Merci ».

Pouvions-nous entendre plus beau remerciement de ce temps exceptionnel vécu dans la fraternité, au cœur de Paray-le-Monial, ce lieu de rassemblement d’une jeunesse fervente qui s’est laissée saisir par le mystère d’Israël au cours de ces quatre jours de mise à part portant la trace de « l’âme supplémentaire » donnée à chabbat ? Comme disait le frère Louis-Marie à la suite de ces paroles émouvantes du rabbin : « Il faut réaliser l’énormité de ce qu’a dit Nissim après 2000 ans d’histoire ».

L’office du dimanche prit place sous le grand chapiteau du Moulin Liron, qui débordait de monde ; une célébration eucharistique partagée avec tous les participants de la session des 25-35 ans de Paray, tous parcours confondus. Priante, dans la ferveur des chants de l’Emmanuel, elle permit une belle conclusion à ces quatre jours si denses, avec un envoi pour repartir dans nos mondes respectifs, nos mondes à rejoindre après ce temps festif et prophétique vécu en dialogue. Une intention de prière universelle à l’adresse de ce dialogue juifs-chrétiens à intensifier - « Que juifs et chrétiens deviennent toujours plus des frères » -, et un chant en hébreu chanté par toute l’assemblée à plusieurs voix - Evenou Chalom alekhem (« nous vous apportons la paix ») -, donnèrent la touche finale à cette session.

Que dire en conclusion, sinon reprendre le mot final du frère Louis-Marie Coudray : « Prier ensemble, chacun dans ce qu’il croit, engage dans une très grande responsabilité. Pour garder présente à l’esprit la façon de la porter, ne gommons jamais de notre conscience cette question cruciale : ‘Qu’as-tu fait de ton frère ?’  ». Thierry Colombié (initiateur de ces rencontres dans les diocèses de l’Ouest et organisateur de la session) ajoutera : « Se mettre à l’écoute les uns des autres, c’est l’à-venir du Royaume ; et l’écoute la plus intime, celle du Judaïsme et des enfants d’Israël, est pour nous, chrétiens, un acte infini qui mène à Dieu ».

Un immense merci à la Communauté de l’Emmanuel et à ses responsables qui ont permis le bon déroulement de la session (notamment Guillaume Dutey Harispe et le Père Jean-Baptiste Nadler), aux jeunes juifs et aux jeunes chrétiens présents qui ont animé cette session, au rabbin Nissim Sultan resté sur place pendant ces quatre jours, accompagné de Didier Benhaim le traiteur responsable de la cachrout, aux intervenants de la session et aux organisateurs, tout particulièrement à Thierry Colombié, qui porte ces sessions depuis le départ, et à Danielle Guerrier, son aide précieuse au service de ce dialogue et de sa transmission auprès des jeunes.
Sans le soutien de Mgr Benoît Rivière, et la présence efficace de tous ceux qui ont contribué au succès de cette session (les bénévoles des nombreux services, les personnes affectées à la sécurité – Anne-Noëlle et François Lesecq -, les amis des divers groupes d’AJC, dont le groupe de Chalon-sur-Saône), cette session n’aurait pu avoir lieu. Nous leur devons à tous une infinie reconnaissance.

Élisabeth Martin
(le 3 août 2018)

Thierry Colombié, Moche Lewin et Danielle Guerrier

 La session de Paray en vidéo