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Michel Remaud : Les fêtes juives d’automne

Des informations sur les fêtes juives d’automne appelées aussi fêtes de tichri ( Roch ha-chana, les « jours redoutables », Kippour, Succot, Shemini atséret et Simhat Tora) et quelques passages du Nouveau Testament où elles apparaissent.

Le mois de tichri, considéré aujourd’hui comme le premier de l’année juive, est aussi celui qui est le plus riche en fêtes liturgiques ; richesse qu’il est très difficile de faire sentir en quelques lignes.

Le premier jour du mois est désigné par l’expression Rosh ha-shana, c’est-à-dire le commencement (la « tête ») de l’année. La tradition juive accorde à cette fête une signification multiple. C’est d’abord le jour où Dieu juge le monde et où tous les mortels défilent un à un devant lui, selon l’expression du Talmud. Au terme de ce jugement, le sort de chacun est fixé pour l’année qui commence. En réalité, le jugement n’est prononcé ce jour-là que pour les justes parfaits, qui sont innocents, et pour les méchants endurcis, qui se ferment au repentir. Pour les « intermédiaires » — et tout croyant doit présumer qu’il se range dans cette catégorie — , Rosh-hashana ouvre une période de sursis de dix jours, dont il sera question plus loin, que chacun doit mettre à profit pour se repentir. C’est aussi le 1er tishri, que fut créé l’homme ; ce jour marque donc l’achèvement de la création. Depuis l’époque talmudique, c’est le jour où l’on commémore le sacrifice, ou plutôt la « ligature » d’Isaac, dont les sources disent qu’il s’est offert librement. La corne de bélier, le shofar, dont la sonnerie marque la liturgie de ce jour, doit rappeler à Dieu le bélier qui, selon le livre de la Genèse, fut offert à Dieu à la place d’Isaac. Pour toutes ces raisons, Rosh ha-shana est aussi appelé dans les sources « le jour du souvenir » : mémorial de la création ; souvenir du jour où l’homme, à peine créé, fut jugé et gracié ; jour où Dieu fait mémoire des œuvres de chacun ; mémorial du sacrifice volontaire d’Isaac, dont l’offrande spontanée doit plaider auprès du Créateur en faveur de ses descendants.

Rosh ha-shana inaugure une période de dix jours, dits « jours redoutables », marqués essentiellement par la nécessité du repentir. Le prières de repentance occupent une place particulière dans la prière liturgique de cette période. Pendant ces dix jours, chacun est invité à se mettre en paix avec son prochain. Dieu ne peut pardonner que les fautes commises envers lui. Les offenses commises contre le prochain ne peuvent être pardonnées que par l’offensé, et nul ne peut prétendre au pardon divin s’il n’est en paix avec ses frères. Cette exigence du pardon mutuel est généralement prise très au sérieux et la période des « jours redoutables » est souvent l’occasion de véritables réconciliations.

Le dix du mois est célébré le Jour des expiations, Yom hakkipourim ou, plus simplement, Yom kippour ou Kippour, journée de jeûne intégral et de pénitence. Jusqu’à la destruction du Temple, la liturgie de ce jour, assez complexe, occupait toute la journée et son poids reposait essentiellement sur le grand prêtre. Elle était marquée notamment par les sacrifices du bouc et du taureau (cf. Lv 16), auxquels fait allusion l’épître aux Hébreux, et par l’expulsion vers le désert du bouc émissaire, chargé des péchés du peuple. Aujourd’hui, la prière synagogale supplée à la liturgie du Temple, et les longues litanies pénitentielles, très répétitives, ainsi que les chants liturgiques propres à ce jour, remplissent presque sans interruption une journée dont le croyant passe la plus grande partie à la synagogue. Au terme de la journée, lorsque retentit la sonnerie du shofar, il est d’usage de s’adresser mutuellement le vœu de « hatima tova », par lequel on souhaite que le sort de chacun soit scellé pour le meilleur dans l’année qui commence.

