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13 décembre 2017 : « Christianisme et judaïsme »

Un recueil de conférences, allocutions et articles de Paul TILLICH,
présenté par Mgr Jean-Marc Aveline, évêque auxiliaire de Marseille

Ce petit ouvrage de 158 pages, qui nous révèle avec quelle finesse le théologien protestant Paul Tillich (1886-1965) perçoit les relations fondamentalement nécessaires entre judaïsme et christianisme a été voulu et longuement préfacé par JM Aveline. Et André Gounelle, pasteur et professeur émérite de théologie à la faculté de théologie protestante de Montpellier, en a assuré la mise en forme finale.

Ainsi qu’il nous le précise en commençant sa présentation, l’intérêt de JM Aveline pour la théologie de Paul Tillich est lié à ses propres recherches pour sa thèse de doctorat publiée sous le titre « L’enjeu christologique en théologie des religions, le débat Tillich - Troeltsch », en lien avec la fondation à Marseille de l’Institut des sciences et théologies des religions » (ISTR). En effet, le contexte marseillais, « dont l’identité est souvent constituée et entretenue par le facteur religieux, […] la convivialité interreligieuse y constituant l’une des clés de la paix sociale » [1] permet sans conteste l’expérience de la rencontre avec la pluralité des religions.

Penser en théologie chrétienne la pluralité des religions

Un petit détour par le contexte de la promulgation, par le concile Vatican II, de la déclaration « Nostra Aetate » sur le dialogue interreligieux permet de mieux comprendre l’intérêt si particulier de la relation entre judaïsme et christianisme. La rencontre, le 13 juin 1960, du pape Jean XXIII avec Jules Isaac va faire le lien entre la conférence interreligieuse de Seelisberg de 1947 et le concile. Cette rencontre sera déterminante pour conduire le pape à souhaiter que le concile aborde la question de la relation avec le judaïsme. Le pape avait été surpris que, dans les enquêtes préliminaires sur les thèmes du concile, aucune conférence épiscopale n’ait suggéré le sujet. C’est donc lui-même qui prit l’initiative du projet et choisit de le confier au cardinal Béa.

Mais les obstacles n’ont pas manqué. Tout d’abord l’inquiétude des évêques du Proche-Orient à propos d’un texte sur le judaïsme qui pourrait être interprété comme une reconnaissance de l’État d’Israël ce qui risquait ainsi de mettre les chrétiens en difficulté dans un contexte essentiellement musulman. Actuellement, l’ombre du conflit israélo-palestinien continue d’obscurcir les relations judéo-chrétiennes…
Ensuite, apparaissait un obstacle théologique : un texte conciliaire pouvait-il parler d’autre chose que de l’Église ? Parallèlement à cela, les évêques d’Extrême-Orient demandaient un texte à même de faire le point sur les relations avec le bouddhisme et l’hindouisme. Prendre cela à compte rendait aussi nécessaire de s’intéresser à l’islam. Cela conduisait donc à parler de la liberté religieuse, ce qui, après pas mal de controverses, aboutirait à deux déclarations, deux textes « jumeaux » : Nostra Aetate et Dignitatis Humanae.
Enfin apparaissait un obstacle méthodologique : pouvait–on laisser entendre que la relation avec le judaïsme soit du même ordre que les relations avec l’islam ou le bouddhisme ? Le cardinal Béa, en charge du document, était à l’époque responsable du secrétariat pour l’unité des chrétiens. Les relations entre judaïsme et christianisme y ont trouvé tout naturellement leur place et y demeurent toujours ne dépendant donc pas du conseil pontifical pour les relations interreligieuses.

Il y a réellement une importance capitale à penser, en théologie chrétienne, la relation judéo-chrétienne. Plus on avance, plus on se rend compte que c’est capital. En effet, quand on réfléchit à la mission, la foi juive est porteuse d’une promesse : « En toi seront bénies toutes le nations » (Gn 22, 18), à laquelle le christianisme ajoute un commandement : « De toutes les nations faites des disciples » (Mt 28, 19). Si on ne garde que le commandement, on risque de tomber dans la propagande !

