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Une rencontre aux Bernardins : Quels enjeux pour le dialogue judéo-chrétien aujourd’hui ?

C’est dans le cadre magnifique du Collège des Bernardins que s’est tenue, à Paris, le jeudi 10 décembre 2009, une conférence de presse présidée par le Docteur Richard Prasquier, Président du CRIF, le Cardinal André Vingt-Trois, Archevêque de Paris et Président de la Conférence des Evêques de France, et le Grand Rabbin Gilles Bernheim, Grand Rabbin de France. L’Amitié Judéo-Chrétienne de France (AJCF) était présente.

Collège des Bernardins

Cette rencontre avait pour but de présenter une brochure rassemblant les actes d’un Colloque qui s’était tenu le 11 décembre 2007 à l’Hôtel de Ville de Paris célébrant les dix ans de la Déclaration de Repentance des Evêques de France à Drancy.

Par deux fois, le travail de fond de notre association a fait l’objet d’une reconnaissance.

Le Docteur Prasquier a tout d’abord voulu rendre hommage au Cardinal Lustiger, artisan de cette déclaration de repentance, et initiateur de ce Collège des Bernardins.
Avant lui, un Juif converti suscitait des sentiments de suspicion et d’amertume, un sentiment d’abandon. Il était perçu par ses frères comme meshumad, une personne « disloquée », se retournant de façon cruelle contre ses propres frères. Le Docteur Prasquier rappelle ainsi les tristes exemples, au Moyen Age, de Nicolas Donin, à Paris, et de Pablo Christiani, à Barcelone, en disputatio avec Nahmanide.
Le décès du Cardinal Lustiger a suscité une « tristesse partagée » par des Juifs et des Chrétiens. C’est cette tristesse partagée qui constitue l’indice d’une nouveauté dans le dialogue. L’amitié, c’est aussi être sensible à la souffrance de l’autre, la partager précisément. Par lui, nous avons compris qu’une identité pouvait ne pas « être exclusive mais riche » par tout ce qui l’oriente vers autrui.
R. Prasquier a conclu ces quelques propos en soulignant combien le dialogue judéo-chrétien est en quelque sorte victime de son propre succès. Il est devenu tellement évident qu’il passe presque aujourd’hui inaperçu… Les jeunes n’ont pas connu l’avant-Vatican II, ils ne savent rien du chemin parcouru par leurs aînés et ne voient pas la nécessité d’y prendre part. Il faut justement développer un dialogue spécifique auprès des jeunes générations.

© 2009 Erez Lichtfeld

C’est précisément un tel défi que voudrait relever aussi le Cardinal Vingt-Trois, en rappelant combien l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, à travers « un engagement persévérant », avait réussi, après des décennies, à tisser un lien fort entre Juifs et Chrétiens. Cette fraternité nourrie, au fil des ans, est construite sur le roc, elle peut aussi aborder des sujets difficiles sans s’effriter. Elle a certes aussi sa fragilité car elle est récente, mais elle n’est en aucun cas une union contre d’autres quels qu’ils soient. Cette fraternité retrouvée n’est exclusive de personne. Il faut bâtir une société plus juste avec toutes les personnes de bonne volonté, sans cependant sombrer dans la confusion ou l’union indéfinie. Il faut se méfier d’expressions toutes faites telle que « les religions du Livre » ; en l’occurrence, de quel « Livre » s’agit-il ? La tentation communautariste nous guette, il faut savoir la surmonter. Comment y convoquer nos jeunes ?

© 2009 Erez Lichtfeld

Le Grand Rabbin Bernheim a tout d’abord souligné combien les propos qu’il venait d’entendre servaient à dessiner l’esprit dans lequel nous travaillons tous, Juifs et Chrétiens. Il a souligné combien il existe une confiance préservée et renforcée entre la communauté juive et l’Eglise catholique. Commentant le titre de la brochure du CRIF, « Un dialogue pour l’avenir », il a insisté sur le mot-clé, «  l’avenir », et dégagé trois axes pour celui-ci correspondant à trois personnalités chrétiennes qui l’ont marqué :
 Le Père Paul Beauchamp, sj. Cet exégète catholique n’avait cessé de réfléchir sur la signification de la pérennité du peuple juif, et cette méditation prolongée l’avait conduit à s’interroger sur sa propre identité catholique ;
 Le Père Michel de Certeau, sj. Auprès de ce dernier, Gilles Bernheim a appris que l’une des forces du dialogue est de permettre le renouvellement de son propre champ de questionnement. S’appuyer sur celui des autres permet d’interroger sa propre tradition d’une manière nouvelle, et finalement d’en percevoir des richesses insoupçonnées. Le dialogue n’est jamais un danger pour sa propre foi, mais une ressource.
 Le Père Michel de Goedt, ocd. Moins connu que les deux précédentes figures catholiques évoquées à l’instant, ce Père carme a rendu possible une relation avec Jésus qui n’a rien à voir avec la théologie de la substitution. Cette qualité nouvelle dans l’attention portée à la souffrance de Jésus permet aux chrétiens d’entendre la souffrance des autres, sans que la souffrance d’autrui ne soit « absorbée » de quelque manière que ce soit par un quelconque « système théologique ». Ces conditions sont essentielles comme préalables à toute relation à autrui. Elles constituent un véritable « principe-responsabilité », qui ont conduit le P. de Goedt à oser écrire ces pages sur Auschwitz qui ont tellement « saisi » le Grand Rabbin Bernheim, ajoutant : « La revue Sens s’honore de les avoir publiées. »

Ces trois perspectives sont pour le Grand Rabbin trois axes d’espérance.

Ces notes sont pour la plupart verbatim. L’avenir de notre dialogue est maintenant dans la réciprocité, l’aptitude à sentir la souffrance de l’autre, à la partager, et à plus forte raison aussi dans les joies dont curieusement il n’a pas été question ce soir-là.

Gilles Bernheim a choisi trois références catholiques. Lui qui a toujours dit que la grandeur d’une religion se mesure à ce qu’elle donne à penser à ceux qui ne sont pas de cette religion, donne ainsi toute sa place à l’Eglise catholique et à ses penseurs. Il y a là de la délicatesse dans sa démarche et du désaisissement. Après tout, il aurait pu citer des penseurs juifs, mais il a choisi d’autres figures (catholiques en l’occurrence) et avec beaucoup de profondeur. On est loin de l’idée maintenant rabâchée des sources juives du christianisme, même si celle-ci a encore du chemin à faire, mais plutôt dans une pensée qui cherche à affronter les questions les plus essentielles, à s’adresser à ce qui, malgré Vatican II, nécessite une réflexion commune. Si la pérennité du Judaïsme doit interroger l’Eglise catholique, cela ne signifie-t-il pas que les Chrétiens doivent reconnaître au Judaïsme une charge plus positive, et non pas juste y voir comme un fossile qui les embarrasse ?

Si les Juifs, comme les Chrétiens, doivent renouveler leur champ de questionnement, cela ne signifie-t-il pas que nous avons tous les deux besoin de l’autre pour nous connaître nous-mêmes ?
Si la souffrance de Jésus n’a de sens que si elle accompagne toutes les souffrances du monde, cela ne place-t-il pas la question de l’éthique au cœur même du Christianisme ?

Trois axes nouveaux en effet.

Liliane APOTHEKER et Bruno CHARMET

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