Le quinze de tishri commence la fête de Succot, qui dure une semaine comme celle de la Pâque, et qui est désignée souvent dans les traductions et le vocabulaire chrétiens par l’expression de « fêtes des Tentes », à partir du grec, ou des Tabernacles, d’après le latin, ou Scénopégie dans les anciennes traductions. De tout le calendrier juif, c’est la fête la plus riche en symboles. Le nom de la fête est dû au précepte biblique d’habiter pendant une semaine sous des huttes (Lv 23, 34-36 et parallèles). Ces huttes (succot, succa au singulier) qui doivent être provisoires et non fixes (dès la fin de la fête de kippour, on doit s’activer pour commencer à les construire et les décorer) veulent rappeler les quarante ans au cours desquels Israël a vécu dans le désert sous des abris précaires. On doit y prendre au moins les repas festifs, mais certains y passent même la nuit. En même temps, le toit à claire-voie, à travers lequel on doit apercevoir les étoiles, doit rappeler qu’Israël n’a d’autre véritable protection que la nuée divine, qui est la véritable succa. À partir du prophète Zacharie, cette fête, qui est à l’origine une fête agraire marquant la rentrée des récoltes, acquiert une signification eschatologique et annonce le rassemblement des peuples à la fin des temps (Za 14,16-19).
À la synagogue, la liturgie est marquée par l’usage du lulav, faisceau de branches de saule, de myrte et de palmier, porté en procession avec l’éthrog, une variété de gros citron, selon le précepte de Lévitique 23,40. À partir du verset biblique « Vous vous réjouirez devant le Seigneur votre Dieu pendant sept jours » (Lv 23,40), on considère que la joie, en tant que telle, fait l’objet d’un précepte positif, et que l’on enfreint ce précepte en étant triste pendant cette période. Le Talmud de Jérusalem dit que la fête de Succot, à l’époque du second Temple, « était une fête dont on ne pouvait se faire aucune idée si on ne l’avait pas vue et dont rien n’approchait en fait de réunion joyeuse. » Le dernier jour de la fête, le plus solennel (cf. Jn 7,37) est désigné par l’expression de « Hoshana rabba », le grand hosanna. Ce jour-là, la « procession des rameaux » fait sept fois le tour de la synagogue.
Cette journée de fête se termine par une prière pour demander la pluie, qui n’est pas tombée, en terre d’Israël, depuis le printemps (mais on ne doit pas la demander tant qu’on doit prendre les repas sous la succa !). On peut dire ici un mot rapide sur le rapport entre Succot et l’eau. À l’époque du second temple, on descendait solennellement à la piscine de Siloé pour y puiser de l’eau et le cortège accompagnant le prêtre portant la cruche remontait au son des trompettes vers le Temple, où l’eau était répandue en libation. Les commentaires de l’époque, auxquels fait écho l’évangile de Jean (7,37-39) voient dans l’eau le symbole de l’Esprit saint, qui est la cause de la joie caractéristique de Succot : l’Esprit saint, dit le Talmud, ne peut reposer que sur un cœur joyeux. En puisant l’eau à Siloé, on puisait l’Esprit saint. On interpète ainsi le verset d’Isaïe « Dans la joie, vous puiserez les eaux aux sources du salut (Is 12,3).

Le septième et dernier jour de Succot est suivi d’une fête supplémentaire, « Shemini atséret » (Nb 29,35), huitième jour, en quelque sorte, d’une fête qui en compte sept. Cette fête coïncide en Israël avec la fête, d’institution beaucoup plus récente de « Simhat Tora », célébrée le lendemain en diaspora. On lit ce jour-là les derniers versets du Deutéronome et les premiers de la Génèse, pour manifester que la lecture de la Tora se fait sans interruption.

Le Nouveau Testament contient plusieurs allusions à la fête de Succot : la parole de Jésus sur l’eau et l’Esprit, déjà signalée ; les récits de la transfiguration, où Pierre propose de dresser trois tentes (Mt 17,1-9) ; l’entrée de Jésus à Jérusalem (Mt 21,8) ; le passage de l’Apocalypse où les élus se tiennent avec des palmes à la main (Ap 7,9), et probablement d’autres passages où des allusions voilées à Succot, et aux fêtes d’automne en général, doivent être déchiffrées.

© Michel Remaud
Texte paru en 2007 sur le site Zenit, repris sur le site de l’AJCF avec accord de l’auteur.