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La fête de Pourim (AM Dreyfus)

Anne-Marie Dreyfus nous présente cette fête joyeuse et grave à la fois.

L’histoire d’Esther décrit un exemple d’antijudaïsme politique. Sa rédaction daterait de l’époque des Maccabée (II°s. av. e.c)¹, ce qui peut expliquer l’inclusion du récit des représailles exercées sur les Perses. Ce n’est certes pas à cause de ce dernier épisode que Pourim et le livre d’Esther sont si populaires dans le monde juif (d’où les pourimshpil, pièces parodiques jouées dans les communautés ashkénazes), et s’ils sont aussi une source d’inspiration pour les dramaturges et les cinéastes non-juifs.

C’est en jetant les dés du pour - c’est-à-dire le « sort » (pluriel : pourim) - que fut décidée, en Perse, la première « solution finale » de l’Histoire juive (V° siècle avant l’ère courante). A la date ainsi dédiée au massacre, le décret exterminateur n’a – finalement - pas été appliqué. La fête de Pourim, le 14 Adar commémore ce retournement… du sort. Le livre biblique d’Esther nous en détaille les évènements, au fil d’une histoire toute en rebondissements.

Entre le roi de Perse Assuérus - qui a épousé la belle Esther après le renvoi de la reine Vashti, - et Mardochée, notable juif protecteur d’Esther, se trouve Haman, le puissant vizir. Or Mardochée refuse de s’incliner devant lui, comme le prévoit le protocole, d’où le drame : Haman persuade le roi de se débarrasser des Juifs et de signer l’ordre de les exterminer en un seul jour, joué aux dés - le 13 Adar. Mardochée, mis au courant, demande instamment à Esther – qui n’a pas révélé qu’elle est juive - d’intervenir, arguant que c’est peut-être pour cela qu’il lui a été donné de devenir reine… Entre-temps, Assuérus, lors d’une nuit sans sommeil où il se fait lire les annales, découvre que Mardochée a autrefois éventé un complot et lui a sauvé la vie.

Après trois jours de jeûne, Esther transgresse l’interdiction de voir le roi sans invitation préalable, et se présente devant lui. Loin de la châtier, Assuérus, charmé, va jusqu’à lui offrir la moitié de son empire…. or elle ne demande que la faveur de l’inviter, avec Haman à deux festins successifs. Au cours du premier, le vizir, flatté, est encore plus déterminé à en finir avec Mardochée, et fait dresser une gigantesque potence. Avant le second banquet, Assuérus, pensant au complot déjoué, lui demande quelle récompense conviendrait pour un ami du roi. Haman se croit désigné, et conseille donc une magnifique procession. Et c’est ainsi qu’il se retrouve à parcourir la capitale de l’empire, mais… à pied, en tenant la bride du cheval du roi, que chevauche Mardochée. Au cours du second festin, Esther révèle et son appartenance, et la menace qu’Haman fait peser sur son peuple. Assuérus condamne son vizir à être pendu - au gibet destiné à Mardochée, et nomme celui-ci vizir à la place d’Haman. Muni des pleins pouvoirs, Mardochée fait signer un nouveau décret royal qui autorise les Juifs à se venger, et au jour prévu pour leur extermination - le 13 Adar - ce sont en fait des milliers de Perses qui sont tués. Le lendemain, jour de liesse, Mardochée institue la fête de Pourim pour en faire à jamais un temps de réjouissance, d’échanges de présents alimentaires et de dons aux pauvres. (Est. 9, 20ss).

Dernier à avoir été inséré dans le canon de la Bible hébraîque, le livre d’Esther ressemble, à bien des égards, à un conte oriental. Le cadre en est la cour fastueuse du roi de Perse, avec harem et eunuques, complots et rivalités, danses et festins. Le narrateur brode sur les intrigues de cour et le dénouement semble surgir, derrière une suite de hasards, de l’insignifiance d’une insomnie royale. Dieu n’est nommé à aucun moment. Bien plus, les noms des personnages paraissent tirés de la mythologie babylonienne : Mardochée (Mordehaï en hébreu) évoque le dieu Mardouk, et Esther n’est pas loin de Ishtar - bien qu’elle ait un nom hébreu : Hadassa (Esth 1,7). Si pourtant le livre a été inclus dans la Bible – non sans débat, c’est que son contenu a été interprété comme une suite de péripéties où Dieu choisit d’oeuvrer « en voilant Sa face » (ester panim en hébreu). Les festins et le vin ont une grande place dans l’histoire d’Esther ; les commentateurs en ont déduit qu’il est permis de boire, durant les repas de la fête – jusqu’à ne plus discerner « Maudit soit Haman ! » de « Béni soit Mardochée ! »... Pour anticiper ce temps où ils se seront fondus dans une même joie – messianique ? Tout le sens (ou le non-sens) de Pourim est dans cet amphigouri où l’on ne sait plus qui est élevé et qui est abaissé, où se cachent le bien et le mal, qui est dans joie et qui dans le deuil. La coutume de se déguiser à Pourim serait-elle un rappel de ce jeu de masques ?

Dans le même ordre d’idées, on s’aperçoit qu’à l’inverse de Shavouot où l’on célèbre la Révélation, Pourim paraît fêter une occultation. De même, à Pessah, la maîtrise divine sur les évènements du monde est manifeste ; à Pourim, elle est invisible. Seul livre biblique autre que le Pentateuque à avoir ce privilège, le livre d’Esther est lu ¹à la synagogue dans un rouleau de parchemin - comme la Torah de Moïse. Mais l’attention au texte est autre : à chaque « Haman » prononcé, la lecture publique est ponctuée par une cacophonie de sifflements et de grincements de crécelles qui le masque complètement ! Haman est un descendant d’Amalek (Est. 3,1)... or n’est-il pas prescrit d’ «  effacer la mémoire d’Amalek » (Deut. 25, 19), archétype de tous les antisémites ?

L’histoire d’Esther décrit un exemple d’antijudaïsme politique. Sa rédaction daterait de l’époque des Maccabée (II°s. av. e.c) [1]
, ce qui peut expliquer l’inclusion du récit des représailles exercées sur les Perses. Ce n’est certes pas à cause de ce dernier épisode que Pourim et le livre d’Esther sont si populaires dans le monde juif (d’où les pourimshpil, pièces parodiques jouées dans les communautés ashkénazes), et s’ils sont aussi une source d’inspiration pour les dramaturges et les cinéastes non-juifs.

Des commentateurs ont mis en parallèle Pourim et... Yom Kippour ! (appelé aussi Yom haKippourim). Effectivement, il y a bien un tirage au sort à Kippour - celui du bouc émissaire. Mais surtout, si Mardochée et Esther montrent ce que sont courage et responsabilité face au mal extérieur - la persécution - Kippour donne le courage et la responsabilité de combattre le mal qui est en nous. C’est pourquoi des sages ont été jusqu’à affirmer que - seules de toutes les fêtes - Pourim et Yom Kippour ne pourront « jamais être annulées » [2].

A-M. Dreyfus

[1Cf II Macchabée 15,36. La victoire sur Nicanor est célébrée le 13 Adar, « un jour avant le jour de Mardochée »

[2Midrash sur les Proverbes