Courte biographie de Paul Tillich

Le jeune pasteur Tillich, né en Prusse orientale en 1886, est marqué par la guerre de 1914. Devant prêcher à des soldats, il fallait trouver un langage qui lui permette de les toucher. Sa réflexion le conduira à un engagement social en lien avec le groupe du socialisme religieux venu de Suisse. Tillich sera là, entre autre, en relation avec Martin Buber.
En 1929, il est doyen à la faculté de philosophie de Francfort. Il est marqué par Ernst Troeltsch (1865-1923), premier théologien protestant à prendre au sérieux les questions posées par l’histoire des religions qui s’était constituée en discipline scientifique à la fin du XIXe s. Ceci avait entraîné un certain nombre de questions critiques à l’égard de la prétention du christianisme à l’absoluité. Celle-ci se trouvait mise en cause par la méthode historique, devant la pluralité des religions.
En 1933, Tillich publie « La décision socialiste », écrit contre les nazis, qui exprime son engagement social. L’ouvrage est très mal pris par le parti au pouvoir. Et comme il intervient pour prendre la défense d’étudiants juifs qui ont été molestés, il est révoqué. Il est le premier professeur allemand à connaître cette situation. La solution : émigrer aux USA. Où il sera d’abord professeur invité avant de devenir professeur d’université à Harvard et Chicago. Après guerre il lui apparaîtra difficile de rentrer en Allemagne… car lui a pu rester en vie !
Et même la création, avec Thomas Mann et Bertolt Brecht, en pleine guerre d’un « Conseil pour une Allemagne démocratique » destiné à tenter d’intervenir en vue d’une paix juste et d’un nouvel ordre européen et mondial et dont il sera président provisoire lui vaudra d’être inscrit sur la liste noire de l’armée américaine.
Mais Paul Tillich a aussi été mêlé aux premières réflexions du concile Vatican II sur le dialogue avec le judaïsme. Et il meurt à Chicago le 22 octobre 1965, 6 jours avant la promulgation de « Nostra Aetate » (28 octobre 1965).

La démarche de Paul Tillich

Les articles et conférences de Paul Tillich, objet de l’ouvrage présenté, et dont plusieurs datent de la seconde guerre mondiale, s’adressent au peuple allemand, à la fois coupable et victime d’un ensorcellement. Le souci de Tillich : soutenir le peuple allemand. Tillich est marqué par le fait qu’au début de la guerre, la théologie protestante libérale n’avait pas vu venir la catastrophe…

Une lettre du doyen d’une faculté de sciences politiques de Berlin en 1951, retrouvée par JM Aveline, évoque le souci que le doyen partage avec Paul Tillich : la « question juive » ne se pose absolument pas pour les étudiants. Cela conduit à l’idée d’une conférence sur « la question juive et la question allemande ».

Il y a un véritable choc théologique quand on s’aperçoit que les professeurs en qui on a mis toute confiance ont été incapables de discernement sur la situation de leur pays. Il s’agit donc d’avoir une pensée critique et prophétique par rapport à la pensée dominante du temps. Pour Paul Tillich cela aboutit à une véritablement refondation de la théologie. Et tandis que Karl Barth propose une théologie de la parole, Paul Tillich, lui présente une théologie de la culture.

Lorsque Paul Tillich veut interpréter le phénomène de la pluralité des religions, il pose que, dans toute religion, il y a un élément sacral et un élément prophétique, mais avec des « dosages » différents. C’est ainsi qu’on peut comprendre : le protestantisme ajoute au catholicisme la dimension prophétique sans laquelle le catholicisme tomberait dans l’idolâtrie et « vice versa » (sans le catholicisme, le protestantisme tomberait-il alors dans l’angélisme ?). Dans le judaïsme, il y a prédominance du prophétisme sur le sacramentel. Tout ce que nous avons reçu dans la tradition juive, a un impact dans la théologie allemande : sagesse, mystique, histoire religieuse juive.

En manière de conclusion

 Nous avons beaucoup à gagner à mieux connaître la pensée mystique juive.
 Toute génération reçoit un dépôt, le met à l’épreuve des problèmes de son temps et le transmet.
 Il y a deux sentiments dans l’Église catholique : triomphalisme et inquiétude.
 Le judaïsme est le seul témoin de l’altérité.

Nous nous permettons de terminer ces notes par une définition du judaïsme, tirée d’un échange avec André Gounelle, lors de la préparation de cette conférence…
Dans un article intitulé « Signification du Judaïsme » où il compare et oppose Heidegger et Tillich, André Gounelle propose : « plutôt qu’un peuple, une culture ou une religion, le judaïsme [selon Tillich] est une prédication qui s’adresse à tous les hommes, y compris aux juifs. Elle appelle à sortir des cloisonnements nationalistes et des enfermements identitaires pour cheminer vers un monde nouveau. Celui de Dieu. Elle nous invite à construire ensemble une histoire commune, en nous rencontrant et en échangeant, plutôt que de nous détruire mutuellement en sacralisant et en opposant nos espaces respectifs. »

BA 20-12-17